La rémunération des Gardes des Praticiens

Publié le 31 May 2022 à 18:36


Impact de la réforme de l’isolement sur les lignes de gardes

Même si sa nouvelle mouture vient de nouveau d’être censurée par le conseil constitutionnel, l’article 84 encadrant les pratiques d’isolement et de contention a pour conséquences l’augmentation des lignes de gardes dans de nombreux établissements, et par conséquent une augmentation du nombre de gardes par praticiens.
Or, la France est championne toutes catégories du nombre de ligne sur nos bulletins de salaires. Les praticiens ont le plus souvent le nez dans le guidon que sur leur bulletin de salaire  ; et quand il le regarde, leur attention se porte immédiatement sur la petite case en bas à droite avec le montant net versé.
Les vicissitudes induites par l’article 84 sur nos lignes de gardes sont l’occasion de faire ici un point sur les modalités de rémunération – fort complexes ! – de nos gardes. Point d’information qui pourra donner à quelques-uns l’idée de prendre quelques minutes de plus pour vérifier les éléments variables de leur paye.

Impact des gardes sur le temps de travail des praticiens et leur rémunération
En tant que médecins, nous ne sommes pas habitués à compter notre temps de travail. Ce n’est pas dans notre culture. Les propos syndicaux sur cette question du temps de travail sont parfois traités avec condescendance par certains de nos collègues.
Mais vous lirez cet article, et vous changerez votre point de vue sur cette question, car vous comprendrez combien elle impacte vos revenus, et donc votre retraite. Sans parler de votre bien-être personnel et professionnel.

Malgré des avancées obtenues en 2003, vous comprendrez les batailles qui restent à mener pour obtenir une juste valorisation de gardes. Vous constaterez que des avancées significatives n’ont pas encore été concédées par le ministère.
Et peut-être aussi percevrez-vous différemment l’action syndicale et l’adhésion syndicale.
Une bonne motivation pour adhérer ou continuer d’adhérer au SPH
(trésorier ne saurait mentir !). Les psychiatres de service public ne travaillent pas en temps médical continu, même s’ils exercent parfois dans des services d’hospitalisation complète : nous considérons donc ici la situation des praticiens qui travaillent en journée et sont amenés à assurer des gardes en plus de leur tableau de service ordinaire.

Pour parler de garde, il faut définir ce qu’est une garde. La garde se définit par opposition au service normal.
La rémunération des gardes prend en compte deux dimensions différentes de la garde  : la sujétion et le temps de travail additionnel. La valorisation de la sujétion et la création du temps de travail additionnel ont été obtenus de haute lutte par les intersyndicales, et tout particulièrement par les intersyndicales dont le SPH est membre actif : la Confédération des Praticiens Hospitaliers et Action Praticien Hospitalier.

Définition du service normal
Le praticien travaille sur un tableau de service qui couvre la période dite de la continuité des soins : en journée sur une amplitude de 10h, du lundi au samedi matin inclus. La journée de travail est bornée par la durée légale de la garde qui est de 14h. Donc en enlevant la garde de 14h sur une journée de 24 heures, il reste 10h de service normal de jour. Pendant la période de continuité des soins, chaque service ou pôle doit être en capacité d’assurer les soins de ses patients avec ses propres médecins et sa propre organisation interne.

Ainsi, le tableau de service définit la présence obligatoire et le lieu de présence de chaque médecin de l’entité (service ou pôle) sur la période de continuité des soins. Le tableau de service se construit par demi-journées.

L’amplitude quotidienne de 10h de service normal ne signifie pas que tout praticien doit travailler 10 heures chaque jour, mais que l’organisation collective des tableaux de service assure la continuité des soins sur 10h en service normal (9h-19h ou 8h30-8h30 selon les CH).

Le temps de travail du praticien
Cette amplitude de 10h du service normal génère une profonde ambiguïté sur la définition des journées et demi-journées : cela laisse planer l’idée que la journée normale d’un praticien dure 10h et sa demi-journée normale 5h. C’est souvent vrai. Mais est-ce juste  ?

Une première raison d’adhérer au SPH.

Le temps de travail en France est de 35h  : ainsi, tout travail compris entre 35h et 40h hebdomadaires de travail effectif génère des RTT. Nous sommes réputés travailler au moins 40h, et donc nous générons 20 jours de RTT (pour un temps plein). Mais nos statuts jettent un voile pudique sur ce que génère – ou plutôt ne génère pas – notre temps de travail au-delà de 40h par semaine. Nous y revenons plus loin.
L’article R. 6152-27 CSP précise dont que « Le service hebdomadaire est fixé à dix demijournées, sans que la durée de travail puisse excéder quarante-huit heures par semaine, cette durée étant calculée en moyenne sur une période de quatre mois. Lorsqu'il est effectué la nuit, celle-ci est comptée pour deux demijournées  » (statuts du PH).

En usage, les praticiens ne pointent pas quand ils travaillent en journée, et ils sont donc réputés ne pas dépasser les 5x10h=50h de travail hebdomadaire. Selon le Code du travail, le droit à pause réglementaire est une pause de 20 minutes à partir de 6h de travail d’affilée  : cette pause étant comptée comme du temps de travail et le salarié peut vaquer à ses occupations personnelles pendant sa pause. Il peut aussi la fractionner. En général la pause est prise sur le temps de repas. Dans la fonction publique hospitalière (dont les praticiens ne font pas partie) les 20 minutes et le temps de repas sont en général accolés pour permettre un temps de repas suffisant. Si l’on soustrait de 24mn (soyons précis  !) pour chacun des 5 repas de la semaine, auquel le praticien peut accoler ses 20mn de pause (soit 5 repas de 44 mn), il restera exactement 48h de travail effectif.

Les 48h de travail hebdomadaire effectif correspondent à la borne supérieure de temps de travail autorisé en moyenne sur 4 mois par une directive européenne (directive 2003/88/ CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail).

Il n’empêche : la durée des demi-journées n’est pas définie. Donc la durée des journées ne l’est pas non plus. Ainsi, avec un service normal de 50h, un praticien ayant effectué ses 10 demi-journées de travail peut être considéré comme ayant travaillé 48 heures.

Définition des gardes
La garde (ou «  garde postée  ») se définit par une présence imposée sur le lieu de travail et en dehors du service normal. Ce n’est pas la nature du travail qui importe, mais sa temporalité et son lieu  : la définition du travail débute à partir du moment où l’employeur impose au salarié d’être présent sur le lieu de travail. Et en conséquence, toute présence obligée du salarié sur son lieu de travail est du temps de travail. A contrario, un salarié qui décide de son propre gré de rester plus tard, ou d’arriver plus tôt, ne génère pas réglementairement du temps de travail.
La garde implique donc une modification du tableau de service normal, c’est-à-dire un travail supplémentaire en dehors de la période de continuité des soins : cette période est appelée la permanence des soins, par opposition à la notion de continuité des soins.
Pendant la permanence des soins, l’organisation collective du travail permet et impose qu’un médecin d’une autre entité soit en responsabilité et potentiellement en intervention sur plusieurs entités.

La sujétion = rémunération de la garde elle-même
La pénibilité particulière de la garde tient à son déroulement en dehors du service normal. Cette pénibilité est prise en compte par le versement d’indemnités dites de sujétion. La sujétion est la situation d'une personne astreinte à une obligation pénible, une contrainte.
La rémunération des indemnités de sujétion suit un barème officiel qui est le tarif officiel des gardes. Le tarif est identique pour les praticiens hospitaliers, les assistants des hôpitaux, les praticiens attachés, les praticiens contractuels et les docteurs juniors. Le tarif est un peu plus bas pour les assistants associés et attachés associés. Et encore plus bas pour les internes.

Le tarif considère les types de périodes hors service normal  :
- La nuit  : toutes les nuits sont identiques en termes de sujétion, y compris une nuit de WE ou de férié ;
- Le jour  : 10h de garde de 9h à 19h, obligatoirement en dehors du service normal, donc sur un dimanche ou un férié ;
- Le samedi après-midi de 13h à 19h (puisque le service normal se termine à 13h le samedi).

Les statuts, dans la toute fin de l’article R. 6152-27 supra («  Lorsqu'il est effectué la nuit, celle-ci est comptée pour deux demi-journées  »), le tarif de rémunération de la garde suit la logique suivante : 1 indemnité de sujétion = 1 nuit = 1 jour et ½ indemnité de sujétion = ½ nuit = ½ jour (= samedi après-midi ou dimanche matin par exemple).
Ainsi 24h de garde un dimanche génèrent deux indemnités de sujétion, soit deux fois le tarif d’une garde de nuit (1 nuit+1 jour = 2 nuits = 2 jours). Et un garde du samedi 13h au dimanche matin génère ½ jour + 1 nuit = 1,5 nuit = 1,5 jour. Ces équivalences nuit-jour sont valables pour chaque statut, même si le tarif varie entre les statuts

La première injustice est de considérer qu’une journée normale dure 10 heures, mais en plus de cela, une nuit étant considérée comme une journée, cela veut dire que 14 heures de gardes équivalent à 10 heures de gardes de journées sur un dimanche ou un férié, ou que 6 heures de garde un samedi ou un dimanche de 13h à 19h ne représentent qu’une demi-journée de garde.

La justice en termes de décompte du temps de travail serait de considérer qu’une nuit de 14h de travail génère non pas deux mais trois demi-journées de temps de travail. Tous les ministères successifs ont refusé de le reconnaître. Cette mesure de justice entraînerait pour commencer une valorisation du tarif de la garde de nuit  : puisqu’une journée (=2 demi-journées) est rémunérée 267,32€ bruts, alors une nuit serait rémunérée 400,98€ bruts.
Toujours pas envie d’adhérer au SPH  ?

Le temps de travail additionnel = temps supplémentaire généré par certaines gardes
Il est essentiel de comprendre que les considérations qui suivent vont s’additionner à la question précédente de la sujétion (rémunération de la garde proprement dite).
Les règles de décompte et les montants du TTA présentées ici sont conditionnées par l’adoption, au sein du groupement hospitalier de territoire (GHT), d’un schéma territorial de la permanence des soins. Mais les établissements bénéficiant d’une dérogation d’adhésion à un GHT peuvent aussi appliquer les modalités présentées ici.

Le temps de travail maximal autorisé
Un praticien ayant effectué ses 10 demijournées de travail est réputé avoir travaillé 48 heures.

Donc tout temps de travail qui dépasse cette borne de 48 heures hebdomadaires lissées sur 4 mois constitue une exception au droit européen, et il définit notre temps de travail additionnel (TTA).

Même si elle est suivie d’une période de repos effectif, la garde implique dans certains cas une augmentation du temps de travail hebdomadaire total du praticien : ce TTA va alors être décompté en périodes de TTA. Nous détaillons l’explication ci-dessous
Nous pouvons donc nous réjouir de ce que le temps travaillé au-delà de 48h est pris en compte. Mais avant de nous réjouir, soulignons que le temps de travail effectif compris entre les 40h et les 48h, n’est absolument pas pris en compte. Si un praticien travaille effectivement 40h par semaine, il est donc heureux de voir que son TTA est pris en compte. Mais si un praticien travaille effectivement 48h par semaine, son temps de travail compris entre 40h et 48h n’existe pas officiellement.
Encore une raison d’adhérer au SPH.

Le repos de sécurité limite le dépassement du temps de travail
La réglementation du temps de travail impose par ailleurs au praticien 11h de repos consécutif entre deux prises de poste  : c’est le repos de sécurité. C’est le cas après une garde de nuit suivie d’un jour ordinaire de semaine  : en travaillant 14h de garde, le praticien ne travaille pas le lendemain. Le praticien a donc travaillé jusqu’à 10 heures de moins (repos de sécurité) mais il a aussi travaillé 14 heures de plus (sa garde nuit) : on pourrait penser qu’il a travaillé 4 heures de plus. Mais rappelons que les statuts considèrent qu’une nuit égale un jour, donc le praticien n’a pas dépassé son compteur
On retombe sur l’injustice du décompte dénoncée précédemment.
Une nouvelle raison de etc.

Les situations de dépassement du temps de travail
Le TTA se déclenche pour les gardes de nuit suivie d’un jour non travaillé par tous, et pour les gardes de jour survenant pendant un jour férié ou non travaillé par tous. Dans ces situations, le compteur personnel de TTA du praticien est activé. L’explication se trouve ci-dessous.

Cas d’une garde de nuit survenant sur une veille de jour férié, de samedi ou de dimanche
Au lendemain de sa garde de nuit le praticien bénéficie de facto de son repos de sécurité d’une journée puisque, comme tout le monde, il ne travaille pas sur ce jour férié, ce samedi ou ce dimanche. Il n’aurait pas travaillé non plus s’il n’avait pas été de garde dans la nuit précédente.

D’ailleurs, ceux des praticiens qui travaillent le samedi matin le font en contrepartie d’une demi-journée de congé octroyée à titre de récupération. Et ceux qui travaillent le dimanche ou le jour férié bénéficient eux-mêmes d’une rémunération supplémentaire au titre de la garde.

En compensation de cette inégalité, le praticien qui a été de garde cette nuit-là (veille de jour férié, de samedi ou de dimanche) voit son compteur hebdomadaire abondé d’un équivalent nuit, c’est-à-dire d’un équivalent jour, soit une période de TTA : le praticien est ainsi considéré comme en repos de sécurité le lendemain de sa garde (puisqu’il n’a pas le droit de travailler et que personne ou presque ne travaille), mais sa nuit de garde génère un jour de TTA.

Cas d’une garde de jour un samedi après-midi, un dimanche matin, un dimanche ou un jour férié
De la même façon, le praticien qui est de garde en journée sur un samedi après-midi (13h-19h), un dimanche matin (9h-13h), un dimanche ou un jour férié (9h-19h) – en plus d’effectuer son travail de garde rémunéré par sa sujétion spéciale – ce praticien abonde son tableau de service d’un temps de travail au-delà de la durée légale de 48 heures : d’une demi-période pour un samedi après-midi ou pour un dimanche matin, et d’une période complète pour un dimanche ou un jour férié de jour. Cette inégalité est donc également compensée par un TTA.

Il faut ajouter que les TTA générés par une garde nuit ou par une garde de journée se cumulent lorsque la garde a duré 24 heures (9h-9h) ou plus de 12h (samedi 13h-dimanche 9h). Le TTA généré par une garde de 24h est donc variable selon que le jour qui suit est un jour travaillé par tous ou non.

Le décompte du TTA : une injustice qui se duplique
Vous avez vu apparaître ci-dessus le terme de période de TTA. Il s’agit de l’unité de décompte du TTA.

Le décompte des TTA suit la logique suivante : 1 période de TTA = 2 plages de TTA = 1 jour de garde = 1 nuit de garde.
Et aussi : ½ période de TTA = 1 plage de TTA = ½ jour de garde.

Puisque la logique du décompte du TTA suit la même logique que celle du temps de garde, l’injustice du « 14h de nuit = 10h de jour » se duplique.

Soit récupération soit rémunération du TTA
Pour compléter ces éléments de décompte, il faut comprendre que le TTA est ensuite versé au praticien  :
- Soit sous forme effective de temps libre (le TTA est converti en absences autorisés) ;
- Soit sous forme de compensation financière (le TTA est rémunéré).

Soulignons enfin que l’exercice du TTA ne peut pas être imposé par l’employeur : « le praticien peut accomplir, sur la base du volontariat audelà de ses obligations de service hebdomadaires, un temps de travail additionnel » (arrêté du 30 avril 2003 relatif à l'organisation et à l'indemnisation de la continuité des soins etc.). Ainsi la garde reste une obligation professionnelle du praticien. C’est un principe général, qui connait quelques exceptions, s’appliquant sous certaines conditions (liées à l’état de santé, à la grossesse, à l’âge ou à des sanctions). C’est bien pour cette raison que l’on parle de sujétion.

Mais contrairement à la garde qui s’impose à lui, c’est bien le praticien qui choisit ou non de générer du TTA. C’est pour cette raison que les gardes s’accompagnent d’un contrat de TTA dans lequel le praticien choisit soit la rémunération soit la récupération de son TTA. En choisissant d’être rémunéré pour son TTA, le praticien choisit de renoncer librement à son TTA en se le faisant payer.
S’il choisit d’exercer son droit à TTA, la récupération vient abonder soit le nombre de congés de l’année, soit le nombre de jours sur son Compte Epargne Temps.

Ce contrat est quadrimestriel car le droit européen considère la borne de 48 heures par période glissante de 4 mois.
Dans la mesure où le praticien est obligé de choisir entre rémunération et récupération, il ne peut pas panacher les deux options. Mais puisque chaque contrat est quadrimestriel, vous pouvez tout à fait opter pour un option différente chaque quadrimestre.

Pour comprendre toutes les situations – et elles sont nombreuses selon la durée de la garde, le fait de la couper en deux, la position de la garde de nuit avant un jour chômé ou non chômé – on se reportera au tableau ci-dessous. Les tarifs indiqués ici s’appliquent pour les praticiens hospitaliers, les assistants.
On peut constater une gamme variée de rémunération possible (depuis 267,82€ bruts la garde de nuit ordinaire jusqu’à 1178,38€ bruts la garde de 24 heures suivie d’un jour chômé).

Et pour vous donner définitivement envie d’adhérer au SPH* ☺, une seconde version du tableau vous est proposée ensuite, prenant en compte les avancées notables que représenterait l’abolition de cette injustice que représentent les modalités actuelles de décompte.

* Vous pouvez adhérer au SPH par carte bancaire depuis le site SPH (paiement sécurisé) sur https://sphweb.fr/adhesion/
Un dernier détail  : le montant d’une cotisation annuelle est inférieur au tarif actuel d’une nuit de garde de semaine…

Valorisation des gardes avec la réglementation actuelle (1 nuit = 2 plages)

Valorisation des gardes selon les revendications SPH (1 nuit = 3 plages)

 Dr Pierre-François GODET, Trésorier du SPH

Article paru dans la revue “Le Syndical des Psychiatres des Hôpitaux” / SPH n°20

Publié le 1654015003000