La MPR dans le Monde : Zoom sur le Viêtnam

Publié le 20 Feb 2023 à 11:51

Continuons à découvrir notre spécialité à travers le monde avec le témoignage de Loan, interne en MPR au Viêtnam !

Loan HA en tenue traditionnelle Ao Dai

Est-ce que tu pourrais te présenter en quelques phrases ?

Je suis Loan HA interne de MPR au Viêtnam et je suis actuellement en deuxième année d’internat. Je suis venue en France pour effectuer mon stage de «  Diplôme de Formation Médicale Spécialisée » pendant un an. Je suis heureuse de faire mon stage à l’Hôpital Raymond Poincaré à Garches en tant que FFI. J’effectue mes études à la Faculté de médecine d’Hanoï, la capitale, qui se trouve au nord du Viêtnam.

Pourquoi as-tu choisi la MPR comme spécialité ?

J’ai choisi la MPR car cette spécialité présente une grande utilité ; j’ai pu m’en rendre compte dès l’équivalent de votre externat. Au Viêtnam, en troisième et quatrième années de médecine, nous effectuons des stages dans les services des « grandes spécialités » qui sont la pédiatrie, la gynécologie, les différentes chirurgies et les spécialités d’organes. En cinquième année nous effectuons nos stages dans les « petites spécialités » tels que le MPR, la dermatologie et l’allergologie.

Je trouve que la MPR est une spécialité magique pour les blessés médullaires et les patients postAVC.

Pourrais-tu présenter ta spécialité au Viêtnam ?

Avant de vous présenter la situation de la MPR au Viêtnam, je vais vous expliquer comment se déroule une hospitalisation. La famille du patient est extrêmement présente. Il y a très peu d’aides-soignants (en moyenne 1 pour 30 patients), donc la famille du patient se charge de ses repas, de sa toilette, de l’habillage et des hétéro-sondages. Elle est aussi indispensable pour mobiliser le patient. Nous avons donc peu d’escarre malgré le fait que nous n’ayons pas forcément de matelas air ou anti escarres ou encore tous les pansements nécessaires. Le travail de l’aide-soignant consiste à distribuer les vêtements de l’hôpital aux patients (les vêtements personnels ne sont pas autorisés).

Les infirmières distribuent les repas, les médicaments et effectuent les pansements et les perfusions. Si un patient est sans famille elles s’en occupent mais cela reste une situation compliquée. Pour finir, nous n’avons pas d’escarre stade 1 ou 2. Ce sont très rapidement des stades 3 et 4 (pour ces patients sans famille) qui finissent en chirurgie. La période du Covid, avec l’interdiction des familles de venir à l’hôpital, a été très difficile à gérer pour tout le personnel soignant qui était trop peu nombreux.

Lits des patients

Examen du médecin d’un patient hospitalisé avec un membre de sa famille

Concernant les rééducateurs nous avons des kinésithérapeutes qui travaillent comme en France. Nous avons aussi des ergothérapeutes ; ce métier reste très peu reconnu au Viêtnam. Ils fabriquent des objets avec des matériaux simples pour qu’ils soient peu chers. Vous pouvez voir sur les photographies des baguettes adaptées.

Il y a en moyenne un hôpital de MPR par ville et le nombre de médecins est variable selon le nombre d’habitants. Les plus grosses villes du pays comme Ho Chi Minh, Hué et Hanoï ont plusieurs centres de rééducation.
Au Viêtnam, les centres de rééducation sont surtout dédiés soit à la rééducation neurologique avec la prise en charge des blessés médullaires et des post-AVC soit à la rééducation des patients avec des pathologies rhumatologiques (lombalgies, polyarthrite rhumatoïde et spondylarthrite ankylosante). Il y a très peu de centres dédiés à la rééducation post-chirurgies orthopédiques, il y a quelques lits à l’hôpital Bach Mai par exemple mais la plupart de ces patients retournent chez eux sans prise en charge rééducationnelle.
Dans les hôpitaux de chirurgie, il y a aussi quelques médecins MPR qui s’occupent de ces patients. Ils prennent surtout en charge des prothèses de hanche et de genou et des fractures. Nous ne réalisons pas encore beaucoup de chirurgies neuro-orthopédiques. Nous commençons à réaliser des allongements du tendon d’Achille qui donnent de bons résultats.
Les patients amputés de membres portent peu de prothèses car cela coûte cher et ne voient donc pas spécialement de médecins MPR.

Baguettes adaptées

Il y a peu d’orthésistes et de podo-orthésistes au Viêtnam. Ils vont se former surtout en Thaïlande ou en Afrique. Je n’en connais aucun qui soit allé en France. Je trouve qu’en France vous discutez beaucoup avec les chirurgiens !
Pourquoi as-tu choisi d’effectuer un an de stage en France ? Je suis actuellement dans le service de neuro-orthopédie du Pr Genet avec le Dr Salga, c’est pour cette raison que j’effectue beaucoup de comparaisons.

Pourquoi as-tu choisi d’effectuer un an de stage en France ?

Au Viêtnam, nous devons faire une année en dehors de notre pays. J’ai des amis qui sont allés en France, en Australie ou au Japon. J’ai commencé à apprendre le français durant ma première année d’étude de médecine et c’est pour cette raison que j’ai choisi de venir à Paris. Peu d’internes choisissent de venir en France car nous sommes peu à apprendre le français. J’ai obtenu mon B2 en quatrième année puis j’ai arrêté les cours ensuite. Il m’a été un peu difficile de reprendre mon apprentissage du français à mon arrivée en parallèle du stage mais maintenant je me débrouille bien. (ndlr : je confirme !)
J’ai hésité à venir en France car cela fait 20 ans qu’aucun MPR vietnamien n’est venu à Garches. Mon professeur (qui y est venu il y a 20 ans) m’a poussé à y aller et je ne regrette absolument pas.
J’ai décidé de faire cette année à l’étranger assez tôt dans mon cursus pour apprendre rapidement de nouvelles connaissances plutôt qu’à la fin de mon internat. En plus, j’ai un salaire en France ce qui n’est pas le cas au Viêtnam. Les internes ont le statut d’étudiant et ne sont donc pas rémunérés.

Quelles différences y a-t-il avec la France ?
Quelle est la place de la MPR dans un pays dont le développement est plus récent ?

En France, vous avez tout de même beaucoup plus de matériels que nous que ce soit pour l’appareillage des patients (avec les prothèses, les orthèses...), les traitements (notamment la toxine botulinique) et les machines de rééducation. Vous vous doutez bien que nous n’avons pas d’exosquelettes.
Concernant le traitement de la spasticité, nous avons du Lioresal. Nous n’avons pas de Dantrium, pas de pompe à baclofène et le traitement par toxine botulinique reste extrêmement rare.
La prise en charge des troubles vésico-sphinctériens est aussi très différente. Les traitements anticholinergiques sont peu acceptés par la population du fait des effets secondaires. Les patients ne veulent pas s’auto-sonder car ils ont peur des infections urinaires et la méthode par percussion reste extrêmement courante. Les sondes ne sont pas abordables pour tous les patients ; beaucoup de patients sortent d’hospitalisation avec une sonde à demeure ou des protections. La réalisation de bilans urodynamiques n’est pas totalement remboursée par la Sécurité Sociale, tous les patients n’y ont donc pas accès.
Une des différence est aussi l’absence de rééducation cardio-respiratoire. Un médecin MPR, une infirmière et un kinésithérapeute sont actuellement en France dans le centre hospitalier de Périgueux pour se former et rapporter ces nouvelles connaissances chez nous.
La MPR est une toute petite spécialité dans mon pays et elle est encore peu reconnue. Nous ne cherchons pas à guérir les patients, ce qui peut être parfois difficilement compris. Les chirurgiens et les neurologues ne nous adressent pas tous leurs patients qui pourraient bénéficier d’une rééducation. Il faudrait vraiment que nous travaillions ensemble sur l’orientation des patients lors de la sortie d’une hospitalisation aiguë.

Baie d’Ha Long

Peux-tu nous présenter ton quotidien dans le service ?

J’arrive à l’hôpital à 7h00 pour débuter le staff à 7h30. Sans la crise Covid nous avons en moyenne 10 nouveaux patients par jour pour 5 internes. Chaque interne a 3 à 4 lits et il faut compter 1 à 2 patients par lit (parfois 3 mais cela reste plus rare). Comme en France, je fais les entrées et les sorties, je m’occupe des traitements des patients et d’établir leur programme de rééducation. Les médecins MPR réalisent aussi les bilans urodynamiques et les électromyogrammes dans le service.

Quels sont tes projets dans l’avenir ? Comment te vois-tu dans dix ans ?

Après cette année en France, je vais retourner au Viêtnam et finir mon internat. Je souhaite avoir un poste à l’Hôpital Bach Mai qui est un centre de rééducation neurologique. Cet hôpital se trouve à Hanoï ; il a ouvert un service de MPR en 1998 et prend en charge des blessés médullaires et des post-AVC.
J’aimerais revenir dans quelques années en France quand j’aurai plus d’expériences et que je comprendrai mieux les différents enjeux de la MPR au Viêtnam. Cela me permettrait de continuer à me former et ensuite pouvoir transmettre aux étudiants vietnamiens ce que j’ai appris. Cette année en France passe trop vite !
J’aimerais vraiment faire progresser mon pays et faire évoluer les mentalités. Cela viendra j’en suis certaine !

Je remercie Loan, avec qui j’ai passé six mois enrichissants à Garches, d’avoir participé à la réalisation de cette interview.

Interview réalisée par
Dr Camille NOË

Article parue dans la revue “Association des Jeunes en Médecine Physique et de Réadaptation” / AJMERAMA N°04

 

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