La résection sublobaire pour les cancers bronchopulmonaires non à petites cellules périphériques de moins de 2 centimètres

Publié le 13 Jul 2023 à 10:34

 

Saji H, Okada M, Tsuboi M, Nakajima R, Suzuki K, Aokage K, et al. Segmentectomy versus lobectomy in small-sized peripheral non-small-cell lung cancer (JCOG0802/WJOG4607L): a multicentre, open-label, phase 3, randomised, controlled, non-inferiority trial. The Lancet. avr 2022;399(10335):1607-17.

Altorki N, Wang X, Kozono D, Watt C, Landrenau R, Wigle D, et al. Lobar or Sublobar Resection for Peripheral Stage IA Non– Small-Cell Lung Cancer. N Engl J Med. 9 févr 2023;388(6):489-98.

Lorsqu’une chirurgie est proposée pour la prise en charge d’un cancer bronchopulmonaire non à petites cellules (CBNPC), celle-ci doit respecter plusieurs règles : être systématisée selon l’anatomie bronchovasculaire et permettre une exérèse complète associée à un curage ganglionnaire systématique.

Jusqu’à récemment, les patients présentant un CBPNC opérables de moins de 2 cm (pT1a et pT1b de la 8e classification TNM, i.e. de stade IA) étaient pris en charge par lobectomie et curage ganglionnaire.

Cette pratique reposait sur les résultats d’un essai randomisé de 1995 comparant la lobectomie à la résection sublobaire chez 247 patients porteurs un CBPNC de stade Ia. Dans le groupe ayant eu une résection sublobaire, la récurrence locorégionale était 3 fois plus importante. Le taux de mortalité toute cause y était augmenté de 30 % et le taux de mortalité par cancer de 50 % [1].

Ces dernières années, on observe un regain d’intérêt pour les résections sublobaires, d’autant que les CBNPC détectés à un stade localisé sont de plus en plus fréquents. En France, même si la lobectomie reste plus fréquemment pratiquée (70% des résections en 2022), le taux de segmentectomies est en augmentation, passant de 11% des exérèses en 2018 à 19% en 2022) [2]. Cependant, les études contrôlées randomisées publiées sur le sujet sont très récentes, dont voici un résumé des deux principales.

ÉTUDE JAPONAISE ( JCOG0802) PUBLIÉE PAR SAJI ET AL. EN AVRIL 2022 DANS THE LANCET

Il s’agit d’une étude contrôlée randomisée de phase 3, de non-infériorité, comparant la segmentectomie à la lobectomie, associées dans les 2 cas à un curage ganglionnaire. Une analyse anatomopathologique extemporanée est réalisée. La technique utilisée était à la discrétion du chirurgien et consistait dans la majorité des cas en une mini-thoracotomie vidéo-assistée avec écartement costal.

1106 patients ont été randomisés entre août 2009 et octobre 2014, en 1 pour 1 entre les deux groupes. Pour être éligibles, ils devaient être âgés de 20 à 85 ans et présenter un CBNPC de moins de 2 cm avec une part solide ≥ 50%, localisé dans le tiers externe du parenchyme pulmonaire. On notera que la population de l’étude comporte une part importante de patients non-fumeurs (44 %), porteurs d’un adénocarcinome dans près de 90 % des cas.

Il s’agit de la première étude contrôlée randomisée montrant une non-infériorité de la segmentectomie sur la survie globale à 5 ans (critère de jugement principal) par rapport à la lobectomie, avec 94,3 % de survie dans le groupe segmentectomie ver-sus 91,1 % dans le groupe lobectomie. On observe une légère différence en termes de rechute locale (11 % dans le groupe segmentectomie versus 5 % dans le groupe lobectomie), sans différence en termes de rechute globale. La prise en charge de la rechute peut plus souvent être réalisée chez les patients pris en charge par segmentectomie (93 % versus 80 %), avec la possibilité plus aisée d’un traitement curatif, plus efficace. Enfin, concernant la fonction respiratoire, on observe une tendance à une moindre baisse de VEMS à 6 mois et à 12 mois après segmentectomie (perte médiane de 8,5 % après segmentectomie versus 12,0 % après lobectomie), sans que celle-ci soit jugée cliniquement pertinente.

ÉTUDE INTERNATIONALE (CALGB/ALLIANCE 140503) PUBLIÉE PAR ALTORKI ET AL. EN FÉVRIER 2023 DANS THE NEW ENGLAND JOURNAL OF MEDICINE

Il s’agit de la première étude internationale contrôlée randomisée comparant la lobectomie aux résections sublobaires (segmentectomies et wedges), menée aux États-Unis, au Canada et en Australie. C’est également une étude de non-infériorité de phase 3. Elle concerne les patients atteints d’un CBNPC périphérique (1/3 périphérique du poumon), de moins de 2 cm, avec une part solide, N0confirmé en peropératoire.

Les patients sont randomisés en 2 bras équivalents entre lobectomie et résection sublobaire. Le choix d’une segmentectomie ou d’une résection non anatomique cunéiforme dite « wedge » est laissée à la discrétion du chirurgien. Les chirurgiens étaient libres de réaliser la résection par vidéothoracoscopie ou par thoracotomie.

Entre juin 2007 et mars 2017, 647 patients ont été randomisés : 340 ont été traités par résection sublobaire (201 résections wedge et 129 segmentectomies) et 357 par lobectomie. La population est comparable dans les deux groupes de l’étude, mais diffère de l’étude japonaise avec une proportion moindre d’adénocarcinomes (63,7 % d’adénocarcinome, 14,1 % de carcinomes épidermoïdes et 22,2 % d’histologies autres) et une grande majorité de patients fumeurs (91 %).

La résection sublobaire n’est pas inférieure à la lobectomie en termes de survie sans maladie (défi nie par le temps entre la randomisation et la progression de la maladie ou le décès toute cause) avec 63,6 % de survie à 5 ans dans le groupe résection sublobaire versus 64,1 % dans le groupe lobectomie (critère de jugement principal). La survie globale était un critère de jugement secondaire, comparable dans les deux groupes, à 80,3 % à 5 ans dans le groupe résection sublobaire et 78.9 % dans le groupe lobectomie. Aucune différence n’est observée concernant la rechute locale (13,4 % dans le groupe résection sublobaire versus 10 % dans le groupe lobectomie), ni à distance. À 6 mois, la perte de VEMS par rapport à la valeur prédite post-opératoire à tendance à être moindre dans le groupe ayant eu une résection sublobaire sans être cliniquement significative (-4 % pour la résection sublobaire versus -6 % pour la lobectomie).

CONCLUSION

Les deux études sont concordantes et s’appliquent chez des patients bien sélectionnés porteurs d’un CBNPC périphérique de moins de 2 cm. L’étude japonaise est de plus grande ampleur que l’étude CALGB140503 et porte sur la survie globale. Suite à cette étude, les sociétés savantes ont validé la segmentectomie pour la prise en charge de ces CBNPC de petite taille périphérique [3]. L’étude internationale CALGB140503 représente un plus faible nombre de patients et porte sur la survie sans maladie, mais sa concordance avec les résultats de l’étude japonaise permet de valider la possibilité d’une segmentectomie chez les patients occidentaux, plus souvent fumeurs avec une plus grande proportion de carcinomes épidermoïdes. Le pronostic est un peu moins bon chez ces patients, même si la survie globale à 5 ans reste bonne à près de 80 %. Cependant, la réalisation de résection « wedge » ne peut être recommandée, puisqu’elle concerne uniquement un sous-groupe de l’étude CALGB140305 et qu’aucune analyse en sous-groupe n’a été réalisée.

Pour les tumeurs de moins de 2 cm, avec marges oncologiques à respecter, la question de segmentectomie se pose désormais à chaque fois quand cela semble possible. Cela nécessite en pratique que le chirurgien thoracique réalise en amont des reconstructions 3D à partir des logiciels d’imagerie pour une résection anatomique segmentaire en sécurité. La chirurgie robotique est également en train de se développer et de prendre sa place en chirurgie thoracique notamment pour les résections infra-lobaires. Le développement de ces résections plus conservatrices est un nouveau tournant en chirurgie thoracique, après le développement des techniques vidéothoracoscopiques depuis une dizaine d’années [4].

Ces techniques chirurgicales innovantes moins invasives permettent de proposer une prise en charge plus adaptée, notamment aux patients plus âgés ou dont la fonction respiratoire est relativement altérée. Cependant, ces décisions doivent rester concertées entre oncologues, pneumologues, radiologues et radiothérapeutes. D’autres techniques ablatives telles que la radiothérapie stéréotaxique, la radiofréquence et la cryothérapie font également partie de la stratégie thérapeutique.

BIBLIOGRAPHIE

  • Ginsberg RJ, Rubinstein LV. Randomized trial of lobectomy versus limited resection for T1 N0 non-small cell lung cancer. Lung Cancer Study Group. Ann Thorac Surg. 1995 Sep;60(3):615-22.
  • S.F.C.T.C.V. Société Française de Chirurgie Thoracique et Cardio-Vasculaire [Internet]. Disponible sur : https://www.sfctcv.org
  • Stade I et II – AURA [Internet]. Disponible sur: http://referentiels-aristot.com/129-cancer-bronchique-non-petitescellules/ 147-algorithmes/148-stade-i-et-ii/
  • Lim E, Harris RA, McKeon HE, Batchelor TJ, Dunning J, Shackcloth M, et al. Impact of video-assisted thoracoscopic lobectomy versus open lobectomy for lung cancer on recovery assessed using self-reported physical function: VIOLET RCT. Health Technol Assess Winch Engl. déc 2022;26(48):1-162.






  • Angélique LECLERC
    Interne de pneumologie
    CHU Nantes

     Relecture
    Dr Antoine MOUI
    CCA en pneumologie
    CHU Nantes

    Dr Philippe LACOSTE
    PH en chirurgie
    cardio-thoracique
    CHU Nantes

    Article paru dans la revue « Du Jeune Pneumologue » /AJP02 N°02

    Publié le 1689237297000