Le travail en équipe
Les directions de nos établissements doivent accepter que cette prévention du risque soit incorporée au temps de travail, qu’elle a donc un coût qui doit être accepté et budgétisé.
Actuellement nous médecins, aussi bien hospitaliers que libéraux, sommes exposés à deux risques différents:
• La faute médicale
• Le risque médico-légal qui accompagne, maintenant, tous nos gestes.
Ces deux risques ne sont pas nécessairement liés, en effet une erreur médicale peut ne pas entraîner une plainte ou une demande de réparation, et à l’inverse un geste médical bien conduit peut entraîner une demande de réparation pouvant aboutir à une indemnisation, si la réalisation de cet acte médical ne s’est pas entourée des précautions juridiques, et notamment de l’information nécessaire.
Dans un premier temps nous verrons comment tenter de nous prémunir de la faute médicale, puis du risque médico-légal, et enfin nous évoquerons le rôle de l’ONIAM.
1 - Faute médicale
Le traitement de cette faute ne peut être que préventif : Comment éviter sa survenue ? Elle reste ou devrait rester notre obsession, car la faute médicale, qu’elle ait des conséquences graves ou non, est toujours évitable. Et pour reprendre une formule célèbre, en cas de faute et d’action judiciaire, nous sommes coupables et responsables. La faute est rarement le fait d’un seul acteur, mais le plus souvent secondaire à un concours de circonstances où les intervenants sont nombreux.
Nous travaillons actuellement tous en équipe, même pour la chirurgie où l’acte ne repose pas uniquement sur le chirurgien, mais aussi sur les médecins anesthésistes, la surveillance postopératoire immédiate et à distance. Cela est encore plus évident pour l’obstétrique qui, avec le système des gardes, nous contraint en outre à prendre en charge des patientes que nous ne connaissons pas, suivies dans le service ou par d’autres confrères. L’obstétrique pose en outre un problème des relations avec les sages-femmes. L’équipe comprend également le personnel paramédical qui dépend de l’administration de nos établissements.
Comment donc en équipe prévenir ces risques ?
Convaincre les membres de l’équipe que ce travail n’est pas une perte de temps est probablement le plus difficile. En effet, ce n’est pas du temps consacré directement aux soins, et nous sommes tous surchargés de soins médicaux à accomplir. Sans compter que, en exercice libéral, aucune rémunération n’est prévue pour ce temps de travail supplémentaire. De même les directions de nos établissements sont impliquées, et elles doivent accepter que cette prévention du risque soit incorporée au temps de travail (et pas en plus de celui-ci), qu’elle a donc un coût qui doit être accepté et budgétisé.
La liste des actions souhaitables n’est pas exhaustive, mais ce qui suit semble le minimum et surtout ces actions doivent être régulièrement menées.
1.Rédaction et mise à jour des protocoles,
2.Communication dans l’équipe,
3.Discussions de dossiers,
4.Partage des connaissances,
5.Suivis d’indicateurs.
• Rédaction et mise à jour régulière des protocoles.
Ceci vaut pour les situations particulières de l’obstétrique et connues : grossesses prolongées, RCIU, prise en charge des hémorragies du post partum, prise en charge de la menace d’accouchement prématuré, utérus cicatriciels etc.
Mais cela est également indispensable en chirurgie, avec des points clés qui sont sources d’erreur : check-list, transmission des informations, détermination de ce qui est de la compétence du médecin anesthésiste et du chirurgien, détermination des conditions de la surveillance postopératoire à court et moyen terme.
Les situations à risque élevé doivent être étudiées sans les éluder : week-end, nuits, congés, transferts.
Ces protocoles de soins doivent tenir compte des recommandations de l’HAS, de l’INCa, et des sociétés savantes : CNGOF, SFAR, etc. et être mis à jour régulièrement.
• Communication dans l’équipe :
En obstétrique réunions, au moins, hebdomadaires pour étudier les grossesses présentant un risque particulier pour l’accouchement. En pratique toutes les parturientes qui ne sont pas classées à bas risques. Le mieux étant de déterminer par avance les patientes à risques pour éviter toute confusion.
Accès de tous et à toute heure à tous les dossiers, d’où l’importance de dossiers informatisés.
De façon plus large définir des modalités d’appel par exemple standardiser la lecture du RCF, déterminer les appels téléphoniques entre sages-femmes et médecins, déterminer qui doit être appelé entre chirurgien et anesthésiste, etc.
• Réunions de discussions de dossiers :
RMM (réunion de morbi-mortalité). Elles sont impératives. Il faut insister sur l’anonymisation des dossiers lorsque cela est possible (en pratique très difficile dans les petites structures), et sur le fait que les discussions ne doivent jamais être des règlements de compte, mais doivent aboutir à la création de barrières afin d’éviter que les incidents identiques ne puissent plus se reproduire quel que soit le personnel humain au travail. Outre des RMM toutes les déclarations d’événement indésirable graves (EIG), ou d’évènement porteur de risque (EPR) doivent être discutées en commun. Il y a souvent plus d’enseignements à tirer d’un EPR que d’un EIG où la note dramatique entrave souvent une analyse froide.
• Partage des connaissances :
Réunion de lectures ou de comptes rendus de congrès de façon à faire circuler l’information entre confrères, DPC collectif.
• Suivi d’indicateurs à définir pour chaque équipe.
Ces indicateurs vont varier d’un établissement à l’autre, mais ils sont indispensables à définir et à surveiller si l’on veut progresser dans la qualité de l’exercice de notre art. Travail essentiel variable selon les problématiques des équipes qui nécessite un choix (donc travail de sélection), puis une étude locale, et enfin des axes pour améliorer les pratiques de chacun.
En conclusion de ce travail nécessaire en équipe, on comprend que le principal écueil est le temps que ce travail nécessite, ainsi que la participation de tous en dépit des différences de chacun : caractère, exercice privé, ou public (ou les deux), âge, secteurs d’activité différents, secteurs 1 ou 2, etc.
Bien sûr ce travail collectif doit se greffer à notre travail personnel de mise à jour régulière de nos connaissances médicales. En obstétrique les médecins libéraux connaissent bien ces programmes auxquels la plupart d’entre eux sont soumis depuis que l’accréditation par les organismes agréés (Gynerisq pour nous) entraîne une prise en charge d’une partie importante de nos primes d’assurances en responsabilité civile professionnelle.
Ce travail personnel repose sur 4 axes principaux :
• La déclaration d’événements indésirables liés aux soins qu’ils soient graves ou non. Bien souvent il est confondu : Evénement indésirable grave (EIG), et événement porteur de risque (EPR).
• Mettre en œuvre des recommandations.
• Participer à des activités.
• S’auto-évaluer à travers des bilans annuels.
2 - Risque médico-légal
Un grand fantasme des médecins qui redoutent ce risque sans réellement le connaître et l’apprécier. Combien de fois n’a-t-on pas entendu : Il n’y aura personne pour t’apporter des oranges en prison ! Cette phrase résume à elle seule la méconnaissance des problèmes médico-légaux auxquels nous pouvons être confrontés.
Pour les expliquer brièvement un rappel grossier et rapide du droit français est indispensable. En France il existe deux types de juridiction qui peuvent nous concerner : les juridictions pénales et civiles. A côté de ces juridictions il existe une voie de conciliation : les Commissions de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux : CCIAM ex CRCI ou CCI.
• Les juridictions pénales ont pour but de sanctionner des Fautes, de punir. En clair en cas d’infractions au Code pénal, des sanctions sont prévues. Par exemple si je blesse ou je tue involontairement une personne je suis passible de peine de prison ou d’amende pour me punir de ma faute. Ces juridictions n’ont pas pour but d’indemniser les victimes, elles peuvent le faire mais cela est accessoire. Bien entendu les peines infligées par ces juridictions ne peuvent pas être couvertes par une assurance. On voit d’emblée que les plaintes au pénal concernant les médecins ou les établissements hospitaliers sont rares puisque le plaignant n’a rien à y gagner. Il ne peut s’agir que de plaintes pour savoir ce qui s’est réellement passé (c’est le cas le plus fréquent), ou de vengeance contre telle ou telle personne. Tous les médecins libéraux ou hospitaliers sont susceptibles d’être l’objet de telles plaintes mais elles sont, heureusement exceptionnelles.
• Les juridictions civiles ont pour but de réparer un éventuel dommage. Il ne s’agit pas dans ce cas de sanctionner mais de réparer un dommage dont nous serions jugés responsables. En droit français la réparation doit être complète. Bien entendu en médecine, il est impossible souvent de retourner à l’état antérieur (au maximum, on ne peut pas ressusciter un mort !), mais la réparation financière tendra à prendre en charge la totalité du dommage et des frais qui en découlent. C’est ce qui explique l’importance des conséquences pécuniaires d’un traumatisme néonatal, qui devra indemniser l’enfant, mais aussi prendre en charge la totalité des soins tout au long de la vie de l’enfant.
Pour un médecin exerçant en médecine libérale, il est directement mis en cause, mais les indemnisations seront à la charge de la compagnie d’assurances auprès de laquelle il a souscrit une assurance en responsabilité civile professionnelle. Les tribunaux compétents sont les tribunaux de grande instance, puis les cours d’appel, puis la cour de cassation. En cas d’exercice dans un hôpital public ou assimilé ce sont les compagnies assurant les établissements de soins qui assurent l’indemnisation, les médecins impliqués ne sont pas directement mis en cause. Les tribunaux compétents sont les tribunaux administratifs, puis les cours d’appel administratives, et enfin de Conseil d’État.
Les réparations financières sont donc toujours à la charge des assurances en responsabilité civile. Ce sont donc elles qui assurent notre et leur défense, et pas toujours dans le sens que nous souhaiterions.
• CCIAM fonctionne un peu comme les juridictions civiles mais dans un cadre moins contraignant et surtout très rapide. Notre responsabilité est mise en cause de la même manière que dans les juridictions civiles, et là encore les indemnisations sont à la charge de nos compagnies d’assurances en responsabilité civile professionnelle des praticiens en exercice libéral et des hôpitaux en cas d’exercice en secteur hospitalier.
On voit bien évidemment que nos responsabilités sont le plus souvent mises en cause dans les 2 derniers cas : juridictions civiles et CCIAM. Dans ces juridictions, nous ne risquons jamais de sanctions pénales : prison ou amende qui ressortent donc du fantasme pur. Lorsque des réparations pécuniaires sont décidées, elles sont prises en charge par nos assurances en RCP. Ceci étant acté et compris comment notre responsabilité peut-elle être retenue, et donc comment nos assurances peuvent-elles être amenées à payer les indemnisations ? Cette question n’est pas accessoire, car si notre responsabilité est retenue, nos primes (ou celle des hôpitaux) vont augmenter… Ces indemnisations seront décidées si une faute a été retenue à notre encontre. Il existe deux types de fautes différentes : les fautes techniques et les fautes éthiques.
• En cas de faute médicale que l’on peut qualifier de faute technique prouvée, notre responsabilité sera toujours retenue et l’indemnisation coule de source. C’est l’erreur médicale, la mauvaise prise en charge d’une pathologie, la maladresse chirurgicale, le retard de soins etc. Celle que nous redoutons tous. D’où la nécessité impérieuse d’éviter cette responsabilité. Il faut bien comprendre que, dans l’immense majorité des cas, il ne s’agit pas d’une faute évidente et volontaire. Bien souvent c’est la conjonction de plusieurs petits détails qui amènent à la faute, notamment dans les situations à risques : changement d’équipe, la nuit, mauvaise communication entre professionnels +++ (relation avec les sages-femmes et les infirmières), congés. On comprend dès lors l’importance de la prévention en équipe des situations à risque.
Mais notre responsabilité peut être également mise en cause sans faute médicale dans des fautes que l’on peut qualifier de faute éthique. C’est principalement le défaut d’information qui peut être considéré comme une faute, notamment si ce défaut d’information avait permis à la patiente de se soustraire à l’acte médical ayant entraîné le dommage. Ceci est particulièrement vrai dans la chirurgie fonctionnelle, mais aussi en obstétrique dans certaines situations à risque où des choix entre voie basse et césarienne sont possibles (ex : utérus cicatriciel, siège, grossesse gémellaire, RCIU). L’information doit porter sur les complications les plus fréquentes, et les plus graves même si elles sont exceptionnelles. La preuve de cette information reste à la charge du praticien. Elle doit être donnée oralement du praticien au patient et doit être comprise. Pour conforter cette preuve les documents signés de la main du patient sont intéressants mais pas suffisants (un document signé ne signifie pas qu’il a été compris et que les explications données ont été suffisantes pour la compréhension dudit document). Les meilleurs éléments pour se prémunir contre le défaut d’information semblent être les suivants :
• Remise d’un document explicatif dont un double est gardé.
• Lettre au médecin traitant dans laquelle les conditions de l’acceptation de l’intervention du patient sont relatées, en précisant les complications les plus fréquentes et les plus graves.
• Délai de réflexion laissé au patient avant de se décider pour l’intervention.
Tous ces éléments doivent être présents dans le dossier médical, et facilement accessibles, d’où l’importance de sa bonne tenue, bonne tenue qui exclut quasiment, de fait, les dossiers manuscrits.
Une nouvelle responsabilité peut être mise en cause depuis quelques années : le préjudice d’impréparation. Ne pas avoir averti une patiente d’une complication possible, ne lui a pas permis de se préparer à cette éventualité, ce qui est considéré comme préjudiciable. Ce préjudice est maintenant systématiquement invoqué dans les défauts de diagnostic anténatal de malformation détectable en échographie avant la naissance. Effectivement le praticien n’est pas responsable de la malformation dont l’enfant est porteur. En revanche ne pas avoir permis aux parents de se préparer à la survenue d’un enfant handicapé est indemnisable. La meilleure prévention possible dans ce cas me semble être de demander des échographies de deuxième intention dès qu’une anomalie même mineure semble possible.
3 - Rôle de l’ONIAM (office national d’indemnisation des accidents médicaux)
Depuis mars 2002 la loi Kouchner a organisé l’indemnisation des victimes d’accidents médicaux. L’ONIAM est un organisme financé et dépendant de l’assurance maladie qui prend en charge l’indemnisation des victimes d’accidents médicaux et des infections nosocomiales au-delà d’un certain seuil de gravité, et à condition qu’aucune faute médicale ou d’information n’ait été retenue par les juridictions civiles ou les CCIAM. On voit bien l’avantage pour les victimes qui sont indemnisées par la solidarité nationale. En revanche l’absence de faute ne peut être démontrée que par un jugement étayé par une expertise médicale. Ainsi cette possibilité d’indemnisation, si elle soulage les patients et les compagnies d’assurances augmente le risque de dépôts de plainte contre les établissements et les praticiens, et rend plus fréquentes nos comparutions devant des experts même si au final les condamnations seront moins fréquentes.
En conclusion, je dirai que les actions en justice restent heureusement rares et que les condamnations le sont encore plus, et dans l’immense majorité des cas elles ne mettent en cause que notre responsabilité civile et non pénale. Nous ne devons, donc, pas vivre dans l‘angoisse des procès, mais plus dans celle de la survenue d’une erreur médicale.
Mais cela n’est pas nouveau, cela a même été de tout temps la difficulté de notre art. La prévention de ces fautes passe par un travail en équipe qui nécessite du temps et l’investissement de tous.
F.X . BOYER de LATOUR
Article paru dans la revue “Syndicat National des Gynécologues Obstétriciens de France” / SYNGOF n°111
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