La santé bucco-dentaire en gériatrie : « les dents principales »

Publié le 18 May 2022 à 16:37


Introduction

La pathologie endo-buccale rassemble la richesse de différentes disciplines médicales et odontologiques, mais demeure le parent pauvre dans notre prise en charge quotidienne.

Il semble pertinent d’apporter un regard gériatrique holistique dans ce domaine. Cependant, le gériatre doit lui-aussi se doter d’un bagage en pathologie endo-buccale. L’état bucco-dentaire du sujet âgé associe l’effet du vieillissement sur un capital propre à l’individu auquel s’ajoutent les diverses agressions de la vie.

Cet état dépend de facteurs intrinsèques (hérédité) et extrinsèques (facteurs socio-économiques comme l’accessibilité aux soins, les maladies, l’environnement). L’intérêt porté au statut bucco-dentaire des sujets âgés dans la littérature est assez récent en France. L’analyse des données reste délicate car les critères d’évaluation retenus sont disparates. La diversité des publics gériatriques (en population, dans des structures de soins ou en institution) appauvrit la reproductibilité des résultats. Des données issues des Caisses d’assurance maladie ont complété en institution les données en communauté de la cohorte PAQUIDent (1).

On y constate la grande fréquence des états morbides bucco-dentaires en gériatrie avec cinq axes de réflexion pour les gériatres :

• Un fort pourcentage d’édentation ;
• Un besoin prothétique important ;
• Le mauvais état du parodonte et des dents restantes ;
• Une mauvaise hygiène bucco-dentaire en lien avec des parodontites et des pneumopathies d’inhalation ;
• Un accès difficile ou inégal à l’offre de soins dentaire pour les plus dépendants.

Les ambitions pour l’Europe de l’Organisation mondiale de la santé étaient en 2015 d’arriver à moins de 10 % d’édentés chez les 65-74 ans.

Ainsi, nous voudrions donner ici des éléments du vieillissement, un survol des principales pathologies et quelques éléments épidémiologiques intéressant le gériatre en vue d’améliorer la prévention et le soin.

Structures et vieillissement de la cavité orale Structures et vieillissement de la cavité orale
Toutes les structures présentes peuvent être impliquées dans le vieillissement, pathologique ou non. On recense la denture, le parodonte, l’appareil masticatoire et le tissu muqueux.

Outre le côté statique, l’étude dynamique de la cavité orale impose de s’intéresser à la salivation ainsi qu’à la mastication. Afin de gagner en clarté, nous n’aborderons pas ici la déglutition (Gazette des jeunes gériatres n°23), la gustation et la phonation.

Le parodonte comprend l’ensemble des structures qui entourent la dent : la gencive, l’os alvéolaire et mandibulaire, les tissus comme la muqueuse, les ligaments et les nerfs.

La muqueuse subit des modifications structurelles, dans sa vascularisation comme dans l’arrangement du tissu conjonctif du fait des remaniements collagéniques. Ceci expliquerait la vulnérabilité aux traumatismes et à la pression durant la phase de mastication. On peut alors craindre l’entrée dans le cercle vicieux de la dénutrition que nous cherchons à prévenir, favorisé par les traumatismes répétés des prothèses amovibles inadaptées.

La gencive a pour principale caractéristique d’être un tissu à régénération rapide servant de barrière protectrice entre les différentes structures. Cette capacité de régénération si le milieu est maintenu dans de bonnes conditions (moindre perte salivaire, agressions dentaires, variations de pH…) permet de maintenir l’intégrité de la barrière. Il semble que ce tissu soit plus préservé mais dépendant des autres structures (plaque…). Pour mémoire, la gencive est utilisée depuis plusieurs années comme support de recherche sur les cellules souches du fait de cette capacité de régénération.

Les glandes salivaires participent à l’équilibre écologique tant bactériologique qu’acido-basique. La salivation est rythmée par l’appétit et l’arrivée d’une prise alimentaire. Un de ses rôles est de tamponner l’acidité, en particulier postprandiale. On estime, dans le vieillissement salivaire, que la perte cellulaire en particulier acineuse limite la production. Cependant, même si le flux stimulé (par les repas) se maintient avec l’âge, on constate une chute de deux à trois fois du flux salivaire permanent (non stimulé).

A la salive s’ajoute la notion de biofilm : il s’agit d’un tissu constitué d’une matrice, de pores et de canaux venant se déposer sur la dent. On estime qu’un milligramme de biofilm dentaire représente un milliard de bactéries diverses (plus de 500 espèces différentes).

Il s’agit d’un phénomène dynamique avec un renouvellement de l’ordre de 3 milliards de bactéries par heure. Tout déséquilibre dans cette flore peut conduire à des états pathologiques. Sa calcification est pathologique et constitue la plaque dentaire. La bactérie en lien avec les pathologies inflammatoires la plus étudiée actuellement est Porphyromonas gingivalis.

Le tissu dentaire est un des éléments majeurs dans le maintien de l’homéostasie locale. La constitution de la dent et son ancrage sont rappelés dans la figure 1. Toute perte dentaire est une brèche vers le milieu intérieur qu’il faut empêcher. Cette avulsion suit le plus souvent la séquence : exposition radiculaire, mobilité, chute. On identifie des altérations liées au vieillissement déséquilibrant le système : l’usure de l’émail, un tissu ne se renouvelant pas, les modifications de la dentine qui rendent les dents plus cassantes, la résorption progressive de l’os alvéolaire avec la résorption de la crête alvéolaire. A ceux-ci s’ajoutent des phénomènes dynamiques, comme la mobilité de l’apex dentaire exposant les surfaces radiculaires.


Figure 1. Anatomie dentaire

La pulpe dentaire est un tissu hétérogène issu de différents types de cellules mésenchymateuses et d’autres dérivant des crêtes neurales. La pulpe est entourée de dentine (minéralisée à 70 %) et assure des fonctions nutritives, sensitives (pression, variations de température), de défense et de réparation. Les cellules pulpaires réagissent en cas de trauma (choc, carie) pour former une dentine réactionnelle (par les odontoblastes), une dentine de réparation ou une minéralisation de la pulpe (progéniteurs de cellules pulpaires).

La mandibule est un os impair et médian, constitué d’une partie horizontale, le corps, qui porte les dents mandibulaires, et de deux parties verticales, les branches. Ce dernier est formé de deux parties : l’os alvéolaire, os spongieux qui entoure les racines dentaires dont il est tributaire, et l’os basal, os compact recouvrant un os spongieux. Avec l’âge et la perte dentaire cet os a tendance à s’amenuiser. Du point de vue quantitatif, une résorption osseuse peut être consécutive à une perte dentaire. Dans ce cas, l’os alvéolaire disparaît du fait de l’absence de la dent en question et de l’absence de stimulation fonctionnelle. Une résorption osseuse peut également être observée dans le cadre de maladies parodontales. La résorption osseuse entraîne alors une rupture progressive de l’attache desmodontale pouvant conduire à la perte de la dent. D’un point de vue qualitatif, la densité osseuse conditionne la stabilité et l’ostéo-intégration des implants destinés à remplacer les dents. Ainsi, la détermination de la qualité et de la quantité d’os est une problématique du chirurgien-dentiste car elle conditionne le type de réhabilitation prothétique et sa faisabilité. Nous verrons plus loin son putatif lien avec la pathologie osseuse générale.

La perte musculaire liée à l’âge (« sarcopénie ») de l’appareil masticateur est peu explorée. On constate une diminution de la surface et de la densité des muscles masticatoires avec une involution graisseuse et fibreuse comme dans d’autresmuscles. Ceci explique la prolongation de la contraction musculaire. A cette perte de volume s’ajoute une réduction de la force produite, en fonction de l’âge et du sexe (dès 25 ans chez la femme et 45 ans chez l’homme). Les conséquences de la perte sont plus importantes chez les édentés et se manifestent par une fatigue et un inconfort de la mastication des aliments solides. Ceci prolonge davantage le temps buccal avant déglutition et aussi comme facteur d’éviction des aliments durs.

La capacité masticatoire est un processus complexe mêlant la force musculaire masticatoire, les mouvements mandibulaires, la denture fonctionnelle et le nombre de cycles de mastications. Ainsi avec le vieillissement le nombre de cycle augmente quand le nombre de dents perdues et l’efficacité baisse. La fatigue musculaire influe aussi sur cette capacité.

Explorations cliniques et paracliniques
Préalablement à tout examen, rappeler et s’assurer de la compréhension des règles d’hygiène bucco-dentaire auprès du patient ou de son aidant principal est primordial. En insistant sur le rythme et les techniques de brossage des dents, ou d’entretien des prothèses.  L’examen dentaire nécessite du matériel dédié (miroir dentaire, etc.), cependant d’autres outils comme des échelles d’évaluation peuvent s’avérer plus aisées à manipuler par les cliniciens pour permettre une évaluation de débrouillage.

Après avoir évalué le nombre de dents en bouche et la présence d’un dentier, d’une pathologie orale évidente (candidose…), éventuellement percuté les dents à la recherche d’une douleur ; il est possible pour le médecin gériatre d’évaluer d’autres paramètres simples.


Figure 2. Grille d’évaluation clinique de la
plaque dentaire

Pour évaluer l’hygiène buccale, la grille indice d’hygiène OHAT (Oral Health Assessment Tool) est souvent utilisée. Des nuanciers permettent de grader le niveau de plaque dentaire (figure 2). La production des glandes salivaires peut être explorée par un flux salivaire, leur débit normal attendu est de 0,25 à 0,35 mL/min.

Pour évaluer la capacité masticatoire, les différentes méthodes nécessitent d’être familier avec la notion de couple masticatoire. Ainsi, faut-il comprendre que le nombre de contacts occlusaux est plus important que le nombre de dents concernant la perte osseuse et les conséquences de l’édentation. Il faut donc dénombrer les couples de dents (naturelles ou prothétiques) l’une en face de l’autre. L’indice d’Eichner est une échelle de mesure de ce type de contact. Des méthodes objectives sont disponibles comme des indices avec des indicateurs alimentaires et des évaluations par la mastication de gommes à mâcher (2, 3).

La conservation d’unités fonctionnelles, définies comme un couple maxillo-mandibulaire en opposition, semble nécessaire, d’autant qu’une association entre dénutrition et la présence de moins de 6 unités fonctionnelles a pu être mise en évidence. Il existe un lien statistique entre capacité masticatoire et le poids, l’équilibre et la densité osseuse.

Concernant les investigations paracliniques, les dentistes ont accès à la réalisation de leurs actes radiologiques, parmi lesquels figurent trois principaux clichés.

En radiographie standard : l’orthopantomogramme (ou radiographie panoramique dentaire) et le cliché rétro-alvéolaire, pour isoler une dent. En tomodensitométrie : le scanner dentaire ou CBCT (Cone Beam Computed Tomography). Le cliché panoramique est un examen d’imagerie dentaire de routine, permettant d’obtenir après une exposition aux rayons X (4 à 30μSv) de 15 secondes, une image déroulée des arcades maxillaires inférieure et supérieure et une visualisation globale des structures osseuses.

Problématiques en santé orale du sujet âgé
Nous avons choisi ici d’illustrer quelques problématiques fréquentes chez le sujet âgé. La plupart de ces manifestations sont concomitantes ou intriquées. Certaines sont mises en perspective avec celles retrouvées dans une enquête menée dans notre service de gériatrie aiguë sur 15 mois et 197 sujets (87 ± 6 ans, sexe ratio 2F : 1H) ayant bénéficié d’une évaluation unique de leur état dentaire à l’admission par un dentiste.

L’édentation et les problématiques liées aux prothèses dentaires
L’édentation est responsable d’une modification des apports alimentaires par l’allongement du temps masticatoire et la sélection d’un régime pauvre en fibre et en protéines, mais riche en hydrates de carbone. Certains travaux mettent même en évidence l’association de l’édentation à un régime athérogène majorant là encore un risque déjà existant dans une population précaire. Des altérations des perceptions sensorielles buccales sont rapportées menant à une discrimination des aliments solides. Ceci favorisant la survenue de troubles de la déglutition occasionnant des fausses routes.

Chez les patients évalués dans le service, l’examen dentaire retrouvait 25,9 % d’édentés dans une population ayant en moyenne 15 ± 9 dents en bouche (29,4 % de déments, 8,6 % de diabétiques et 7,6 % de tabagiques). Une méta-analyse en EHPAD retrouvait 48,7 % d’édentés (4). La fréquence de l’édentation varie selon le niveau socio-économique et l’âge. Le sexe reste plus sujet à controverse. Un moindre risque chez l’homme est décrit dans la méta-analyse de Roberto et coll. (5), là où une cohorte de suivi prospectif japonaise en EHPAD montrait une fréquence d’édentation plus importante chez l’homme (28,4 % d’hommes contre 19,9 % de femmes (p<0,01)). Cette dernière étude retrouvait comme facteur de risque d’édentation : L’âge, le niveau de cognition, le nombre de dents en bouche, le nombre de dents cariées et la présence de poches péri-odontiques (6). De nombreux travaux soutiennent un lien entre la présence de troubles cognitifs et un mauvais état dentaire, voire même avec la présence de prothèse (7, 8).

Aux problèmes liés à l’édentation s’ajoutent les problématiques liées aux prothèses. Elles peuvent être partielles ou totales, uni ou bi-maxillaires. L’examen d’une bouche contenant des prothèses doit interroger sur leur adaptation à la morphologie actuelle, la présence de lésions traumatiques en particulier lors de la mise en place et les modalités de leur entretien (figure 3). A titre d’exemple dans notre service, près de la moitié des patients étaient porteurs de prothèses (31 % bi-maxillaire, 15 % uni-maxillaire) et très peu avaient bénéficié d’implants dentaires. La qualité de vie des patients est impactée par la présence des prothèses, en particulier en cas de double prothèse. La stomatite en lien avec la prothèse est souvent rapportée en cas de présence de sécheresse orale et chez les patients les plus malades (9).

Les prothèses dentaires doivent être ôtées la nuit et laissées à l’air, après brossage et désinfection quotidienne.

La réalisation de prothèses partielles ou complètes après assainissement de la cavité buccale nécessite de connaître des étapes de réalisation prothétique (nécessité de plusieurs séances, inconfort des séances…). Les prothèses vieillies peuvent être retravaillées pour les réadapter.

La carie
La plaque dentaire correspond à la calcification du biofilm. La plus grande acidité va favoriser l’apparition de caries. Des enzymes et toxines vont se développer pour favoriser la parodontopathie.

La carie est une atteinte bactérienne. Les germes cariogènes sont banals : streptococcus, lactobacillus, actinomyces. Au niveau dentaire, les caries coronaires et radiculaires, les plus fréquentes, sont souvent asymptomatiques en raison de la calcification du canal pulpaire, pouvant aboutir à des fractures dentaires. Le lien entre la carie et diabète est rapporté, en particulier avec une dyslipidémie (10). Des séries montrent que les patients les plus cariés ont tendance à moins prendre de petit-déjeuner, et à avoir un poids élevé. Même s’il existe des mécanismes limitant la douleur liée à la carie, cette dernière reste un point rarement investigué en routine médicale. Dans le service, 16,7 % des patients étaient douloureux à l’examen dentaire alors qu’aucune douleur n’avait été déclarée à l’équipe médicale, soulevant l’intérêt d’un tel examen ne serait- ce qu’à visée de confort.

Parodontopathie
Les changements morphologiques et physiologiques des tissus parodontaux au cours du vieillissement jouent un rôle majeur sur les capacités de défense et de cicatrisation de ces tissus vis-à-vis d’une agression microbienne. Ainsi, une maladie parodontale (gingivite ou parodontite) était déjà retrouvée chez 55 à 85 % des personnes âgées dans des séries historiques.

Les principaux facteurs de risque outre l’âge sont le sexe féminin, l’hérédité, les pathologies endocriniennes, les carences nutritionnelles ou oestrogéniques, la consommation de tabac et d’alcool ou encore l’hormonothérapie et la corticothérapie.

La gingivite est une réaction inflammatoire des gencives liée à l’accumulation de plaque dans le sillon gingivo-dentaire. Elle est révélée dans ses formes cliniques par un saignement au brossage. Elle est réversible. Cliniquement on ne doit pas retrouver de perte d’attache ni d’alvéolyse. La perte d’attache est évaluée délicatement à l’aide d’un sondage par un petit tube appliqué à la racine de la dent afin de vérifier la présence d’une poche.

La parodontite correspond quant à elle à l’association d’une gingivite à une destruction du parodonte. On retrouve ici la formation de poche parodontale, une alvéolyse conduisant à une mobilité puis à la chute de la dent. Il s’agit donc d’une pathologie infectieuse avec une forte réaction inflammatoire, plus fréquente chez les diabétiques. On évaluait déjà il y a 20 ans la présence d’une parodontite modérée chez plus de 50 % des français (20 % au stade sévère). Aux Etats-Unis, elle toucherait plus de deux tiers des plus de 65 ans, en particulier les hommes, les classes sociales basses et les tabagiques. Dans notre série, elle représentait la principale pathologie, retrouvée dans 38,6 % des cas.

Candidose
La pathologie de la cavité orale est floride et les diagnostics différentiels non dentaires sont nombreux et complexes. Il a paru pertinent, du fait de leur fréquence et de l’accès à des thérapeutiques simples, de mentionner les candidoses. Les candidoses buccales sont des lésions de la cavité buccale induites par des levures du genre Candida. Leur prévalence à l’hôpital ou en institution varie selon les études de 15 à 43 % des personnes âgées. Candida albicans est l’espèce pathogène la plus fréquemment en cause parmi les 166 espèces. Cependant, le portage sain représente près de la moitié des hospitalisés ou institutionnalisés. Il en va de même pour les porteurs de prothèses (11–13). Les principales formes cliniques chez le sujet âgé sont : la stomatite sous prothèse, la glossite érythémateuse atrophique, la perlèche et le muguet. Le mode de transmission est salivaire ou manuporté (nourriture contaminée). Le diagnostic positif repose sur deux éléments : un aspect clinique évocateur (le plus souvent suffisant au diagnostic) et la confirmation par l’examen mycologique. La candidose est favorisée par différents facteurs locaux ou généraux tels que le port de prothèses dentaires, la prise d’antibiotique, d’aérosols de corticostéroïdes inhalés, d’immunosuppresseurs, la dénutrition, la perte d’autonomie et le mauvais état bucco-dentaire. Un facteur omniprésent est l’altération qualitative ou quantitative de la salive participant à l’équilibre oro-pharyngé. La prévention consiste à corriger les facteurs favorisant la survenue de la candidose buccale et surtout à avoir une bonne hygiène buccale et de la prothèse dentaire. Le brossage quotidien des dents, associé à des bains bicarbonatés permet de rétablir le pH.

L’amphotéricine B et le miconazole (un azolé avec un passage systémique limité) sont à utiliser en local en première intention dans les formes minimes à modérées, ou avant de proposer un traitement tel que le Fluconazole. Idéalement, les traitements sont réalisés après confirmation mycologique afin d’éviter une résistance.

Accès aux soins
L’organisation et la répartition de l’offre de soins dentaires en France diffèrent de l’offre médicale. Les pathologies développées plus haut sont impactées par un manque de soin. Les médecins français semblent peu sensibilisés à la thématique dentaire comme le rapporte une récente enquête (14). Les outils de mesure de la qualité des soins demeurent peu développés dans le domaine bucco-dentaire (15). Du côté du patient, la perception des besoins en Europe varie d’un pays à l’autre. Le suivi dentaire est perçu comme inutile dans 40 % des cas, sauf en Suisse et en Espagne (25 %). Les autres motifs d’absence de suivi dentaire sont principalement le manque de dentiste à proximité (1 à 18 %) et le manque de temps (1 à 10 %).

Il n’y avait pas de mise en évidence de limitation en lien avec des raisons d’assurance dans ce travail (16). Cette étude ne concerne néanmoins pas spécifiquement des sujets âgés, et il a été montré que les patients âgés fragiles auraient moins accès aux soins que les autres (17). Une liste de causes d’accès limité aux soins dentaire avait été proposée, identifiant des problèmes de perception de la part du sujet âgé (absence de ressenti d’un besoin de dentiste en l’absence de problème, en cas d’institutionnalisation…), du manque de formation et d’entraînement des personnels médicaux et paramédicaux, du suivi erratique et peu formalisé, de la disponibilité des dentistes en lien avec leurs capacités, et des difficultés liées au fait que les soins ne puissent se faire à domicile sans matériel (fauteuil, médicaments, instruments) en un temps réduit (18). Dans l’exemple du service, seuls 15,7 % des patients interrogés avaient un dentiste attitré. En conclusion de l’examen, le dentiste préconisait des soins urgents dans 10 % des cas et en urgence relative (sous quinzaine) dans 15 % des cas. Des soins étaient nécessaires dans 3 cas sur 4.

Exemples de pathologies gériatriques favorisant la pathologie dentaire
Maintenant que nous avons vu les problèmes dentaires des sujets âgés, nous soulignons au sein de quelques pathologies fréquentes en gériatrie des facteurs de risque surajoutés qui pourraient nécessiter une vigilance plus accrue.

Un facteur de risque fréquent est le diabète. Par son atteinte de l’immunité, sa perturbation de la flore, il participe à nombre de pathologies déjà détaillées. Ainsi on retrouve plus de gingivite chez le diabétique de type I comme II avec davantage de gingivorragies en particulier lorsque le diabète est mal équilibré (19). Néanmoins, c’est la parodontite qui demeure la complication principale bien qu’une hétérogénéité demeure (20). Le mauvais contrôle glycémique est associé à une destruction plus importante de l’os périodontique (21).

Dans les atteintes des voies dopaminergiques, iatrogènes (neuroleptiques) ou dégénératives, on rencontre fréquemment des dyskinésies et des complications motrices qui risquent d’user et de désadapter prématurément les prothèses. Les troubles végétatifs vont entraîner des troubles de déglutition et de l’écoulement salivaire, tout comme leurs thérapeutiques (effet anticholinergique ou agoniste dopaminergique). Ainsi, ces patients devraient bénéficier d’une attention dentaire particulière.

L’ischémie cérébrale est aussi un exemple fréquent, certaines séries retrouvant en cas de paralysie faciale, un sur-risque de perlèche. La parodontite a été retrouvé comme étant un facteur de risque d’accident vasculaire cérébral ischémique chez le jeune mais pas chez le sujet âgé (22).

Exemples du retentissement dentaire en pathologie générale
Les pathologies médicales en lien avec les pathologies dentaires sont nombreuses et touchent tous les organes et appareils. Un inventaire serait fastidieux et illusoire. La littérature est abondante lorsqu’il s’agit d’associer par exemple la parodontite chronique à la pré-éclampsie, la dysfonction érectile, le diabète, la maladie rénale chronique… La qualité des travaux demeure cependant inégale, limitant toute extrapolation.

Comment les pathologies dentaires communiquent- elles au reste de l’organisme ? Par voie locale (abcès, ostéites…), régionale (ORL : thrombophlébite, cellulite, sinusite, pulmonaire : inhalation, syndrome de Lemierre) ou générale (métastases septiques). Parmi les pathologies rencontrées fréquemment dans notre pratique on retiendra :

Le lien entre cavité buccale et bactériémie qui avait été mis en évidence dans les 5 minutes après le brossage dentaire (surtout électrique), avec une persistance de 10 à 30 minutes (23). Ces bactériémies d’origine buccale surviennent spontanément et quotidiennement même en dehors de tout soin particulier.

La pneumopathie d’inhalation est aussi fréquemment rapportée (24). En particulier par l’inhalation de germes buccaux pendant le sommeil. La fréquence est plus élevée chez ceux ayant des troubles de la vigilance. Les soins standards d’hygiène permettent de diminuer l’incidence de ce type d’événement.

La dénutrition par carence d’apport : On compte actuellement selon les séries entre 5 à 15 % de sujets âgés dénutris, leur statut variant en fonction des outils utilisés et des lieux de recueil (plus élevés en aigu et en institution qu’à domicile). Bien qu’étant un lien intuitif, l’imputabilité des troubles dentaires n’est pas facile à isoler. Ainsi la prothèse mal tolérée modifiera l’état de la muqueuse et le flux salivaire, tout comme les troubles de la déglutition. On ne retrouve cependant pas de lien statistique entre le statut bucco-dentaire et la dénutrition protéino- énergétique, en partie du fait du poids des autres morbidités et de la coexistence de plusieurs phénotypes de dénutrition. Cependant, de nombreuses approches indirectes soulignent ce lien entre le statut bucco-dentaire médiocre et la qualité des apports alimentaires. Ceci a permis de faire reconnaître les troubles bucco-dentaires comme facteur de risque de dénutrition par la Haute Autorité de Santé. En revanche, la perte de poids involontaire a un lien bien mieux documenté tant à domicile qu’en institution (25).

Certains travaux montrent la présence de davantage d’unités dentaires fonctionnelles chez les patients à indice de masse corporelle (IMC) normal que chez ceux ayant un IMC bas (26).

La fragilité osseuse. Paradoxalement, le lien entre fragilité dentaire et l’ostéoporose est peu étudié, alors que cette pathologie est une préoccupation majeure en gériatrie. Nous avons procédé à une analyse de 49 articles qui traitaient du lien entre les ostéoporoses et la santé bucco-dentaire. Les articles originaux cherchaient pour la plupart à établir un lien entre la densité minérale osseuse (DMO) ou la définition de l’ostéoporose en T-score et les indices radiologiques dentaires. Il s’agit toujours d’études transversales et la majorité sont limitées par le choix de leur population ou leur effectif limité pour tirer des conclusions. Seule une cohorte (OSTEODENT) utilisée dans au moins trois publications semble la plus robuste et permet des conclusions (27). Elle montre que les indices dentaires radiologiques ne font pas mieux qu’un score clinique sur la prédiction de l’ostéoporose post-ménopausique. Aucune des études centrées sur la fragilité des implants en lien avec le statut ostéoporotique n’a de conclusion définitive. Concernant les articles évaluant les techniques, l’analyse d’images issues des panoramiques ou avec le CBCT, ne produit pas de conclusion formelle. On retiendra qu’aucun outil actuel ne permet d’établir un lien entre risque dentaire et osseux général malgré l’importance de ces problématiques en gériatrie.

La sarcopénie. D’intérêt relativement récent, tout comme la fragilité, des données sur ce domaine commencent à affluer. Dans une étude japonaise sur la capacité masticatoire et la sarcopénie sur 761 personnes de 73,0 ± 5,1 ans vivant à domicile, les auteurs avaient établi un lien entre la sarcopénie et l’âge, le BMI et la capacité masticatoire (OR 2,18 ; IC95 % [1,21 ;3,93]) (28).

Conclusions
Ainsi, proposer un bilan dentaire d’entrée, avec un calendrier des soins et des extractions, la réévaluation des prothèses et l’éducation à l’hygiène semble primordial et réalisable. Le travail de dépassement des barrières est primordial chez les paramédicaux réalisant les soins, tant dans l’organisation des soins que dans les représentations.

Le plan d’action ci-dessous a déjà été proposé mais semble toujours d’actualité :
• Évaluation initiale de l’hygiène bucco-dentaire avec une trace écrite.
• Évaluation systématique par un dentiste ou favorisation de circuits dédiés.
• Information et formation des patients et du personnel, médical et paramédical.
• Soins de bouche en hospitalisation comme en lieu de vie. En particulier, soins de prothèse et remontée de l’information de l’inadaptation des prothèses. Il nous semble primordial de sensibiliser les patients à déclarer un dentiste et à favoriser ne serait-ce qu’un suivi annuel.

Docteur Pierre-Emmanuel Cailleauxa, Docteur Philippe Charrub
aUniversité de Paris, INSERM UMR-S 1132 Bioscar (Centre Viggo-Petersen), Gériatrie aiguë,

Hôpital Louis-Mourier, Assistance Publique – Hôpitaux de Paris, Paris, France
Service de gérontologie, Hôpital universitaire Louis-Mourier, AP-HP, Colombes, France
Auteur correspondant : [email protected]
Pour l’Association des Jeunes Gériatres

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  • Article paru dans la revue “La Gazette du Jeune Gériatre” / AJG N°28

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    Publié le 1652884634000