La Réforme du financement de la psychiatrie

Publié le 31 May 2022 à 15:21

 

PRÉSENTATION
La psychiatrie est financée à ce jour, selon deux modèles distincts ; d’un côté, celui de la psychiatrie publique et des établissements à but non lucratif qui reçoit une dotation annuelle de financement et de l’autre, celui de la psychiatrie privée à but lucratif qui bénéficie d’un financement à prix de journée. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce double mode de financement a toujours profité au secteur privé, notamment au niveau des hospitalisations.

Si une réforme du financement de la psychiatrie est attendue depuis fort longtemps par l’ensemble de la profession, l’orientation de celle qui nous est proposée a de quoi inquiéter. Notons d’emblée, que la tutelle justifie ce projet par un besoin de réduction des inégalités de moyens entre les régions ainsi qu’une incitation à davantage de soins en ambulatoire. Pour se faire, elle décide de choisir une logique visant à instaurer un financement commun pour les établissements publics et privés.

L’entrée en vigueur de ce nouveau modèle était prévue pour début janvier 2021, après une année 2020 de préparation. Comme nous allons le voir, sa mise en œuvre soulève également, de nombreuses interrogations.

Pour présenter ce qui s’annonce comme une usine à gaz, un effort de simplification du descriptif s’impose. Globalement, ce nouveau dispositif s’articulera autour de la création de huit compartiments de dotations, censés être complémentaires.

La dotation populationnelle (79.7 %)
La dotation populationnelle est allouée à la région suivant une modulation critériologique faisant intervenir :

1 Le nombre d’habitants avec une survalorisation de la population mineure. 2 Le taux de densité des médecins généralistes et des psychiatres. 3 Le taux de pauvreté des habitants. 4 Le taux de personnes vivant seules. 5 Le taux de places dans le secteur médico-social ou hospitalier à destination des patients souffrant
de pathologies psychiatriques.

La résorption des écarts interrégionaux au niveau des moyens est censée reposer sur cette modalité qui sera le premier pilier du financement.

La dotation à l’activité (15 %)

Placée en seconde position, cette dotation sera déclinée suivant trois sous-compartiments que sont : le temps complet, le temps partiel et l’ambulatoire.

a) Dotation à l’activité du temps complet (59 %) et partiel (14 %)
C’est le principe de valorisation en fonction de la durée des prises en charge qui est retenu.

• Hospitalisation temps plein, Post-cure et centre de crise : Application d’un tarif journalier dégressif. La dégressivité, encadrée par le financement moyen journalier du médico-social, sera déclenchée à partir d’une certaine durée du séjour.

• Alternatives en temps complet (séjour thérapeutique ; hospitalisation à domicile ; placement familial thérapeutique ; appartement thérapeutique) et prises en charge en temps partiel (Hospitalisation de jour ; Hospitalisation de nuit ; Atelier thérapeutique) : Application d’un tarif journalier fixe.

• Les durées de soins sans consentement : Cela ne concernerait à priori, que les SPDRE qui bénéficieront d’une majoration à l’aide d’un forfait supplémentaire qui sera versé à l’établissement.

b) Dotation à l’activité ambulatoire (27 %)

Application d’un tarif progressif selon le nombre de contacts avec le patient et l’intensité des soins. A partir d’un forfait de base, il y aura une prise en compte d’un certain nombre de paliers d’activité. Le tout assorti de deux types de forfaits supplémentaires, concernant les prises en charge intensives et celles effectuées hors les lieux de soins.

La dotation activités spécifiques (2 %)
Cette dotation sera allouée aux établissements qui réalisent une ou plusieurs activités figurant sur une liste définie par un arrêté ministériel. Ces activités spécifiques sont en lien avec des missions d’intérêt général ou régional et des dispositifs de santé publique.

La dotation transformation (1 %)
Cette dotation sera répartie entre régions pour mettre en œuvre les projets de transformation de l’offre de soins en psychiatrie.

La dotation nouvelles activités (1 %) 
Cette dotation sera versée sur la base d’appels à projets nationaux ou régionaux pour un financement conformément aux orientations régionales et nationales.

La dotation qualité (0.6 %)
Il s’agit d’une allocation avec recueil des indicateurs qualité dans les établissements.

La dotation qualité du codage (0.6 %)
Dotation versée sur la base des résultats constatés des indicateurs qui portent sur l’exhaustivité, la conformité et la cohérence des données collectées et remontées par les établissements.

La dotation recherche (0.1 %)
Cette dotation aura pour vocation le financement des structures en charge de la méthodologie de la recherche au sein de la région

Le comité régional
Un comité régional de concertation sur le financement ainsi que sur les offres de soins afférentes sera consulté, pour avis, par le directeur général de l’ARS. Il sera composé de :
L Représentants des fédérations hospitalières représentatives des établissements désignés par celles-ci.
L Représentants des associations d’usagers et de représentants des familles.

ANALYSE
Allons-y, balayons d’abord, les symboles et autres signifiants : Lors de la première annonce de cette réforme, pour remédier à la différence de moyens entre les régions, le terme de convergence a été employé. Le choix de ce vocable au lieu de celui de rattrapage trahit le positionnement de cette réforme où le nivellement s’opérera par le bas. Disons-le clairement, un système rééquilibré, n’est possible qu’à la condition d’avoir une volonté politique de nature à permettre une augmentation de la dotation globale de la psychiatrie publique.

De même, cette politique rampante, de convergence tarifaire pour le coup, entre public et privé, va s’amorcer en s’appuyant sur le regroupement des deux secteurs dans la même réforme. A défaut de tenir compte des spécificités de la psychiatrie publique, le risque est grand de voir apparaître une concurrence déloyale au niveau de l’ambulatoire.

Enfin, décider d’intégrer dans la même réforme la question de rattrapage et celle de l’amélioration du financement est un acte empreint de confusion où nous percevons se profiler en filigrane, l’idée d’une priorité de la double convergence ; interrégionale et entre le privé et le public, saupoudrée d’une réforme davantage mécanistique que réelle.

Abstraction faite de ce préambule, si nous devions procéder à une analyse du contenu de ce projet, nous dirions que :
• Une vigilance accrue doit être portée à l’introduction de la dotation à l’activité, car il ne faudrait pas que la T2A que nous avons combattue, entre dans la psychiatrie publique par la fenêtre.
• Les activités spécifiques nécessitent une définition claire assortie de critères précis. Sinon, à ce niveau, le financement sera fléché à la tête du client. Tout comme, il ne faudrait pas que cette dotation profite uniquement, à ceux qui ont pignon sur rue.

Aux dernières nouvelles, le pourcentage de ce compartiment devient une fourchette située entre 2 et 5 %. Comme il fallait bien récupérer ces 3 % de quelque part, eh bien ! C’est la dotation populationnelle qui s’en trouve amputée de cette marge et bascule ainsi, de 79,7 à 75-80. Nous sommes opposés à cette correction flottante qui valorise de manière importante cette dotation, d’autant que c’est la dotation populationnelle qui fait les frais de ce déséquilibre.

• Les soins sans consentement de type SPDRE ne devraient pas faire l’objet d’une quelconque dégressivité dans la mesure où il s’agit de soins particuliers dont les levées ne sont pas toujours facile à obtenir.
• En définitive, la valorisation de l’ambulatoire devrait être plus audacieuse, car grâce aux efforts des équipes médico-soignantes, le secteur ne situe plus au stade du virage ambulatoire, déjà amorcé, mais se retrouve plutôt, dans la ligne droite et ne demande qu’à être renforcé dans cette direction.
• La recherche n’est pas prise en considération au niveau du secteur. Ce n’est pas uniquement, une nécessité de structuration méthodologique de la recherche dont il a besoin, mais bel et bien, d’effectifs formés pour conduire eux-mêmes, directement, cette activité et dont le temps serait décompté de celui réservé à la clinique. En effet, la recherche devient un outil indispensable pour faire progresser les pratiques sectorielles, ne serait-ce qu’à travers l’évaluation de tous ces nouveaux dispositifs qui voient le jour, un peu partout en France et qui méritent d’être valorisés. Nous pourrions avoir le même raisonnement s’agissant des autres compartiments mineurs. Leur application ne manquera pas de générer une surcharge de travail supplémentaire qui se fera, encore une fois, au détriment de la clinique, car là aussi, aucun financement n’est fléché vers de nouveaux recrutements.

• Un comité régional sans la présence des représentants syndicaux des médecins ne serait pas équilibré.
• Que faire alors, pour les régions dont le nombre de postes de praticiens non pourvus, explose ? Celles-ci, resteront toujours déficitaires car comment peut-on, un seul instant, imaginer que leurs établissements puissent produire de l’activité.
• Globalement, ce projet procède d’un anachronisme manifeste, dès lors que l’on considère que ce système n’aurait aucun sens, puisqu’il ne se fonde pas sur une réforme de l’organisation des soins qui est également, nécessaire.

Dans ce sens, un autre groupe vient de se mettre en place, au sujet de la réforme des autorisations, de manière parallèle et tardive. Nous sommes en mesure de nous interroger sur la logique qui préside à cette conception morcelée des soins en psychiatrie publique.
Ce qui est sûr, c’est que nous allons avoir affaire à une réforme basée sur une organisation désuète.

• De manière à coller à l’actualité, il paraît aussi, légitime de se demander dans quelle mesure les dépenses relatives à la Covid 19 et à l’augmentation des demandes de prises en charge, qui va en découler, seraient prises en compte.

Disons-le clairement, un système rééquilibré, n’est possible qu’à la condition d’avoir une volonté politique de nature à permettre une augmentation de la dotation globale de la psychiatrie publique.

Cerise sur le gâteau, les sénateurs ont approuvé tout récemment, à l'initiative du gouvernement, le report au 1er janvier 2022 de l’entrée en vigueur de cette réforme. La période transitoire prévue pour 2021 sera supprimée et nous aurons par conséquent, une mise en œuvre directe de ce nouveau modèle. Je vous laisse imaginer les conséquences !

Dr Hassan RAHIOUI
Vice-président du SPEP

Article parue dans la revue « Intersyndicat National Des Praticiens D’exercice Hospitalier Et Hospitalo-Universitaire.» / INPH20

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