Point de vue du pharmacologue
L’utilisation du néfopam 20 mg injectable sur un sucre ou dilué dans un verre d’eau est devenu une pratique courante qui se heurte à un questionnement pharmacologique d’ordre pharmacodynamique et pharmacocinétique.
En effet, cette substance a été commercialisée comme antidépresseur du fait de ses effets inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la dopamine avant d’être « recyclée » comme antalgique. A noter qu’elle est aussi un anticholinergique. Elle était alors administrée à raison de 30 mg/prise 4 fois par jour et par voie orale. Les données de pharmacocinétique dataient de 19801 et montraient une biodisponibilité orale moyenne (40 %) avec une Cmax très variable (29-67 ng/ml) un tmax à 2h et un temps de demi-vie d’élimination court estimé à 4 heures.
On considère que 60 mg oral équivaut à 20 mg administré par voie intramusculaire. Son métabolisme hépatique génère un métabolite actif, le déméthylnéfopam. A ce jour, aucune étude clinique n’a jamais évalué l’efficacité antalgique de l’administration orale de 20 mg de la forme injectable et ce, que ce soit sur un sucre, pour en passer le mauvais goût, ou après dilution dans l’eau. Un travail très récent vient de réévaluer la pharmacocinétique du néfopam administré en comprimé et par voie orale à la dose de 75 mg chez des volontaires sains2. Il confirme un tmax aux alentours de 2-3 heures et une t1/2 d’élimination d’environ 4 heures avec formation rapide du métabolite actif qui prolonge les effets. Par contre, aucune courbe n’est disponible pour une dose unique de 20 mg.
Au total, à l’ère de « la médecine par les preuves », l’administration du néfopam injectable, par voie orale et à la dose de 20 mg se heurte à l’absence de données solides de pharmacocinétique et d’efficacité. Tout au plus peut-on affirmer que le produit passe certainement la barrière digestive, avec une mauvaise biodisponibilité et un pic de concentration aux alentours de 2-3 heures après son administration. Sa pharmacodynamie, et en particulier son effet anticholinergique associé à sa latence d’action, ne font certainement pas de ce produit une molécule de choix pour l’urgence en gériatrie. Son association à des médicaments sérotoninergiques indirects, tels que les antidépresseurs et le tramadol, expose de plus à un risque de syndrome sérotoninergique.
Laurent MONASSIER
Bibliographie
1 - Heel et coll. DRUGS 1980, 19(4) : 249-267.
2 - Mittur, Eur J Drug Metab Pharmacokinetic.
Point de vue du gériatre
Le néfopam est un antalgique non opioïde d’action présumée centrale dont le mécanisme d’action est mal connu. Il possède des propriétés anticholinergiques et sympathicomimétiques.
Les voies d’abord validées sont la voie intraveineuse et la voie intramusculaire. Il n’existe pas de données cliniques validées pour la voie orale (« sur un sucre »).
Il est indiqué comme traitement symptomatique des affections douloureuses aiguës, notamment des douleurs post-opératoires.
Il abaisse le seuil épileptogène, expose au risque de rétention urinaire en cas d’obstacle urétro- prostatique et de glaucome aigu en cas de fermeture de l’angle. Le néfopam n’est pas dépresseur respiratoire.
Les effets indésirables comprennent principalement la rétention urinaire, les nausées, la sécheresse buccale, la somnolence, l’hyperhydrose et la confusion.
Il existe peu de données concernant l’efficacité du néfopam dans la prise en charge de la douleur chronique. La majorité des revues systématiques et recommandations concernent la douleur aiguë ou post-opératoire. Deux revues systématiques Cochrane évaluant l’efficacité d’une dose unique de néfopam dans la prise en charge de la douleur post-opératoire, observent respectivement l’insuffisance de données en faveur d’une efficacité du néfopam et l’absence de données issues d’essais thérapeutiques1, 2. Une autre revue systématique de Cochrane évaluant l’efficacité du néfopam dans la polyarthrite rhumatoïde, incluant trois petits essais thérapeutiques, comprenant de nombreux biais, n’objective qu’un faible niveau de preuve de l’efficacité du néfopam par rapport au placebo. Des effets indésirables sont cependant rapportés3.
Au total, tant en raison de ses propriétés pharmacologiques (effets anticholinergiques) que de son rapport bénéfice/risque en clinique qui est peu favorable, le néfopam n’est pas un antalgique à utiliser en première intention chez la personne âgée. L’efficacité de la voie orale n’est pas démontrée.
Thomas VOGEL
Bibliographie
Article paru dans la revue “La Gazette du Jeune Gériatre” / AJG N°18