La radiologie libérale l’indépendance de la radio en jeu

Publié le 16 May 2022 à 12:29


La transition générationnelle en radiologie : un enjeu majeur où chacun a un rôle à jouer

Docteur Guillemot, vous êtes médecin radiologue à Reims au sein du groupe PRIM (Imagerie Médicale Saint Rémi-Marne), mais également Président du Groupe Vidi.

Quels sont les enjeux liés à la transition générationnelle dans la radiologie ?
Aujourd’hui, la jeune génération, formée pour beaucoup à l’interventionnel, doit avoir conscience qu’ils pourraient demain, s’ils ne font rien, ne plus être gérants de leurs structures mais seulement salariés exécutants ou actionnaires minoritaires dans des sociétés gérées par des financiers qui ont des objectifs de rentabilité importants pouvant être contraires à un projet médical tourné vers le patient.

Il est essentiel de souligner cette tendance qui a été constatée ces dernières années dans le secteur de la biologie et qui apparait ces derniers mois en radiologie… 

Que faire face à cette situation ?
Il est de notre devoir, à nous l’ancienne génération actuellement gérant de nos cabinets, de sensibiliser les jeunes internes très tôt. Comme pour la biologie, les financiers axent leurs discours sur la qualité et la facilité mais s'il est nécessaire et utile d'améliorer la performance des centres d'imagerie, ces améliorations doivent profiter aux patients, aux médecins et à leur personnel, pas aux gestionnaires de fonds de pension.

Demain, les jeunes radiologues devront travailler à l'aide de nouveaux outils, notamment de l'intelligence artificielle que la profession elle-même doit contribuer à faire évoluer. La transition générationnelle doit permettre à la génération sortante de passer le relais dans des conditions financières équilibrées, acceptables pour la génération entrante qui ne doit pas être sacrifiée sur l'autel de la « finance ».

Quelle cohérence y aurait-il d'avoir revendiqué des années durant l'augmentation du numerus clausus pour laisser la génération nouvelle exclue ?
Nous n’avons pas formé des jeunes radiologues pour qu'ils deviennent salariés ou actionnaires minoritaires. Il est évident que la perte de la maîtrise de son outil de travail a des conséquences délétères pour les patients, le système de santé et les conditions d'exercice des médecins. Nous devons donc être garant de cette transition générationnelle et veiller à ce que la nouvelle génération soit intégrée à sa juste valeur.

C'est le sens de notre démarche et de notre engagement au sein du réseau Vidi. Les 41 centres du réseau Vidi sont des centres structurés regroupant chacun en moyenne 15 radiologues. Ils offrent la possibilité d’exercer sa surspécialité sur des plateaux techniques complets, de pratiquer des gestes de radiologie interventionnelle, au sein de larges équipes formées et motivées, le tout avec une intégration à la carte et des conditions attractives. Le réseau Vidi est le seul réseau détenu à 100% par ses 700 radiologues qui ont à coeur de permettre aux futures générations de radiologues que vous êtes de garder la maîtrise de leur outil de travail et leur autonomie.

La financiarisation de la radiologie : quel intérêt pour le radiologue ?

Stéphane BERTOLOTTI et Thomas SPALANZANI, vous êtes associés du cabinet d’expertise comptable BBM & Associés spécialisé en imagerie médicale.

Que dire des nouveaux réseaux de radiologie qui ont vu le jour ces derniers mois ?
Depuis toujours, la valeur d’un groupe de radiologie est étroitement liée au travail fourni par les radiologues. On pourrait même dire qu’en présence d’une pyramide des âges, la patientèle et les plateaux techniques n’ont quasiment aucune valeur. Ce constat est souvent confirmé lors des départs à la retraite des médecins, qui, en l’absence de successeurs, perçoivent un capital dérisoire voire nul au regard des revenus précédemment engendrés par leur travail. Certains groupes, quelle que soit leur taille, se voient contraints d’intégrer des associés avec des prix de parts « bradés » à l’euro symbolique, ce qui en soit est un moindre mal compte tenu du faible rapport existant entre la valeur des parts et la rémunération des médecins. Mais aujourd’hui, les financiers impatients d’acquérir des centres de radiologie souhaiteraient que ce temps soit prochainement révolu. Comme on a pu le voir dans l’industrie, leur modèle vise à valoriser avant tout les plateaux techniques et non plus la patientèle attachée au médecin. Ils parient sur l’hypothèse qu’à terme, le médecin ne sera plus l’élément incontournable nécessaire au développement de l’activité et donc à la création de valeur. L’essor de la télé-imagerie, la possibilité offerte aux manipulateurs de réaliser des échographies et l’arrivée progressive de l’intelligence artificielle constituent en effet une nouvelle donne que les financiers espèrent utiliser afin de faire converger le modèle historique médical vers un modèle financier industriel.

Y a-t-il des freins à la prise de pouvoir de la finance sur la radiologie ?
Il y en a quelques-uns. Par exemple, un groupe de radiologie doit aujourd’hui être détenu à plus de 75% par des médecins radiologues. Ceci rend donc plus complexe la prise de contrôle par un financier dans un groupe d’imagerie médicale. Mais pour contourner cette contrainte juridique, certains groupes financiers acquièrent non pas les SEL (sociétés d’exercice libéral) détenues par les médecins mais uniquement les plateaux techniques. Ils constituent ainsi des sociétés qui à l’instar des GIE (groupements d’intérêts économiques), qui font l’acquisition des plateaux techniques et gèrent les moyens nécessaires à l’exploitation des centres d’imagerie médicale. Ces sociétés groupements détiennent le matériel, les effectifs, les locaux et si possible les autorisations d’imagerie lourde (Scanner et IRM) de manière directe ou indirecte. Pour financer ces moyens d’exploitation et rembourser l’endettement lié à l’acquisition des plateaux techniques, les groupements facturent alors une redevance aux médecins qui ne conservent que la perception en tout ou partie de leurs honoraires (actes intellectuels uniquement). Ces redevances sont par conséquent assorties d’une marge importante car le groupe financier doit à la fois couvrir les frais de fonctionnement et les charges d’investissement des centres d’imagerie médicale, rembourser la dette liée rachat des parts des radiologues et dégager un bénéfice pour rémunérer les actionnaires. Par ailleurs, la redevance facturée par la société financière au radiologue sera assortie d’un coût supplémentaire de 20% représentatif de la TVA.

Finalement en première lecture d’aucuns pourrait penser que le modèle financier industriel est intéressant pour le radiologue mais en 2ème lecture qu’en est-il ?
En 2ème lecture, ce gain immédiat pourrait être remis en cause par les contraintes inhérentes à ces opérations. Tout d’abord, le médecin sera tenu de verser une redevance onéreuse telle que décrite ci-dessus. Bien entendu, le montant de cette redevance sera d’autant plus important que le plateau technique a été cédé à un prix de vente élevé. La rentabilité de son cabinet sera alors significativement dégradée conduisant mécaniquement à une baisse de sa rémunération. Le second « prix à payer » sera celui de la maîtrise de son outil de production. En effet, en laissant la main aux financiers, le radiologue ne sera plus maître du choix de ses investissements, du recrutement et de la rémunération de ses équipes. Soulignons enfin que le radiologue n’aura plus la maîtrise de la stratégie et plus particulièrement de l’organisation médicale ce qui revient à le rendre dépendant d’un fonctionnement similaire à celui qu’il aurait en tant que salarié d’un établissement de santé.

Quels sont vos conseils pour les jeunes radiologues ?
L’anticipation reste donc le mot d’ordre pour conserver la maîtrise de son outil de travail et de l’organisation médicale. Les cabinets d’imagerie médicale doivent se regrouper au niveau local, départemental, voire régional. Le regroupement permet en effet de recruter un directeur salarié et ainsi de déléguer la gestion opérationnelle du centre d’imagerie médicale, ce que redoutent le plus les jeunes radiologues.

En outre, par un déploiement de la télé-imagerie interne, ils pourront ainsi mieux faire face aux départs de médecins non remplacés et à la permanence des soins qui leur est de plus en plus imposée, par exemple dans le cadre de l’implantation d’une IRM. Pour ce faire, il est nécessaire d’avoir une démarche proactive avec les autres groupes libéraux et indépendants du territoire afin d’élaborer une stratégie à court et moyen terme, et ce, en prenant en considération le développement potentiel en partenariat avec les établissements de santé (cliniques et GHT).

En effet, les établissements de santé éprouvent parfois encore plus de difficultés à recruter des radiologues, ce qui les amènent à faire appel à des sociétés de télé-imagerie, autrement dit, à sous-traiter le diagnostic. Pour cette raison, les radiologues doivent veiller à ce que cette « part de marché » continue à être exploitée directement par des radiologues du territoire ou de manière indirecte par l’intermédiaire d’un réseau de groupes de radiologues (exemple : le réseau VIDI, seul réseau aujourd’hui détenu à 100% par les radiologues).

Une organisation sous forme de réseau a déjà fait ses preuves auprès de plusieurs professions libérales (pharmaciens, avocats, experts comptables, etc.) dans la mesure où il permet de mutualiser des outils, de partager des économies d’échelle, de garantir au client (au patient) un service de qualité, d’échanger, de partager son expérience professionnelle avec des adhérents qui ont une vision commune du métier et de l’évolution de l’imagerie médicale.

Article paru dans la revue “Union Nationale des Internes et Jeunes Radiologues” / UNIR N°39

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