Le B.A-BA de la recombinaison homologue dans les cancers épithéliaux de l’ovaire

Publié le 22 Feb 2024 à 16:46
Article paru dans la revue « AERIO / RIO » / RIO N°6


Introduction

Les cancers de l’ovaire (incluant les primitifs de l'ovaire, des trompes de Fallope et du péritoine) constituent les tumeurs malignes gynécologiques les plus létales et sont d’origine épithéliale dans 90  % des cas. Plus spécifiquement, ces cancers englobent un ensemble hétérogène de sous-types dominés par les cancers séreux ovariens de haut grade (CSOHG) qui représentent à la fois les tumeurs les plus fréquentes (70  %) et les plus agressives, notamment parce que 70  % des cas sont diagnostiqués à un stade avancé FIGO III/IV. Pour ces stades avancés, le traitement standard de 1ère ligne (tout comme la 1ère  rechute) repose principalement sur la chirurgie de cytoréduction maximale (première ou intervallaire), associée à une thérapie systémique à base de paclitaxel et carboplatine, auquel peut être adjoint le bevacizumab. Alors qu’une réponse initiale aux sels de platine est observée chez environ 70 % des patientes, une rechute apparait cependant dans plus de 75  % des cas, ce qui conduit inéluctablement à l’entrée dans une phase palliative de la maladie et au décès, soulevant la nécessité de nouvelles armes thérapeutiques. À l’échelle moléculaire, les CSOHG sont caractérisés dans environ 50  % des cas par un défi cit de la recombinaison homologue (HRD). Cette altération a permis l’émergence des inhibiteurs de poly-(adénosine diphosphate-ribose) polymérase (PARPi), amenant un changement substantiel du pronostic des patientes. À la suite d'essais cliniques princeps, 3 inhibiteurs de la PARP (olaparib, niraparib et rucaparib) ont pu être intégrés en pratique clinique en traitement d’entretien de 1ère ligne et en rechute. Cependant, leur efficacité et par voie de conséquence leur prescription dépend de la présence de certaines caractéristiques biocliniques dont un statut HRD, notamment évaluées par des tests compagnons (CDx) moléculaires qui sont un sujet de haute actualité de par leurs performances, leurs coûts et leur pertinence.

Le statut HRD, pierre angulaire de la réparation de l’ADN

Le processus de recombinaison homologue (HR) représente le système de réparation haute-fidélité des cassures double-brin de l’ADN. Il implique une succession d’étapes et d’acteurs  moléculaires (dont les protéines BRCA1, BRCA2 ainsi que les recombinases RAD51). Ainsi, le statut HRD correspond à l’impossibilité pour une cellule d’utiliser le système HR afin de maintenir l’intégrité du génome. Le statut HRD peut par ailleurs être appréhendé selon une approche causes et conséquences.

Brièvement, la cause principale de ce défi cit est la présence d’une altération moléculaire des gènes BRCA1 ou BRCA2 (environ 30  % des cas de CSOHG). Ces altérations peuvent être germinales, affectant BRCA1 (gBRCA1*) dans 8 % des cas et BRCA2 (gBRCA2*) dans 6 % des cas ; elles peuvent également être exclusivement somatiques, représentant 4  % (sBRCA1*) et 3  % (sBRCA2*) des cas (Figure 1). Par-delà les mutations ponctuelles affectant la séquence codante des protéines BRCA1 et BRCA2, des longs réarrangements  multi-mégabasiques ont aussi été caractérisés. Sur le versant épigénétique, une hyperméthylation du promoteur de BRCA1 est retrouvée dans 11  % des cas  ; dans une moindre mesure, une hyperméthylation du promoteur de BRCA2 est aussi retrouvée. En l’absence d’altération de BRCA1/2 (BRCAwt), l’ensemble des autres causes possibles menant à un statut HRD est regroupé sous l’idiome BRCAness. Notons par exemple les mutations bi-alléliques des autres gènes associés au processus HR (i.e. gènes HRR)  ; inversement, un sous-ensemble d’HGSOC de mauvais pronostic avec amplification de CCNE1 a été décrit, quasi systématiquement associé à un statut HR conservé. Sur le versant épigénétique, la méthylation des promoteurs de gènes HRR (i.e. RAD51C et PALB2) ou la surexpression de certains microARN et ARN longs non codants ont aussi été décrites.

Figure 1  : causes du statut HRD (adapté de Quesada et al., 2022)

Abréviations  : HRR genes = gènes reliés à la recombinaison homologue  ; LR = longs réarrangements (e.g. délétions/duplications d’exons).

Figure 2  : conséquences du statut HRD (adapté de Quesada et al., 2022)
Abréviations  : LOH  : perte d’hétérozygotie  ; LST  : état de transition à grande échelle  ; MMEJ  : jonction d'extrémité médiée par la microhomologie  ; OS  : survie globale  ; PFS  : survie sans progression  ; PTM  : modification posttraductionnelles des protéines  ; TAI  : déséquilibre allélique des télomères.

Sur le versant conséquences, la pierre angulaire du HRD est la promotion d’une instabilité génomique (figure 2). Celle-ci peut être à l’échelle microlésionnelle par des substitutions/délétions de bases caractéristiques réparties à travers le génome. À l'échelle sub-chromosomique, un statut HRD amène à l’accumulation de «  cicatrices génomiques  » puisque constituant une empreinte permanente et irréversible de cette instabilité génomique. Trois types d'altérations sont spécifiquement enrichies dans les tumeurs HRD  : perte d’hétérozygotie (LOH), état de transition à grande échelle (LST) et déséquilibre allélique des télomères (TAI). Ces altérations sont retrouvées à travers le génome et leur enrichissement global permet de définir un score d'instabilité génomique (GIS). D’autres causes et conséquences moléculaires du statut HRD ont déjà été décrites de manière extensive par ailleurs.

Cliniquement, les «  tumeurs HRD » présentent une sensibilité accrue aux sels de platine et aux PARPi, bien que des différences existent en fonction du mécanisme HRD sous-jacent. La sensibilité aux PARPi repose sur la létalité synthétique  ; ce concept repose sur le fait que les cellules cancéreuses portent des défauts génétiques qui ne sont pas létaux per se, mais qui le deviennent lorsqu'ils sont combinés avec une seconde altération. Les protéines PARP1 et 2 prennent en charge les cassures simple-brin via le mécanisme de réparation par excision de base. Via les PARPi, cette voie n’est plus fonctionnelle, menant à l’accumulation de cassures simple-brin qui vont progresser vers des cassures double-brin. En contexte HRD, ces dernières ne pourront donc être réparées efficacement, conduisant à la mort cellulaire in fi ne. En termes de pronostic, un statut HRD a tendance à conduire à une survie sans progression (PFS) et une survie globale (OS) améliorées, en partie causées par de meilleures réponses aux traitements.

Tests compagnons (CDx) d’évaluation du statut HRD validés en pratique clinique

Plusieurs tests compagnons ont été validés comme préalables à la prescription de PARPi. À ce jour, 3 CDx ont reçu l'approbation de la Food and Drug Administration (FDA) pour les cancers épithéliaux de l’ovaire. Aux USA (et contrairement à l’Europe), l’utilisation d’un CDx pour une recherche moléculaire donnée nécessite une approbation spécifique de la FDA. Selon la dichotomie causes/conséquences, l'évaluation du statut HRD repose principalement sur deux stratégies : la recherche de mutations génétiques (causes) et/ ou la présence de cicatrices génomiques (conséquences).

Sur le versant «  causes  », l’analyse d’altérations de BRCA1/2 se fait soit en germinal (i.e. gBRCA*) sur prélèvement sanguin soit directement sur la tumeur (i.e. tBRCA*), avec une distinction majeure entre ces deux approches. En effet, une mutation tumorale tBRCA* peut révéler 2 situations distinctes  : soit être strictement somatique soit révéler un contexte de mutation germinale. La principale limite d’une recherche de gBRCA* réside dans le fait que ceci ne permet que la recherche exclusive des mutations germinales. Ainsi, un résultat négatif n'exclut pas la présence d’une mutation tumorale exclusivement somatique.

Au-delà de BRCA1/2, des CDx basés sur les prélèvements tumoraux combinent le séquençage de tBRCA et l’évaluation d’un GIS. Le test «  historique  » MyChoice-CDx® (MC-CDx) de MyriadGenetics repose sur un score composite (GISMG), défi ni comme la somme non pondérée du LOH, du LST et du TAI. Ce test est positif en cas de GISMG ≥ 42 et/ou de mutation délétère tBRCA1/2*. Ce seuil de 42 a été fixé suite à l'analyse initiale d'une cohorte mixte (cancers du sein et cancers de l’ovaire), afin de déterminer avec une sensibilité de 95 % les échantillons présentant une dysfonction de BRCA1/2.

Au vu de son intérêt théranostique, l’évaluation d’un score d’instabilité a été inclus dans les recommandations internationales de l’European Society for Medical Oncology (ESMO) et de l’American Society of Clinical Oncology (ASCO). Les références listées page suivante permettront aux lecteurs d’avoir une vision détaillée de cet impact théranostique. Brièvement, retenons que le statut HRD évalué par le GIS trouve son intérêt pour la maintenance de 1ère ligne par PARPi : aux tumeurs tBRCA* l'olaparib (essai SOLO-1) +/- bevacizumab et aux tumeurs HRD la combinaison olaparib plus bevacizumab (essai PAOLA-1) ou le niraparib (essai PRIMA) en cas d’inéligibilité au bevacizumab. Notons globalement une tendance à un effet plus important en contexte tBRCA* que BRCAness. En contexte HRP, le niraparib (essai PRIMA) est considéré comme une option avec cependant un gain modeste sur la PFS, amenant à discuter au cas par car la meilleure maintenance entre le niraparib et le bevacizumab. Concernant la 2nde ligne, toutes les patientes platino-sensibles (c’est-à-dire ayant un intervalle sans-platine > 6 mois) et présentant une réponse partielle ou complète au rechallenge par sels de platine peuvent potentiellement recevoir un PARPi de maintenance. À noter que pour l’olaparib, une altération de tBRCA* est nécessaire.

Pour recentrer sur la perspective clinique, au diagnostic d’un CSOHG, l'évaluation du statut HRD (via la recherche de mutations de tBRCA1/2 et/ou la mesure du GIS) est devenue un fait incontournable. Les recommandations françaises actuelles (Saint-Paul de Vence / GINECO) préconisent l’analyse des gènes BRCA1/2 dès diagnostic et en premier sur la tumeur. Le GIS est à considérer en cas d’absence d’altération des gènes BRCA1/2, bien que l’analyse en parallèle soit une alternative. Par ailleurs, il apparait essentiel de rappeler la nécessité d’une consultation d’oncogénétique pour rechercher une altération germinale en présence d’une mutation tBRCA* ou en cas de contexte évocateur (e.g. âge au diagnostic avant 70  ans, présence d’antécédent personnel/familial de cancers du spectre BRCA1/2).

Concernant le choix de la technique utilisée pour l’évaluation du GIS, l’année 2022 a vu son lot de modifications et de changements. En effet, la HAS a rendu le 7 juillet 2022 (avis n°2022.0041/AC/SEAP) un avis favorable à l’inscription de la détermination du statut HRD (via la mesure du GIS) sur la liste des actes et prestations remboursées. La combinaison OlaBeva a basculé du statut accès précoce vers un remboursement classique par la Sécurité Sociale début novembre 2022 (arrêté du 4 novembre 2022 du JO). Tout ceci dans un contexte d’arrêt de prise en charge du test MC-CDx par AstraZeneca® depuis le 30 septembre 2022. Ainsi, 2 stratégies principales sont possibles pour les cliniciens/pathologistes en 2024 afin d’évaluer le statut HRD : la poursuite de l’utilisation du test MC-CDx via l’envoi des échantillons vers un laboratoire satellite versus le déploiement local d’une solution académique (e.g. GISCAR, shallowHRD) ou commerciale (e.g. SophiaGenetics, SeqOne).

Au-delà d’une compétition entre solutions institutionnelles et commerciales et du temps de déploiement des nouvelles stratégies, cette nouvelle dynamique permettra à toutes nos patientes de bénéficier de l’évaluation du statut HRD.

Dr Stanislas QUESADA
Institut régional du Cancer de Montpellier (ICM – groupe UNICANCER)
[email protected]

Pour aller plus loin

> Quesada S, Fabbro M, Solassol J. Toward More Comprehensive Homologous Recombination Defi ciency Assays in Ovarian Cancer, Part 1: Technical Considerations. Cancers 2022;14:1132. https://doi.org/10.3390/cancers14051132.

> Quesada S, Fabbro M, Solassol J. Toward More Comprehensive Homologous Recombination Defi ciency Assays in Ovarian Cancer Part 2: Medical Perspectives. Cancers 2022;14:1098. https://doi.org/10.3390/cancers14041098.

> Quesada S, Solassol J, Ray-Coquard I, Fabbro M. Défi cit de la recombinaison homologue dans les cancers épithéliaux de l’ovaire : de la caractérisation moléculaire au parcours des patientes. Bulletin du Cancer 2023;110:371–81. https://doi.org/10.1016/j.bulcan.2023.02.004.

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