Le point du Physicien : Radio-ablation des foyers de tachycardie ventriculaire

Publié le 11 Jul 2022 à 09:22

L’expérience Lilloise

La radio-ablation des foyers de tachycardie ventriculaire connaît un essor rapide en France pour le traitement des orages rythmiques réfractaires aux traitements médicamenteux. À Lille, une vingtaine de patients ont déjà bénéficié de ce nouveau traitement. L’objet de cet article est de présenter l’expérience lilloise dans ce domaine et les principales difficultés techniques auxquelles nous avons été confrontées.

Le cœur : organe en mouvement
Les mouvements du cœur représentent la principale difficulté du traitement. Ils ont deux composantes  : le mouvement dû à la respiration et celui inhérent au cycle cardiaque. Il n’existe aujourd’hui aucune méthode permettant de prendre en compte ces deux mouvements simultanément aussi bien pour l’imagerie que pour le traitement de radiothérapie. Une étude récente sur patients mesure une amplitude moyenne du bout des sondes de pacemaker implantées dans le cœur de l’ordre de 4 à 5 mm dans les trois directions de l’espace en respiration libre avec compression abdominale (Prusator, et al., 2021).

Imagerie du cœur : Différences de pratiques entre la cardiologie et la radiothérapie
Les services de cardiologie ont accès à un parc de dispositifs d’imagerie de dernière génération couplés à des systèmes de suivi du rythme cardiaque. À l’inverse, les services de radiothérapie n’ont souvent qu’un scanner de simulation rarement équipé d’un système de suivi du rythme cardiaque. Cette diversité des techniques, mais également d’habitudes de travail, nécessite un travail collectif entre le cardiologue, le radiothérapeute et le physicien pour préciser le volume cible sur les images de radiothérapie.

L’ensemble des étapes permettant de définir la cible du traitement de radiothérapie est décrit à la figure 1. Le foyer de l’arythmie cardiaque est déterminé à partir d’un système de navigation électro-anatomique en trois dimensions (Maury, et al., 2018). Ce système permet d’enregistrer la morphologie des tachycardies ventriculaires survenues lors de stimulations électriques programmées. Ces informations sont ensuite fusionnées sur les images du scanner double énergie du département de cardiologie synchronisées à l’ECG. La fusion effectuée à ce stade se base sur les positions de l’aorte et des sinus coronaires. L’administration de beta bloquants au patient avant l’examen permet d’améliorer significativement la qualité des images reconstruites.

Un scanner de simulation est ensuite réalisé pour la dosimétrie. Comme il est impossible de suivre à la fois les cycles respiratoire et cardiaque, l’acquisition est faite en respiration bloquée avec synchronisation au rythme cardiaque. Lors de cette acquisition, la plus rapide possible pour être en adéquation avec la rapidité du cycle cardiaque, une seule phase du cycle cardiaque (sélectionnée automatiquement par le logiciel) est reconstruite. Toutefois, malgré l’utilisation d’un système de suivi du rythme cardiaque pour la réalisation du scanner diagnostique et du scanner de simulation, les deux imageries ne sont pas de qualité identique. Cela peut être expliqué par la différence de technologie entre les deux scanners, le scanner diagnostique possédant une résolution temporelle bien supérieure à celle du scanner de radiothérapie. Une autre explication possible est l’injection de béta bloquants lors de l’imagerie diagnostique qui modifient l’allure et la vitesse du rythme cardiaque. Le recalage déformable des images est donc effectué à partir d’informations hybrides de densités et d’informations anatomiques contenues dans les contours du cœur réalisés sur les deux scanners. La matrice de déformations obtenue permet de copier les contours du foyer de tachycardie ventriculaire sur le scanner de dosimétrie. Ces contours sont ensuite validés par le cardiologue et le radiothérapeute. Pour prendre en compte les mouvements du cœur pendant le traitement, une marge de 3 mm est ajoutée à ce contour pour former le PTV.


Figure 1. Ensemble des étapes permettant de définir la cible du traitement de radio-ablation des foyers de tachycardie ventriculaire : navigation électro-anatomique 3D (1), scanner de cardiologie (2), fusion du scanner de radiologie et du scanner de dosimétrie (3), recopie du contour sur le scanner de dosimétrie (4).


Figure 2. DRRs utilisées pour le suivi des mouvements du cœur pendant le traitement

Radiothérapie : prendre en compte les mouvements
Comme expliqué précédemment, le mouvement du cœur pendant le traitement est régi par le cycle respiratoire et le cycle cardiaque. Ces deux mouvements n’étant pas corrélés, aucun modèle n’est disponible permettant de prédire la position du foyer de tachycardie ventriculaire pendant le traitement. Deux approches sont alors possibles : ne prendre en compte aucun mouvement et définir un ITV (Bellec, et al., 2022) ou prendre en compte le mouvement respiratoire pour le traitement et ainsi limiter les marges. C’est cette deuxième approche qui a été choisie.

Le Cyberknife offre plusieurs modes de positionnement et de suivi du volume cible adaptés aux différentes localisations anatomiques. Dans le cas qui nous intéresse, c’est le positionnement ‘Fiducials with respiratory’ qui a été choisi. Ce mode de positionnement utilise un fiduciel interne pour évaluer le mouvement du volume cible, et des diodes lumineuses sur la poitrine du patient pour enregistrer le cycle respiratoire du patient. Un modèle est généré permettant de relier le mouvement du volume interne au cycle respiratoire externe. L’implantation de fiduciels dans le cœur étant impossible, c’est le bout de la sonde du pacemaker située à la pointe du ventricule droit qui a été utilisé comme fiduciel pour le traitement (Fig. 2). Le bout de cette sonde étant solidaire du cœur, il permet de suivre les mouvements du cœur en fonction du temps. Bien que le bout de cette sonde soit soumis aux mouvements du cœur et de la respiration, un modèle a pu être créé pour l’ensemble des patients à l’exception d’un seul pour qui un ITV a dû être utilisé.

Il n’est cependant pas possible de corriger les rotations du volume cible avec un seul fiduciel (trois au minimum sont nécessaires). Seules les translations sont prises en compte dans le modèle. Un plan de positionnement ‘Spine’ est également créé pour corriger les rotations du volume cible avant le traitement. Ce positionnement utilise la vertèbre la plus proche du volume de traitement pour positionner le patient.

L’ensemble des plans de traitement ont été optimisés dans le TPS Precision (Accuray, California, US) avec l’optimiseur VoLo. Les calculs de dose pendant l’optimisation ont été faits avec l’algorithme ‘Finite Size Pencil Beam’ pour éviter une augmentation de la fluence dans les zones pulmonaires. Par contre, le calcul de dose final, sur lequel est basée la prescription, a été fait avec l’algorithme Monte Carlo. La prescription est de 20 Gy à 80 % de la dose maximale, soit une dose maximale dans le volume cible de 25 Gy. Afin de réduire au maximum le temps de traitement, la majorité des plans de traitement ont été réalisés avec le collimateur MLC.

Bibliographie
• Bellec, J., Rigal, L., Hervouin, A., Martins, R., Lederlin, M., Jaksic, N., . . . Simon, A. (2022, March). Cardiac radioablation for ventricular tachycardia: Which approach for incorporating cardiorespiratory motions into the planning target volume? Physica Medica, 95, 16–24. doi:10.1016/j.ejmp.2022.01.004
• Maury, P., Monteil, B., Marty, L., Duparc, A., Mondoly, P., & Rollin, A. (2018, June). Three-dimensional mapping in the electrophysiological laboratory. Archives of Cardiovascular Diseases, 111, 456–464. doi:10.1016/j.acvd.2018.03.013
• Prusator, M. T., Samson, P., Cammin, J., Robinson, C., Cuculich, P., Knutson, N. C., . . . Hugo, G. D. (2021, November).
Evaluation of Motion Compensation Methods for Noninvasive Cardiac Radioablation of Ventricular Tachycardia. International Journal of Radiation Oncology* Biology* Physics, 111, 1023–1032. doi:10.1016/j.ijrobp.2021.06.035

Erwann RAULT, PhD
Frederik CROP, PhD

Camille ADRIEN, PhD Service de Physique
Thomas LACORNERIE, MSc Centre Oscar Lambret, Lille

Article paru dans la revue “Société Française des Jeunes Radiothérapeutes Oncologues” / SFJRO n°02

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