Elle saisit la lame, l’appuie fortement contre sa peau blanche jusqu’à ce que le vide rouge s’échappe et que l’angoisse dégonfle. L’incompréhension de l’intérieur invite l’acte de déchirure de l’enveloppe. Elle perce sa peau comme elle perce une écrasante carapace. Elle n’éprouve pas du plaisir, elle éprouve. Enfin du concret, pas de doute. Elle sent la douleur et voit les dégâts. Elle fait communiquer son intérieur indéchiffrable avec l’extérieur étranger. Le liquide rouge porte le vide. Le rouge comme preuve douloureuse d’une souffrance interne magmatique et impalpable, devenue indescriptible.
Elle n’arrive pas à identifier et gouverner ses émotions et ainsi à gérer celles des autres. Elle ne sait pas qui elle est, son identité change avec son humeur. Elle est labile, en constante mutation, elle manque de repère. Elle se dit médiocre et inapte à la vie. Elle se dénigre et s’insulte. Elle ne se connaît pas, elle souffre de cohabiter avec une inconnue.
Elle pense à la mort. Des idées noires si banales. Chaque matin, elle pense à se couper les veines, à quitter cet état de tourment. Mais elle ne peut pas se donner la mort, son chat l’en empêche, "car il faut le nourrir" dit-elle. Quel curieux paradoxe ce chat qui la maintient en vie.
Elle demande de l’aide. Elle souhaite aller mieux, comprendre pourquoi elle souffre tout le temps, chaque jour, chaque minute. Elle défie l’autre avec ses propos banalisant la mort. Elle démontre à son interlocuteur que la mort lui est à portée de main. Sans intentionnalité ce soir, sans scénario précis, elle répand son angoisse.
Elle regarde droit dans les yeux. Elle démontre que sa souffrance est quotidienne et familière. Elle veut sentir le désarroi de l’autre. Elle souhaite voir si elle touche et émeut, preuve qu’elle est présente, qu’elle vit. Elle demande un engagement, une préoccupation. Elle souhaite la présence infaillible qu’elle n’a jamais eue.
Mademoiselle, vous peignez un autoportrait empli de tristesse, de désarroi et d’abstrait, couvert toutefois par un drap protecteur abimé et usé. Ce tissu, teinté de sang et marqué d’entailles, finira par tomber. Un jour, je l’espère, vous distinguerez un portrait fait de lignes précises et achevées, où vous pourrez enfin contempler une image de vous solide et suffisante. Ainsi, le rouge ne sera plus la couleur du vide et il ne sera plus nécessaire de le voir couler pour vous sentir vivre.
Théo MOUHOUD alias L'interne2psy
Paris
Article paru dans la revue “Association Française Fédérative des Etudiants en Psychiatrie ” / AFFEP n°23