INTERVIEW
Quelles sont les violences subies par les étudiantes et étudiants en médecine générale ? La thèse de Sara Eudeline et Amélie Jouault, soutenue en octobre 2020 à la Sorbonne, a eu un écho retentissant dans les médias. Les journalistes et les Français découvrent alors combien le parcours médical peut être émaillé de souffrances et d’humiliations pour les futurs médecins. Amélie et Sara reviennent sur la genèse de leur thèse, leur engagement et leurs espoirs.
Pourquoi ce thème de thèse ?
Amélie.- Quand j’ai lu Omerta à l’hôpital de Valérie Auslender en 2017, j’ai réalisé combien cette violence était ordinaire dans notre parcours. J’ai aussi choisi ce sujet car j’y ai été confrontée, en stage. Je m’étais lancée seule dans cette thèse, mais voulant réaliser une enquête nationale, mon directeur de thèse m’a conseillé de partager le travail avec un autre étudiant. Seule, ce n’était pas possible…
Sara.- C’est là où je me suis greffée. Je n’avais pas de sujet de thèse et les recherches d’Amélie m’intéressaient vraiment. C’est un sujet qui faisait aussi écho à nos conversations récurrentes à propos de nos mauvaises expériences.
étudiant, un interne ou un médecin n’est pas invincible. Reconnaître souffrance est premier pas pour dire stop.
Votre enquête a été menée auprès de 2 179 internes des 37 universités de France. Quel fut votre principal constat ?
Amélie.- Les violences sont omniprésentes (>99 % des étudiants confrontés à 5 formes de violences différentes en médiane), alors que les étudiants n’en parlent pas. Au départ, on a cru qu’il y avait une erreur tellement les chiffres étaient élevés ! Ces violences peuvent commencer dès la première année.
Sara.- A travers tous les témoignages recueillis, nous avons réalisé combien les internes en MG ont intériorisé ces humiliations. Les 120 pages de témoignages recueillis nous ont surprises et montrent bien que les étudiants confient leur souffrance, lorsqu’un espace leur est dédié et la question posée.
Quels sont les mécanismes de la violence en médecine ?
Amélie et Sara.- Le premier mécanisme est l’omerta. La violence s’arrange pour que la victime ne parle pas. Il y a toujours une bonne raison : le rapport hiérarchique, la honte, la compétition entre internes. L’hôpital est un huis clos, sans contre-pouvoir. Le deuxième mécanisme est de faire rire pour faire taire. Et cet humour carabin est un outil de socialisation qui nous contraint. Sous le couvert d’une blague, les propos sont délibérément rabaissants ou sexistes.
Comment peut-on continuer à exercer quand on est victime de harcèlement ?
Amélie.- On n’a pas le choix, vu le caractère systémique des violences, soit on accepte et on termine le cursus, soit on arrête, ce qui est peu fréquent. Par contre, beaucoup d’étudiants présentent des critères péjoratifs de l’état de santé, ce qui détériore la qualité de leur apprentissage et de leur pratique clinique. Il faut aussi savoir que, comme dans les violences conjugales, un étudiant ou un interne qui a été victime de violences peut, plus tard, être à son tour harceleur. La violence se répète.
Que faut-il faire pour briser ce mécanisme de la violence ?
Amélie.- Il faut essayer de faire confiance à nos impressions. Quand on ne se sent pas bien, même si on a du mal à mettre les mots sur ce malaise, il faut chercher à savoir si ce n’est pas à cause de violences. C’est très difficile de les refuser, parce que ceux qui sont statistiquement le plus fréquemment les agresseurs, sont aussi ceux qui nous évaluent.
Sara.- Un étudiant, un interne ou un médecin n’est pas invincible. Reconnaître cette souffrance est un premier pas pour dire stop.
Avez-vous l’espoir que ces violences cessent dans le milieu médical ?
Amélie et Sara.- Le phénomène #MeToo a libéré la parole et c’est une bonne chose. Nous remarquons aussi que les choses changent, petit à petit. Nous sommes invitées à évoquer le sujet de notre thèse dans les facs de médecine, à un congrès ou au sein d’une commission hospitalière. L’observatoire national des violences faites aux femmes nous a également contacté pour travailler ensemble. Le sujet des violences familiales et conjugales fait aussi – enfin partie de l’ECN depuis 2019.
Vous êtes toutes les deux installées en tant que médecin généraliste.
Avez-vous tourné la page des violences ?
Amélie.- On se sent mieux après avoir compris tout ça, et ça donne confiance de savoir que ce n’était pas normal, et que ce n’était pas de notre faute. En tant que soignant, c’est difficile de savoir si quelqu’un subit des violences. Cela nécessite une formation. Les gens le cachent parce qu’ils ont honte. Donc il faut leur poser la question, systématiquement en consultation, comme c’est recommandé par la HAS, et les orienter si besoin vers des structures spécialisées.
Sara.- J’y suis très attentive en consultation. Aujourd’hui, c’est la parole autour de l’inceste qui se libère. Il y a aussi tellement à faire ! En tant que médecin généraliste, nous manquons de formations tant sur le sujet des violences conjugales que sur l’inceste.
LES PARENTS AUSSI SE MOBILISENT
Et si on jetait à la poubelle une bonne fois pour toute l’image de l’interne super-héros ? En finir avec ce stéréotype de l’étudiant en médecine qui connaitrait l’intégralité de son cours sur le bout des doigts, enchaînant les gardes, cultivant une vocation sans faille, toujours souriant et empathique. Laurence Marbach a créé en 2020 l’association de la Ligue pour la santé des étudiants et internes en médecine (Lipseim) suite au décès de sa fille, Elise, qui avait 24 ans. Cette association milite contre la banalisation de la souffrance et de l’épuisement pendant les études de médecine. Elle est investie dans des missions de prévention auprès des facs de médecine et dans des actions de communication auprès du grand public. https://www.lipseim.fr/
Article paru dans la revue “Le magazine de l’InterSyndicale Nationale des Internes” / ISNI N°26
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