Le réseau Europeen des écoles et facultés de physiothérapie

Publié le 30 May 2022 à 11:17

 

L’Ecole d’Assas et son Département International a organisé, du 20 au 22 septembre 2018, la 23ème Conférence de l'ENPHE (European Network for Physiotherapy in Higher Education). La conférence a eu lieu à La Défense, dans les locaux de Comsquare.

Comme son nom l’indique, le réseau ENPHE, regroupe environ 160 écoles ou universités de physiothérapie d’Europe qui se réunissent tous les ans lors d’une conférence en lien avec les enjeux contemporains de la formation initiale de la physiothérapie. ENPHE s’adresse aussi bien aux étudiants qu’aux enseignants des institutions membres. Ce partenariat étudiants-enseignants est une des originalités du réseau ENPHE. C’est un invariant de l'approche pédagogique actuelle : les étudiants sont des acteurs obligatoires (au sens multifactoriel) de leur formation. Leurs attentes, leurs demandes, leurs objectifs et leurs modes d’apprentissage constituent les bases fondamentales permettant de construire les écoles de physiothérapie du XXIème siècle.

L’autre particularité d’ENPHE est aussi de réfléchir à l’avenir de la physiothérapie en Europe : enjeux socio-économiques, vieillissement de la population, démographie professionnelle, nouveaux savoirs comme le dry-neddling couplé à l’échographie, l’accès direct, etc. Ces perspectives conditionnent la pédagogie, le recrutement dans nos écoles, les flux d’étudiants qu’il faut incorporer dans nos IFMK et les déplacements de professionnels à l’intérieur de l’Europe. Ce genre de réflexion est par définition européen, on ne peut pas se contenter d’une réflexion franco-française et une conférence comme ENPHE est le lieu idéal de rencontres fructueuses, enrichissantes et constructives.

Innovation et multidisciplinarité dans la formation des kinésithérapeutes
Le thème choisi pour la conférence de 2018 était celui de l’Innovation et de la multidisciplinarité dans l’éducation. L’innovation nous a semblé un thème porteur d’avenir. Le monde de la santé ne fera pas l’économie d’une utilisation massive des objets connectés, des applications sur smartphone pour suivre, informer et éduquer les patients, tout en sachant que le thérapeute restera au centre de la démarche de soins. Cette course à l’innovation technologique incessante ne peut qu’interpeller les enseignants qui préparent des professionnels pour les trente ou quarante prochaines années. De même pour les professions de santé qui évoluent vers une auto prise en charge du patient, conseillé et « monitoré » à distance par le thérapeute.

Quant à la multidisciplinarité, elle nous a également semblé une priorité. Compte tenu de la complexité évidente d’un patient quelle que soit sa pathologie, celui-ci est susceptible d’être pris en charge par de nombreux professionnels qui doivent apprendre à dialoguer entre eux de façon que les soins ne soient pas morcelés. De plus, la complexité du monde actuel ne permet plus à un professionnel d’être omniscient et faire appel à d’autres professions, à d’autres savoirs, est de plus en plus indispensable. Une autre raison en faveur de ce choix est que l’association de plusieurs compétences venant de différents professionnels au service d’un patient ne peut que renforcer la qualité interventionnelle de toute une équipe pour une meilleure prise en charge.

Pour traiter ces enjeux, ENPHE et l’Ecole d’Assas ont fait appel à des orateurs de premier plan issus d’Universités européennes. Ces « keynote speakers » viennent exposer et nous faire partager leur expérience et leur vision de l’enseignement en santé et nous avons décidé de vous présenter les meilleurs exemples.

Anita Ahlstrand, est Maître de Conférences à l’Université Metropolia d’Helsinki. Elle est venue nous présenter le projet MINNO® que nous pourrions résumer ainsi : “ When an electric engineer meets an occupational therapist, when a film director meets a construction manager, when a nurse meets a business expert, the result is a completely new and unique way of thinking “ [1].

Le projet MINNO® est un acronyme pour Metropolia Innovation. Il s’agit de créer des équipes multidisciplinaires devant résoudre un authentique problème en proposant une solution. Cette solution doit être innovante, pratique et concrète. L’équipe comporte des professionnels de la santé, 4 à 7 étudiants en physiothérapie mais aussi en ergothérapie, pédicurie-podologie et/ou des infirmières, des industriels, des spécialistes du marketing, des architectes, etc. La coopération avec des industriels permet de créer de nouvelles solutions, concrètes et réalisables, répondant aux besoins du marché et de la société. Pour les Finlandais, l’innovation n’est pas qu'une question technique. Elle n’est jamais une fin en soi, mais elle doit répondre à la qualité de vie, la prise en charge en santé ainsi que le champ culturel. L’ensemble consiste en 270 heures de travail et d’apprentissage par étudiant, pour un ensemble de 10 ECTS. L’UE est obligatoire pour tous les étudiants. Cet enseignement peut prendre place n’importe quand, pendant n’importe quelle des années d’études.

Cette coopération entre étudiants de différentes disciplines et professionnels de tous horizons a donné lieu à plus de 100 projets tels que :
• How to improve the hospital environment? New interior design of cancer clinic entrance hall.
• How to go about drug education in a new way?
• Computer games that educate people about substance abuse. In cooperation with the Finnish Association for Substance Abuse Prevention.
• A mobile phone alert for blood donors informing them of the next opportunity to donate blood. Projet commandé par le service de Transfusion Sanguine de la Croix Rouge Finlandaise.

Cet aspect du futur kinésithérapeute, entrepreneur, nous semble à l’École d’Assas un challenge important dans la formation initiale de nos étudiants.

Frank Van Zon est un kinésithérapeute très impliqué dans l’innovation dans notre métier au service des patients mais aussi de la population en générale, et vieillissante en particulier. L’application Physitrack/PhysiApp qu’il a développée, a reçu le prix néerlandais de l’innovation. Physitrack est un guide de suivi et de motivation des patients, permettant de les conseiller et de motiver avec des vidéos d’exercices.

Il permet de communiquer éventuellement par chat ou appels vidéo et de suivre les résultats pour une expérience patient/praticien inégalée.

André Vyt a beaucoup écrit [2] sur le lien très fort qu’il y a entre la qualité managériale d’une équipe quelle qu’elle soit (enseignante ou administrative, sans oublier le Bureau des Étudiants pour une école de kinésithérapie) et la qualité de la performance offerte à l’utilisateur, en l’occurrence ici l’ensemble des étudiants. La qualité managériale proposée est faite d’intégration (entre les disciplines, les âges, les méthodes pédagogiques, etc.). Quant à la durabilité, elle est nécessaire car la pédagogie et la qualité de l’enseignement d’une école est quelque chose qui se construit dans le temps et s’affine au fur et à mesure que les années académiques s’enchaînent. André Vyt nous a beaucoup appris de par son expérience comme enseignant du management dans les milieux de la santé.

Mattias Gutt est consultant de la société Spin Sport et président du réseau « Sport and Citizenship European Network on Sports and Disabilities ». A ce titre, M. Matthias Gutt est un spécialiste du sport comme vecteur de la citoyenneté et du handisport comme facteur d’intégration de la personne à mobilité réduite dans une vie citoyenne pleine et entière.

La France a été représentée par deux figures de prestige François Taddéi, diplômé de l’École Polytechnique, docteur en génétique et directeur de recherche à l’Inserm. Il est le fondateur/directeur du Centre de Recherches Interdisciplinaires et auteur du rapport « Vers une société apprenante » remis au gouvernement en mars 2018.

Sa participation à la conférence ENPHE a été d’un grand apport pour que les écoles européennes confortent un mode d’apprentissage qui puisse accrocher l’étudiant et rendre son investissement intellectuel à la fois évident et productif de façon que celui-ci ait bien le sentiment d’être le propre bâtisseur de ses savoirs. Tout cela, dans un monde où les savoirs deviennent rapidement obsolètes. La première étape de cette démonstration est une pédagogie inversée dans laquelle les étudiants questionnent mais sont aussi amenés à proposer leurs idées et leurs réponses. Monsieur Taddéi avait invité sur l’estrade des étudiants français (Assas et Ceerf), des étudiants néerlandais et une étudiante islandaise (la présidente de l’association des étudiants ENPHE). Les échanges entre ces étudiants, l’orateur et la salle on été riches et constructifs. Ils ont bien mis en évidence l’écart entre la pédagogie des pays de l’Europe du nord, habitués à une relation horizontale entre étudiants et enseignants et certains pays du sud dont la France, dans lesquels la relation pédagogique est plus verticale.

Pasquale Gallo, formateur à l’IFMK Valentin Haüy de Paris, a été champion paralympique d’athlétisme (relais 4x100m) aux jeux de Pékin en 2008. Il est par ailleurs praticien libéral. Il a évoqué les particularités de la pédagogie dans les écoles de physiothérapie pour non ou mal voyants. M. Gallo a présenté en quoi ce handicap modifie la pédagogie et quelles innovations ont été nécessaires pour transmettre des savoirs kinésithérapiques aux étudiants mal voyants et ce que nous pouvons transposer dans les IFMK en milieu ordinaire. Pour nos amis européens, ce fût une découverte.

En dehors de l’Espagne, il n’y a pas en Europe d’IFMK pour non ou mal-voyants.

Les sessions plénières des keynote speakers ont été entrecoupées d’ateliers thématiques d’environ une vingtaine de participants, inscrits à l’avance aux ateliers qui les intéressaient.

Les thèmes des ateliers sont choisis et préparés en amont de la conférence, au séminaire de printemps qu’ENPHE organise chaque année. En 2018, ce séminaire se tenait au Danemark et c’est Madame Laurence Le Goff, responsable du second cycle et de la 4ème année à l’IFMK Assas qui représente chaque année l’école à ce séminaire. Les principaux thèmes retenus ont été les suivants :
• Faciliter l’apprentissage : comment être sûr du succès d’un apprentissage multiformat (blended learning : association de présentiel, d’e-learning, etc.) ? Les organisateurs (Absalon University, Danemark) ont présenté un modèle didactique de réflexion pédagogique, permettant de prendre des décisions appropriées pour atteindre les objectifs d’apprentissage sélectionnés. Les participants pourront répondre à la question : « Quel outil technologique est approprié pour travailler sur cet objectif promouvant la connaissance, l’habileté et les compétences ? ».
• Internationalisation : la boîte à outils de l’internationalisation à domicile. L’idée est d’introduire l’international dans le cursus d’apprentissage sans avoir à se déplacer. Les responsables de cet atelier ont présenté des outils pratiques permettant cette approche. D’autres idées et perspectives ont été présentées de façon à élargir les offres et les possibilités (échanges au moyen des réseaux sociaux). Des exemples d’échanges de programmes ont aussi été présentés.
• Apprentissage interprofessionnel : les organisateurs ont présenté les résultats d’un questionnaire lancé par ENPHE sur le thème de l’apprentissage interprofessionnel, son intérêt et ses modalités selon les professions concernées.
• Perspectives professionnelles : le thème principal est une éducation des kinésithérapeutes à l’accès direct aux soins dès la fin de la formation initiale. Cette perspective qui est officielle dans plusieurs pays (comme les Pays-Bas admis sans prise en charge du coût par la collectivité) et en expérimentation dans d’autres (Belgique et Suisse) est un enjeu futur important pour la profession en termes d’apprentissage (drapeaux rouges et jaunes) et de reconnaissance.

La conférence ENPHE comporte aussi une session de présentation de posters dont le meilleur a été récompensé et une remise de prix pour les travaux de recherche les plus pertinents : mémoires de fin d’année, de Master ou bien thèse de doctorat.

La conférence ENPHE a permis aussi aux coordinateurs de chacun des pays qui composent le réseau, de se réunir pour envisager et construire l’avenir de cette belle communauté de professionnels de la pédagogie, au service des étudiants.

Tout le premier jour est réservé aux travaux des étudiants. Il y avait environ une centaine d’étudiants. Ils ont travaillé en petits groupes, sous forme de six ateliers :
• Vie du groupe des étudiants ;
• Recherche : en quoi est-elle indispensable ;
• Enseignement et attractivité ;
• Apprentissage pratique initial ;
• Internationalisation : quel bienfait en attendre ?
• Employabilité : quelles différences selon les pays et quelles conséquences sur les flux de praticiens ?

Tous les participants ont aussi profité de la présence des sponsors de cette manifestation : PETHRA, serious game d’apprentissage du raisonnement clinique ; VIRTUALIS : réalité virtuelle en rééducation, TABLELYA et KINETEC qui nous ont présenté leur gamme de matériels.

Au total, cette conférence a représenté trois jours d’intense travail, de rencontres informelles et de promesses de collaboration ; trois jours parfaitement organisés (presque 6 mois de travail) par le Département International de l’École d’Assas. Tous les participants ont apprécié l’accueil, la convivialité et l’atmosphère que tous les organisateurs (École d’Assas et ses étudiants) ont su montrer.

Michel PILLU PhD
Département International

Ecole d’Assas

1. Helsinki Metropolia University of Applied Sciences. A quick guide to the world of innovations : www.metropolia.fi
2. Interprofessional education in Europe: policy and practice.
3. André Vyt (U. of Gent) , Majda Pahor and Tiina Tervaskanto-Maentausta, 2015.

            Article paru dans la revue “Syndicat National de Formation en Masso-Kinésithérapie” / SNIFMK n°10

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