Le SYNGOF vous informe : Réforme des expertises en responsabilité médicale

Publié le 13 May 2022 à 22:08

 Pour la création de véritables "jurys sanitaires"

Le problème de la responsabilité médicale est un facteur de désaffection des activités obstétricales. La réforme des expertises en responsabilité médicale fait l’objet de propositions.

J. MARTY*

L’association à but non lucratif Gynerisq, organisme agréé par la Haute Autorité de Santé (HAS) pour l’accréditation des gynécologues-obstétriciens, est heureuse d’avoir contribué à l’organisation des travaux conduits par l’Institut Droit et Santé (IDS) sur la réforme des expertises en responsabilité médicale.

Comme membre de la direction de Gynerisq, j’approuve les propositions qui ont été tirées des deux réunions préparatoires de mai et juillet dernier et résumées dans la note de synthèse du Pr Rémi Pellet. Cependant, il me semble que certaines de ces idées devraient être développées et précisées avant d’être mises en œuvre, pour que les pratiques expertises soient véritablement améliorées.
Les débats ont été l’occasion de confirmer le fait que les experts saisis par les juridictions ou les commissions de conciliation et d’indemnisation (CCI) sont fréquemment confrontés à des affaires qui concernent des domaines médicaux “hyper-spécialisés”. De ce fait, même lorsqu’elle est en adéquation avec celle des praticiens mis en cause, la qualification des experts n’est pas suffisante pour qu’ils puissent établir scientifiquement les causes réelles des dommages médicaux qui ont conduit à l’ouverture d’une procédure contentieuse ou de conciliation.
Ce hiatus explique la plupart des désaccords que Gynerisq a l’occasion de constater, depuis sa création, entre les expertises dont elle est saisie et l’avis que rendent ses propres experts sur les mêmes affaires. Les différences portent sur des points techniques, très précis, qui demandent des qualifications complémentaires appelées dans notre jargon malgré le caractère ambigu du terme, “sous-spécialisations”, qu’aucun expert ne peut se targuer de posséder toutes.
Les spécialités médicales et chirurgicales connaissent un processus de fractionnement : dans le domaine qui est celui de Gynerisq, il y a certes la spécialité des gynécologues-obstétriciens telle qu’elle est définie par le Conseil de l'ordre mais, en réalité, il existe désormais des chirurgiens du cancer du sein, des chirurgiens des cancers pelviens, des chirurgiens de la statique pelvienne, des spécialistes de la PMA, etc.
Ce n’est pas créer un oxymore artificiel que de dire des experts judiciaires qu’ils sont “des généralistes de leur spécialité”. Même s’ils peuvent prétendre connaître sur le plan théorique certains domaines “pointus”, ils ne peuvent en avoir une connaissance pratique exhaustive, faute pour eux d’avoir été confrontés dans leur carrière à toutes les difficultés qui donnent lieu à des dommages. De ce fait, ces experts ne peuvent répondre avec fiabilité à la question essentielle qui leur est posée : “les soins dispensés au patient ont-ils été conformes ou non aux données acquises de la science ?”.
Pour répondre à cette atomisation des compétences, la réglementation exige des praticiens qu’ils mettent au point des protocoles de soins par lesquels ils s’approprient les recommandations de pratiques cliniques. Dans ces domaines pointus du cancer, de la stérilité, du diagnostic anténatal, la réglementation exige des soignants qu’ils examinent en réunion les cas les uns après les autres. Ce principe d’un examen collectif des cas complexes vaut également pour les expertises sanitaires créées pour élaborer les recommandations de bonne pratique. Pourquoi ce principe ne devrait-il pas être respecté au cours des expertises diligentées par les juridictions et les CCI ?
Dans le domaine de l’obstétrique, comme cela a été rappelé lors de la préparation de ce colloque, l’interprétation des anomalies d’un même tracé du rythme cardiaque fœtal n'est pas reproductible régulièrement. Pourtant c'est un motif très fréquent de condamnation pour retard de césarienne. La vérification de l'existence d'un accord d'expert serait pourtant indispensable dans ce domaine.
Comme l’a souligné l’Académie Nationale de Médecine (ANM), les organismes d’accréditation de médecins concentrent les compétences qui manquent en expertise médicale. L’ANM a proposé de mobiliser les OA pour améliorer la pratique expertale. Mais ces organismes, bien qu’ils soient agréés par la HAS, ne font pas l’unanimité parce qu’ils sont composés exclusivement de médecins, lesquels sont alors suspectés d’être placés en conflit d’intérêts. Pour résoudre ce problème, il conviendrait d’explorer la proposition qui est indiquée dans la note de synthèse mais de façon trop cursive, à savoir d’utiliser la “commission risque inter spécialité”, CRIS, qui a été créée en 2015 par la HAS et a déjà la pratique régulière de la formation des groupes d'experts associés à des usagers pour l'élaboration des recommandations.
La composition de cette commission devrait être statutairement élargie aux représentants des patients, comme cela est proposé, mais sa compétence devrait être également étendue à la relecture des expertises, selon le schéma suivant :

  • la HAS fixerait les règles d’anonymisation des expertises médicales et les méthodes de travail pour l’adoption d’accords d’experts (par ex. vote et définition d’une majorité de 80% des suffrages, c’est-à-dire de 4 voix dans un groupe de 5) ;
  • pour relecture des expertises anonymisées, la CRIS saisirait une OA en lui adjoignant des compétences d’autres origines, afin de prévenir les risques de conflit d’intérêts, ce “jury sanitaire” devant être composés de cinq spécialistes au total ;
  • la relecture se focaliserait sur les seuls points cruciaux mais uniquement médicaux du dossier ;
  • le travail de ces jurys sanitaires de 5 membres devrait correspondre à un coût de 2000€ environ qui seraient mis à la charge de la partie qui ferait appel au jury : ce chiffre est bien inférieur au montant total des honoraires d’un collège d’experts.

On peut attendre d’une telle réforme des évolutions très favorables :

  • les experts qui sont inscrits sur les listes fixées par les juridictions et la Cnamed sauraient qu’ils peuvent faire appel à ces “jurys sanitaires”, ce qui devrait rassurer ces experts quand leurs scrupules pourraient les retenir d’accepter d’être désignés dans certaines affaires complexes ;
  • seraient évités les risques de dérive liées à la “tunnelisation d’un expert”, c’est-à-dire le fait qu’il ne suit qu’une seule hypothèse, l’approfondissement de ses investigations l’empêchant de se souvenir ou de prendre conscience de la possibilité d’une hypothèse alternative. Ce risque est connu de longue date et conduit depuis longtemps à préconiser un collège d’experts mais les contraintes financières conduisent fréquemment à renoncer à cette pratique, autant et plus que l’assèchement du vivier des experts. Cette contrainte serait levée grâce à la création des “jurys sanitaires” créés par la CRIS.

* Gynécologue-obstétricien, ancien Président du Syngof, membre du conseil d’administration et du bureau de Gynerisq

Article paru dans la revue “Syndicat National des Gynécologues Obstétriciens de France” / SYNGOF n°115

Publié le 1652472495000