Le déconventionnement : une issue libératoire ?

Publié le 14 May 2022 à 06:03

Le gel des tarifs des spécialités techniques en 2007 pousse au déconventionnement des gynécologues en secteur 1. Le Docteur Marie-Laure Sonnet, endocrinologue et gynécologue médicale à Vendôme (Loir-et-Cher), déconventionnée depuis 2018, nous livre son témoignage riche d’enseignement.


Marie-Laure SONNET*
propos recueillis par E. PAGANELLI**

E.P : Pouvez-vous nous présenter en quelques mots votre parcours professionnel ?
ML.S : J’ai effectué un DES internat d’endocrinologie ainsi qu’un DESC de gynécologue médicale et médecine de la reproduction. En 1994, j’ai installé mon cabinet à Vendôme. J’ai opté pour le secteur 1 qui à l’époque était encore attractif puisque jusqu'alors les honoraires étaient indexés sur l'augmentation des prix. Jusqu'en 2009, nous étions six gynécologues. Depuis le départ à la retraite d'une consœur en 2012 et le décès d'un confrère en 2016, qui n'ont pas été remplacés, nous exerçons à 4 praticiens dont 2 proches de la retraite. Et compte tenu des conditions d'exercice actuellement recherchées par nos jeunes confrères, je suis très pessimiste concernant l'arrivée d'éventuels successeurs.

E.P : Pourquoi avez-vous décidé de vous déconventionner ?
ML.S : Tout d'abord, le fait d'exercer dans la région Centre, zone géographique "déserte," a facilité mon choix. Cela aurait été beaucoup plus compliqué dans certains territoires encore bien pourvus en praticiens. L’idée du déconventionnement a maturé durant deux années et la décision résulte de l’agrégation de plusieurs facteurs : j’ai uniquement une activité de consultation qui, comme vous le savez, est très chronophage avec 2 à 3 patients à l’heure. En 2007, le tarif de la consultation a été gelé pendant 11 ans. Dans le même temps, nos charges de fonctionnement ont explosé. L'assureur à multiplié ses tarifs par 2,5, l'expert-comptable a triplé ses honoraires.  Pour ma part, il était bien difficile d'appliquer comme certains spécialistes des honoraires en C2 puisque l'immense majorité des patientes nous consultent directement sans en référer à leur médecin traitant.
En conséquence, j’ai dû réduire mes charges pour maintenir un niveau de vie. J’ai par exemple réduit les heures de mon secrétariat qui sont passées de 26 heures à 12 heures par semaine. Malgré tout, c’est un poste qui pèse énormément. En 1999, j'ai été une des premières dans mon département à m'équiper d'un logiciel permettant la télétransmission. Au début des années 2000, l'indemnisation octroyée par la CPAM couvrait la quasi-totalité des frais d'abonnement et de maintenance du logiciel. Au fil du temps, cette indemnisation s'est réduite comme peau de chagrin, ce qui fait que cet outil, qui certes rendait service à la caisse primaire, me coûtait en 2018 environ 1000 euros par an d'abonnement au logiciel, sans compter la facturation d'éventuelles pannes facturées, y compris à distance, 80 euros de l'heure. Depuis mon déconventionnement, j'ai repris les vieilles feuilles papiers adressées gratuitement par la caisse...
À chiffre d’affaires constant, avec des charges ayant plus que doublé, les revenus issus de mon activité ont chuté. Le gel des tarifs a été une perte sèche pour nous, contrairement à nos confrères généralistes qui ont pu mieux se défendre et ont négocié des reversements sur objectifs dont nous n’avons pas bénéficié.
La goutte d’eau qui a fait déborder le vase a été la décision du tiers payant généralisé qui nous obligeait à une avance de trésorerie alors que nous avions déjà une marge sur les actes qui était extrêmement faible. En conséquence, ce décalage de trésorerie dû au tiers payant généralisé aurait entraîné un découvert bancaire que je ne voulais accepter, sans compter les soirées consacrées à vérifier les retours des caisses, des mutuelles, à pointer les impayés, etc.
En résumé, depuis 2007, plus le temps passait, plus je voyais que la situation s'aggravait...
Afin de garder un revenu constant, il fallait augmenter le nombre d'actes quotidiens mais aussi réduire le temps de chaque consultation. Je me suis refusée à l'une et l'autre de ses solutions puisque cela nuisait à la relation entretenue avec les patientes mais aussi à la qualité de l'acte.

E.P : Quelle(s) conséquence(s) le déconventionnement a-t-il eu sur votre activité ?
ML.S : Je suis déconventionnée depuis le 1er janvier 2018. Je fais peut-être 3 à 4 actes en moins dans la journée mais je peux exercer mon métier avec les valeurs qui me sont chères : la qualité d’échange avec la patiente, la qualité de l’examen et de la prise en charge globale. Je suis moins sous pression ainsi que ma secrétaire puisque nous pouvons accéder facilement à toute demande urgente dans la journée. Les patientes connaissent les conditions et finalement elles sont très satisfaites : je réalise environ une vingtaine d’actes par jour, je suis à 10 jours d’attente seulement pour les RDV et j’arrive à garder de la place pour les urgences que je peux recevoir dans la journée. Et maintenant je peux faire ce que je ne pouvais plus faire : prendre des nouveaux dossiers. Une relation de confiance s’est établie avec mes patientes qui en majorité me sont restées fidèles et trouvent un avantage dans ce temps qui a été libéré pour les recevoir. J'ai pu stabiliser et même améliorer ma situation financière (sans bien sûr revenir au niveau de 2007 !). Je vais augmenter le prix de l'acte de façon raisonnable en fonction de la hausse des prix et de mes charges (vraisemblablement entre 2 et 5 euros en 2020).

E.P : Vous déplorez un système de santé qui dévalorise la valeur de l’acte ?
ML.S : Le point de fracture selon moi a été la Rémunération sur Objectifs de Santé Publique (ROSP). J’étais farouchement contre. La sécurité sociale va monter ses objectifs qui vont devenir finalement inatteignables. Le système est à bout de souffle : nous ne sommes pas nombreux, et dans deux ans nous le serons encore moins. Par exemple, dans une ville comme Vendôme qui compte 18 000 habitants et 22 000 en comptant les communes limitrophes, d'ici 3 à 4 ans, si rien ne change, il n'y aura quasiment plus aucun médecin spécialiste.
C’est un système dont je n’attends plus rien. Mon objectif est de me détacher de tout ce carcan administratif. Je voulais recentrer le métier de médecin sur l’activité médicale. Tout le temps que j’ai, je le consacre à mes patientes.

E.P : Pour les patients d’un médecin déconventionné, le remboursement est très faible. Comment vos patientes le perçoivent-elles ?
ML.S : Mon tarif de consultation est de 40 euros.
Certaines patientes me font remarquer que pour une consultation de 30 minutes minimum, le tarif que je pratique est tout à fait justifié. Par ailleurs, il y a des mutuelles qui remboursent, notamment des mutuelles d’entreprises.

E.P : Et quelle incidence le dé conventionnement a-t-il eu sur votre couverture sociale ?
ML.S : j’ai vu ma cotisation URSSAF doubler et je ne peux plus cotiser à l’ASV (Allocations supplémentaires de vieillesse). Le surplus d'honoraires, je vais le déposer sur un compte épargne retraite afin de compenser mon exclusion de l'ASV par la CARMF.

E.P : Donc vous ne regrettez pas votre choix ?
ML.S : Pas du tout ! S’il y avait eu une reconnaissance de notre métier par le système (sécurité sociale, ARS), si on avait valorisé l’acte sur l’indice du coût de la vie, jamais je n’aurais fait ce choix. Mais avec le gel des tarifs, il aurait fallu augmenter la cadence des consultations au détriment de l’échange, de la relation et de la qualité de la consultation, et cela je m’y refusais catégoriquement. Tout ce que nous avons appris par nos Maîtres, j’ai l’impression qu’aujourd’hui cela passe au second plan. Je voulais garder la spécificité de notre métier, c’est-à-dire la relation humaine d’un médecin avec son patient et ce que nous pouvons lui apporter en termes d’expériences et connaissances que l’on nous a transmises. Je ne regrette rien, j’aime mon métier et j’encourage la jeunesse à l’exercer, tout en notant que la société à changer, l'état d'esprit de nos jeunes confrères aussi, ils ont sûrement raison de vouloir réduire leurs horaires de travail, de vouloir bénéficier de congés maternité, ce qui nous paraissait inaccessible... La pénurie vient aussi beaucoup du fait que pour remplacer un médecin partant à la retraite, il faut 2 voire 3 jeunes confrères...
Pour ma part, le dé conventionnement était la seule issue pour que je puisse continuer à travailler tel que je concevais mon travail. Je vais maintenir mon choix jusqu’à ma retraite.

Pour en savoir plus
La loi autorise les médecins à exercer « hors convention ». En d’autres termes, ils refusent d’adhérer à la convention organisant les rapports entre les médecins libéraux et l’Assurance Maladie.
Les médecins peuvent ainsi fixer leurs honoraires librement mais en contrepartie, l’Assurance Maladie ne participe pas au paiement de leurs cotisations sociales. Le médecin qui ne souhaite plus être régi par les dispositions de la convention en informe la caisse primaire d’Assurance Maladie de son lieu d’installation par lettre recommandée avec avis de réception. Sa décision prend effet un mois après la date de réception de son courrier par la caisse.
Les malades de leur côté sont très peu remboursés puisque l’Assurance Maladie ne rembourse que sur la base du tarif d’autorité (article L.162-5-10 du code de la sécurité sociale et l’arrêté du 1er décembre 2006 modifiant l'arrêté du 9 mars 1966). Ce tarif d’autorité est fixé entre 0,6 et 1,2 euros selon le médecin concerné (généraliste ou spécialiste). Ce remboursement peut déclencher l’intervention de la complémentaire santé pour les patients qui disposent d’un tel contrat. Le tarif d’autorité est fixé à 16% du tarif conventionnel pour la prise en charge des actes techniques.
Dans tous les cas les médecins sont tenus d’informer les patients de leur situation au regard de la convention. Ils disposent de feuilles de soins où l’exercice hors convention est indiqué.
Le médecin doit afficher dans son cabinet le texte suivant :
« Votre médecin n'est pas conventionné ; il détermine librement le montant de ses honoraires. Le remboursement de l'Assurance Maladie se fait sur la base des tarifs d'autorité, dont le montant est très inférieur aux tarifs de remboursement pour les médecins conventionnés. Si votre médecin vous propose de réaliser certains actes qui ne sont pas remboursés par l'Assurance Maladie, il doit obligatoirement vous en informer. Dans tous les cas, il doit fixer ses honoraires avec tact et mesure. ».
Source :
https://www.macsf-exerciceprofessionnel.fr/Exercice-liberal/Exercer-au-quotidien/consequences-deconventionnement-medecin

Article paru dans la revue “Syndicat National des Gynécologues Obstétriciens de France” / SYNGOF n°119

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Publié le 1652501036000