La place des photoscreeners dans le dépistage visuel de l’enfant : intérêts et limites

Publié le 19 Jun 2024 à 14:30
Article paru dans la revue « FFEO / La revue ORTHO NEWS » / FFEO OrthoNews N°3
#Dépistage
#Orthoptiste

 

 

Contexte

La santé visuelle des enfants est une préoccupation majeure de santé publique. Il est estimé qu’un enfant sur sept présente des problèmes de vision lorsqu’il entre en école maternelle.

La prévalence des troubles visuels des enfants avant l’âge de 6 ans est estimée à 15 % dont 70 % sont liés à un trouble réfractif, 30 % à un strabisme et, exceptionnellement (1 %), ce trouble visuel est lié à une pathologie oculaire potentiellement cécitante.

Dans 75 % des cas, l’enfant n’a aucune plainte (asymptomatique). Chez les enfants, l’évaluation de l’état sensoriel, moteur et de la réfraction revêt une importance capitale dans le dépistage précoce des troubles oculaires. Le trouble visuel le plus fréquent est l’amblyopie qui peut survenir dans 30 % des cas soit 3 à 5 % de la population d’une classe d’âge. Elle peut provoquer la perte définitive de vision d’un œil si elle est diagnostiquée tardivement (après 6 ans). Elle est réversible grâce à un traitement simple, la plasticité cérébrale (maximale dans les premières années de vie) permet de traiter cette amblyopie d’autant plus efficacement qu’elle sera dépistée précocement.

L’amblyopie multiplie les risques de cécité à l’âge adulte, et influe négativement sur la qualité de vie. Par ailleurs les troubles visuels peuvent provoquer des atteintes plus générales sur le développement, les apprentissages, la scolarité ou le comportement de l’enfant.

Les troubles visuels peuvent être détectés dès les premiers mois de vie afin d’identifier les enfants présentant un risque. L’objectif est de dépister précocement ces anomalies, notamment les troubles réfractifs et les strabismes, principalement réversibles avec traitement. Cette détection précoce vise à réduire la prévalence de l’amblyopie de 3 % à 1 %. L’intérêt du dépistage visuel précoce est donc majeur et l’orthoptiste devient un acteur essentiel dans ce dépistage grâce à la possibilité d’accéder directement à un rendez-vous orthoptique (sans prescription). Cet accès direct entre 9 et 15 mois, puis entre 30 mois et 5 ans permet dès lors une prise en charge précoce par un dépistage rapide, efficace et massif. Ce dépistage comprend à la fois l’évaluation de la réfraction, le dépistage de strabismes manifestes ou latents, de déséquilibres oculomoteurs ainsi qu’une évaluation de l’état sensoriel.

 
 
 
 
 

 

Quelques chiffres

Nombre de naissances
en France (Insee)
2022 : 725 997
2023 : 678 000

Nombre d’ophtalmologistes
en France
2022 : 5 794

Nombre d’orthoptistes en France
En 2023 : 6 633 orthoptistes (DREES)
3 604 orthoptistes libéraux
821 orthoptistes hospitaliers

Le nombre de nourrissons en France à l’heure actuelle est de 1 403 997. Si nous considérons que l’ensemble de ces enfants doivent être dépistés, chaque orthoptiste devrait recevoir en consultation 350 de ces nourrissons par an.

Photoscreeners

Une évaluation précise de la réfraction est capitale. La mesure de la réfraction chez l’enfant représente un défi. Dans cette perspective, l’utilisation d’outils technologiques tels que les photoscreeners offrent une approche novatrice et efficace pour détecter diverses anomalies réfractives chez les jeunes patients. Cependant, malgré ses avantages indéniables, les photoscreeners ne couvrent pas l’ensemble des besoins diagnostiques, laissant un espace essentiel pour l’expertise de l’orthoptiste. La mesure de la réfraction sous cycloplégie chez l’enfant reste néanmoins la référence car elle permet d’éliminer les phénomènes accommodatifs et de mesurer la réfraction exacte. La cycloplégie est un acte médical et est réalisée par l’ophtalmologiste.

Principe des Photoscreeners

Il existe 3 principaux photoscreeners :

  • Spot
  • 2Win
  • Plusoptix

Les réfractomètres pédiatriques mesurent la réfraction par photo-rétinoscopie excentrique (skiascopie infrarouge). À la différence d’une rétinoscopie classique, le système utilise une source infrarouge de faible intensité, complètement inoffensive, pour éviter les reflets. En fonction des distorsions réfractives, la lumière reflétée crée une forme lumineuse spécifique dans la pupille qui permet le calcul de la réfraction sphérique. Les mesures sont effectuées sur 3 méridiens pour déterminer le cylindre et l’axe. Ces autoréfractomètres effectuent la mesure simultanée des 2 yeux à 1 mètre de distance en quelques secondes. Théoriquement, ils permettent l’obtention de données telles que la réfraction complète (avec et sans correction optique), la taille de la pupille (anisocorie) et la distance interpupillaire.

Les trois principaux photoscreeners

Normes et valeurs à risques

Pour les critères de référence, nous nous référons aux valeurs recommandées par l’AFSOP (Association Francophone de Strabologie et d’Ophtalmologie Pédiatrique). Ces valeurs sont établies pour des mesures de photoscreening non mydriatique et servent de seuil pour les patients ne présentant aucun signe fonctionnel, pathologie visuelle ou facteur de risque connu (figure 1). Si les résultats de l’examen dépassent ces valeurs seuil, une consultation ophtalmologique est indispensable. Il convient de souligner que ces valeurs doivent être interprétées en tenant compte de l’anamnèse du patient. En cas de présence d’antécédents familiaux significatifs rapportés par les parents, il sera nécessaire d’orienter le patient vers un spécialiste, même si les résultats peuvent sembler être dans les limites normales. En cas d’antécédents familiaux de strabisme, les valeurs réfractives à risque doivent être réévaluées, une hypermétropie au photoscreener dès +1,75 peut être considérée comme potentiellement inquiétante, ainsi que la présence d’une anisométropie même légère ou le dépistage d’une phorie importante.

Âge

Hypermétropie

Myopie

Astigmatisme

Anisométropie

Entre 9 et 18 mois

> + 3,0

< - 3,5

> 2,75

> 1,75

Entre 18 mois et 36 mois

> + 2,5

< - 2,0

> 1,75

> 1,25

Après 3 ans

> + 2,5

< - 1,5

> 1,50

> 1,00

Figure 1 : Valeurs seuil en fonction de l’âge justifiant un adressage pour examen ophtalmologique lors de mesures de photoscreening

La place des photoscreeners dans le dépistage orthoptique

Nous avons mené une étude sur la région Marseillaise sur 100 nourrissons (âgés de 8 et 15 mois) qui consultaient un orthoptiste dans le cadre du dépistage. 71 enfants étaient adressés par leur pédiatre, 26 par un médecin (généralistes ou PMI) et seulement 3 en accès direct. Nous pouvons remarquer que même si l’accès direct est en vigueur depuis 2023, il ne semble pas encore connu du public dans certaines régions. Lors de cette consultation, les orthoptistes ont dépisté 23 % d’anomalies réfractives, 32 % de phories et 12 % de strabismes (figure 2). Un enfant présentait un syndrome de Stilling Duane de type 1, un autre présentait des poursuites très saccadées et une anomalie du fond d’œil a été dépistée grâce à une rétinophoto. Le dépistage orthoptique ne se limite pas aux anomalies réfractives et le diagnostic des déséquilibres oculomoteurs est un enjeu majeur.

38 enfants ont été adressés à l’ophtalmologiste dont 20 pour des valeurs réfractives à risque et 14 pour un autre motif tel qu’une ésophorie importante, un risque de strabisme divergent intermittent, des poursuites saccadées… Pour la majorité de ces enfants, l’orthoptiste a pris le rendez-vous chez l’ophtalmologiste ce qui a permis d’obtenir un rendez-vous rapide dans les 24 heures pour la suspicion d’anomalie du fond d’œil et dans les 2 à 4 semaines pour les autres motifs. 6 bébés seront recontrôlés par les orthoptistes pour des valeurs réfractives correctes mais dans la limite haute. Pour plus de la moitié des nourrissons, le dépistage n’a révélé aucune anomalie réfractive ni aucun déséquilibre oculomoteur et une recommandation de contrôle entre 2 ans ½ et 3 ans a été faite. Les orthoptistes ont expliqué le développement visuel de l’enfant, l’importance des contrôles et les signes justifiant une consultation en urgence.

Pour les enfants qui sont adressés à l’ophtalmologiste, les orthoptistes ont expliqué l’importance de ce contrôle et ils ont préparé les parents au port de lunettes de leur enfant, faisant des recommandations sur le choix de la monture.

Figure 2 : Répartition des anomalies dépistées par l’orthoptiste
lors de la consultation de 100 nourrissons âgés de 8 à 15 mois

Limites

Il apparaît clairement dans toutes les études que concernant l’astigmatisme, les photoscreeners donnent des valeurs proches des mesures relevées sous cycloplégie. Concernant la myopie, les mesures sont également proches, néanmoins certains enfants ressortent myopes alors qu’ils sont légèrement hypermétropes, toutefois cette valeur de myopie reste modérée et souvent inférieure à 2 dioptries, ne conduisant pas à une consultation ophtalmologique. En revanche, pour l’hypermétropie, nous pouvons constater une sous-estimation de celle-ci de plus de 1,00 δ. La mesure au travers des verres de puissance +3,00 δ permet d’obtenir des valeurs plus proches de la réfraction réelle et ce, pour toutes les hypermétropies. Cependant, ce procédé peut être difficile à effectuer sur des enfants en bas-âge qui peuvent refuser le port de quelques lunettes que ce soit.

Les limites de l’appareil sont les enfants ayant des yeux foncés. En effet, la pupille n’est pas bien détectée par les photoscreeners et des valeurs aberrantes ressortent notamment avec des astigmatismes très importants.

     
 

Conclusion

Le photoscreener est un outil très utile qui permet de donner des indications sur les potentielles anomalies réfractives. Il faut être conscient que cela reste un outil de dépistage et qu’il peut minimiser l’hypermétropie parfois de manière importante ou donner des valeurs erronées dans certains cas. Aujourd’hui, il fait partie intégrante des examens réalisés par l’orthoptiste dans le cadre du dépistage, cependant ce n’est pas un examen suffisant et un bilan orthoptique complet doit être réalisé. Un enfant sur sept présente des anomalies visuelles dont 70 % liées à des troubles réfractifs. Il est essentiel de dépister les 30 % des anomalies visuelles qui ne sont pas d’origine réfractive. Chez les enfants, il est essentiel de dépister la présence d’un strabisme manifeste qui sera souvent associé à des amétropies et qui pourra engendrer une amblyopie. Une consultation ophtalmologique s’impose avec la réalisation d’un fond d’œil, la prescription de la correction optique totale et d’un traitement d’amblyopie. Un suivi orthoptique sera mis en place. Chez les patients présentant des antécédents familiaux de strabisme, les valeurs réfractives à risque doivent être réévaluées ; la présence d’une hypermétropie, d’une anisométropie ou d’une phorie importante doit nous alerter et conduire à une consultation chez l’ophtalmologiste. La plupart des déséquilibres oculomoteurs latents (strabismes intermittents, phories importantes) ne sont pas visibles par les parents ou l’entourage alors qu’un bilan orthoptique permettra non seulement leur dépistage, mais également la prise en charge adaptée. Le dépistage de l’enfant comprend également l’étude de la motilité avec la recherche de limitations, de paralysies, parésies ou syndromes (tels que Brown, Stilling-Türk-Duane…). L’évaluation de l’état sensoriel permettra d’évaluer, même chez le bébé, si la fusion est présente et stable ou si elle est absente ou instable. Dans notre étude réalisée dans la région marseillaise, plus de 40 % des enfants sont adressés à l’ophtalmologiste pour un autre motif qu’une anomalie réfractive. De plus, la mise sur le marché de rétinographie non mydriatique portable permet également de réaliser une rétinophoto du fond d’œil qui peut être un outil de plus dans le cadre de ce dépistage.

L’orthoptiste est un acteur majeur dans le dépistage visuel des enfants et son champ de compétences est vaste, permettant une prise en charge rapide, efficace et complète.

 
     

 

Bibliographie

  1. SNOF 2012.
  2. Recommandation AFSOP 2019.
  3. DENIS D, Règles générales de la prise en charge visuelle In: Ophtalmologie pédiatrique: Rapport SFO 2017. Elsevier Health Sciences; 2017. 945 p.
  4. AAPOS uniform guidelines for instrument-basedpediatric vision screen validation 2021 - Robert W. Arnold, MD, Sean P. Donahue, MD, PhD, David I. Silbert, MD, Susannah Q. Longmuir, MD, Geoffrey E. Bradford, MD, Mae Millicent W. Peterseim, MD, Amy K. Hutchinson, MD, James W. O’Neil, MD, Alejandra G. de Alba Campomanes, MD, MPH, and Stacy L. Pineles, MD, MS, on behalf of the AAPOS Vision Screening and Research Committees.
  5. Le dépistage visuel chez l’enfant : les recommandations de l’Association Francophone de Strabologie et d’Ophtalmologie Pédiatrique (AFSOP) Journal Français d’Ophtalmologie 44, no 2 (1 février 2021): 244-51. Lequeux, L., D. Thouvenin, C. Couret, F. Audren, C. Costet, P. Dureau, S. Leruez, et al.
  6. Le soin à l’école - Mémoire de fin d’étude 2024 - Boussac Jade et Durand Loana.
  7. Le PlusOptix : outil dépistage ou diagnostic - Mémoire de fin d’étude 2020 – Emmanuelle Alonzo.
  8. Dépistage des enfants avec le PlusOptix - Mémoire de fin d’étude 2024 - Saillard Léa.
  9. État des lieux de la réfraction en France - Mémoire de fin d’étude 2024 - Giraud Loriane.
  10. Strabisme divergent intermittent - Mémoire de fin d’étude 2023 - Gallais Sophie.

Laure TRINQUET
Orthoptiste
Directrice de la formation d’orthoptie d’Aix-Marseille Université,
Faculté des Sciences Médicales et Paramédicales de Marseille

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Publié le 1718800248000