UN PROJET INTERGÉNÉRATIONNEL & INTERNATIONAL
L’International Mental Health Congress (IMHC) s’est déroulé dans notre jolie ville de Lille du 28 au 30 avril sur le thème de la « santé mentale pour tous ».
L’Association Lilloise de l’Internat et du Post-internat de Psychiatrie (ALI2P) a eu la chance d’y participer, en animant une discussion virtuelle, à la rencontre des congressistes, venus des quatre coins du monde et issus de différentes générations. L’objectif était de partager des réflexions, des expériences, et des idées sur divers sujets autour de la santé mentale, en invitant chaque personne à rebondir sur ce qui avait été dit par la précédente.
Vous trouverez dans ces quelques pages le résultat de notre projet, on vous souhaite une bonne lecture !
QU’EST-CE QUE LA SANTE MENTALE ?
Senior : Il n’y a pas vraiment de définition. Chaque praticien a la sienne. Même si une définition consensuelle existe, donnée par l’OMS, nous ne sommes pas forcément en accord avec.
Junior : Je suis d’accord avec ça, chacun a sa propre définition. Pour moi, c’est le sentiment qu’on a quand on contrôle sa vie.
Senior : La santé mentale n’existe pas. Il y a des maladies mentales et la santé mentale ne fait pas partie de la psychiatrie.
Junior : En fait, je pense que cela a plus à voir avec le bonheur.
Senior : Les jeunes se plaignent d’être malheureux et c’est un vrai problème, mais ce n’est pas une maladie telle qu’elle est considérée par le CIM.
Junior : Quand tu as la santé mentale, alors tu n’es pas malade.
Junior : L’approche du praticien devrait être plus humaniste et pas seulement clinique.
Senior : Je suis d’accord. De plus, nous (les psychiatres) devrions prescrire moins de médicaments, particulièrement pour les patients psychotiques. Nous devrions nous intéresser plus aux pratiques chinoises et africaines : ils sont plus focalisés sur le patient en tant que personne, selon mon opinion.
COMMENT LA RELIGION INFLUENCE-T-ELLE LA SANTE MENTALE ?
Senior : La pratique de la religion peut limiter l’accès aux soins psychiatriques, comme on peut le voir à Madagascar et dans beaucoup d’autres pays, où il y a peu de psychiatres et où les psychotiques sont souvent socialement exclus. Cela peut mener à une lutte de pouvoir entre d’un côté la religion, et de l’autre la psychiatrie.
Junior : La religion est une sorte de confort pour certains, elle peut être apaisante et source d’échanges. D’un autre côté, la religion peut aussi nourrir des délires.
DE QUOI AVONS-NOUS BESOIN POUR SE SENTIR EN BONNE SANTE MENTALE ?
Senior : Ne pas se sentir déprimé, être bien intentionné et cohérent avec les patients (en tant que professionnel).
Junior : J’imagine... Le soutien social. Savoir où trouver facilement les informations quand je ne me sens pas bien ou pas en bonne santé mentale. Se sentir compétent, avoir une bonne estime de soi.
Senior : Je suis d’accord, et j’ajouterais avoir un travail satisfaisant et stable. Pour un Senior qui fait de la recherche, cela est très important.
Junior : Je suis d’accord avec le soutien social et la stabilité. Mais j’ai aussi besoin d’avoir un objectif. Rendre à la communauté ce qu’elle m’a donné... L’humour ! Gérer le stress (par la relaxation, les loisirs, en appelant des amis). Et enfin, pour certains, une vie spirituelle j’imagine.
Senior : Je dirais « contrôle ta vie », prends des décisions positives ou juste des décisions. Avoir parfois une vision large des choses.
Senior : Trois choses. Tout en équilibre. Utiliser et exercer ses talents, les choses pour lesquelles vous êtes bon. Prendre le temps d’apprécier les choses... Et venir à Lille !!
EST-IL POSSIBLE DE PROMOUVOIR LA SANTE MENTALE ?
Senior : Cela est très difficile du fait du stigma présent partout. Nous considérons facilement ceux en mauvaise santé mentale comme étant responsables de leur état, et ils sont décrits comme des personnes faibles.
Junior : Je suis d’accord avec le gros problème concernant le stigma, mais, à mon sens, les choses s’améliorent avec la jeune génération. Donc, oui ça l’est, mais la santé mentale est proche du bien-être et est ainsi compliquée à définir, et il n’est pas possible de la rétablir comme l’on voudrait.
SOMMES-NOUS EN MEILLEURE SANTE MENTALE QU’AUPARAVANT ?
Senior : Il y a une amélioration des marqueurs de santé, excepté en santé mentale. Par exemple, la première cause de décès maternel post-partum en France est le suicide, avant même les complications obstétricales. Les gens sont maintenant plus réceptifs à la maladie mentale, et les maladies sont mieux diagnostiquées. Il est important de dissocier le nombre de personnes malades et la façon dont elles se remettent d’une maladie mentale. Il y a de grands progrès dans la prise en charge de ces personnes de nos jours.
Junior : En fait, il y a une amélioration dans le traitement et le diagnostic des maladies mentales, mais nous ne sommes certainement pas plus heureux qu’auparavant. De nos jours, il y a un manque de communication entre les gens, et les psychiatres/médecins généralistes ne peuvent pas se substituer aux amis et à la famille. De plus, il est difficile de dire que nous sommes en meilleure santé mentale qu’auparavant car il n’y a pas de marqueurs objectifs de bonne santé mentale.
Senior : De nos jours, il y a un sentiment de malaise global. Les gens ont une meilleure perception subjective de la santé mentale. Mais il y a un changement majeur concernant l’image de la maladie mentale. Il est maintenant reconnu qu’on peut avoir des interactions sociales en étant malade mental. La maladie mentale n’est plus résumable par cette phrase: « Fou un jour, fou pour toujours ».
QUEL EST LE MEILLEUR ENDROIT AU MONDE POUR LA SANTE MENTALE ?
Junior : il n’y a pas de meilleur pays, mais le meilleur endroit serait un endroit où les gens peuvent s’exprimer à travers un moyen, un art, par exemple la sculpture. Cet endroit serait en dehors des structures psychiatriques.
Senior : Ce serait un pays économiquement stable avec un écart faible entre les revenus, par exemple les pays scandinaves.
Senior : Cela dépend de comment on définit la bonne santé mentale. Si on considère les soins psychiatriques, la France est le meilleur endroit car elle a le plus de psychiatres par habitants. Si on considère le bien-être, cela dépend de nos croyances personnelles.
COMMENT LA CULTURE INFLUENCE-T-ELLE LA SANTE MENTALE ?
Senior : Je ne pense pas que la culture influence la santé mentale. Cependant je pense que l’expression des maladies mentales change en fonction de la culture.
Junior : Je suis d’accord. J’ai un exemple en tête : j’avais un patient africain avec un délire à thématique religieuse. Le diagnostic de schizophrénie était difficile : s’agissait-il d’une croyance normale dans sa culture ? Ou de l’expression d’une maladie ?
Junior : A travers les croyances et votre façon de voir la santé mentale. Il y a une stigmatisation autour de la santé mentale, qui est aggravée par la façon dont les gens peuvent être hospitalisés et traités en psychiatrie. Les soins psychiatriques gagneraient à sortir de l’hôpital, pour améliorer leur image.
CHOCOLAT SEXE ET SOLEIL : DES SOLUTIONS POUR AMELIORER SA SANTE MENTALE ?
Senior : Le chocolat vous fait sentir bien mais n’améliore pas la santé mentale, c’est pareil pour le sexe et la lumière naturelle. Si je devais choisir entre les trois, je prendrais la lumière naturelle.
Junior : Oui ! Même s’ils ne durent qu’un instant, ils contribuent à la santé mentale.
Senior : Oui, ils vous font sentir bien, mais ne soignent pas les maladies mentales. Le chocolat et le sexe vous font sentir bien grâce à la sécrétion de phényléthylamine. Le sexe peut donc être remplacé par le chocolat !
COMMENT PROMOUVOIR LA SANTE MENTALE ?
Senior : A l’école… Peut-être en enseignant un « kit de premiers secours en santé mentale » comprenant des cours sur « comment réagir devant un ami qui a l’air triste ».
Senior : En racontant des expériences de rétablissement, spécialement les célébrités. En affichant que les problèmes de santé mentale sont courants.
Junior : Nous pourrions faire savoir que la santé mentale est aussi importante que la santé physique, et que nous devons prendre les mêmes précautions pour la rétablir
COMMENT PROMOUVOIR LA SANTE MENTALE A L’ECOLE ?
Junior : Des cours sur le bien-être, seul et ensemble.
Senior : Le bien-être n’est pas précis. Il serait plus judicieux de lutter contre l’idée de la « folie » et le stigma. Les troubles mentaux sont une maladie et non un choix. Tout le monde pourrait en souffrir.
Junior : Comment vivre ensemble, malgré nos différences.
Senior : « Bien » vivre ensemble.
Junior : En enseignant l’empathie. En parlant des outils. En découvrant les maladies mentales en lisant par exemple, ou grâce à des jeux de rôle.
Senior : Au Royaume-Uni, il existe une activité où le bébé enseigne aux enfants, sur les émotions et l’empathie.
Junior : Oui, apprendre à reconnaître les émotions peut aider les jeunes gens. Je le fais avec mon petit garçon. Une autre idée : en travaillant avec le CLSM (Comité Local de Santé Mentale). Créer des liens entre les politiques et les acteurs de la santé mentale pour promouvoir la santé mentale.
EST-IL NECESSAIRE D’ETRE EN BONNE SANTE MENTALE POUR PRENDRE SOIN DE L’AUTRE ?
Junior : Principalement non : nous ne nous sentons pas toujours en bonne santé mentale et celle-ci fluctue. Toutefois, nous sommes capable de prendre soin des autres. Les aidants sont l’exemple qu’il est possible de prendre soin de la santé mentale de quelqu’un d’autre sans être pour autant totalement en bonne santé mentale. Et ils sont d’une grande aide.
Senior : Je suis d’accord. De plus, cela dépend qui vous considère comme étant en « bonne santé mentale » : vous-même ou la personne en face de vous.
Nous avons ainsi pu recueillir des réponses intéressantes sur des thèmes variés, sources d’approfondissements, offrant aux participants un réel espace d’expression et de partage autour de questionnements et d’enjeux en santé mentale. Ce fut en effet une expérience qui pousse à s’interroger sur la situation actuelle, comment l’améliorer, comment voir les choses d’un autre point de vue et ainsi pouvoir reconsidérer le sien.
Devant l’enthousiasme suscité par cette intervention, aussi bien au niveau des congressistes que les membres de l’ALi2P, nous renouvèlerons l’expérience lors du Congrès Français de Psychiatrie (CFP) qui se dérouleraa Lille du 25 au 28 novembre 2015.
Nous espérons avoir le plaisir de vous y rencontrer et recueillir votre avis sur des problématiques actuelles en psychiatrie, par le biais d’un interne Lillois qui vous accueillera avec un grand sourire, ou autour d’une table avec un bon café, ou chicorée !
Article paru dans la revue “Association Française Fédérative des Etudiants en Psychiatrie ” / AFFEP n°15