Sélection à lire
BLAST – une BD de Manu Larcenet Editions DARGAUD ; Tome 1 « Grasse Carcasse », novembre 2009
On vous parle de BD dans ce nouveau numéro du Psy Déch. Depuis quelques années, la BD revient sur le devant de la scène. Les « romans graphiques » ont un succès grandissant, et on le comprend : œuvre d’art composite, véritable lecture ludique et immersive à la fois, on ne peut que se prendre au jeu.
Blast ne peut pas vous laisser indifférent, mieux que ça en fait, vous sortirez de ces 4 tomes sans doute un peu différent. C’est une œuvre magistrale et grandiose que produit ici Manu Larcenet. Savant mélange de dessins d’enfants et d’œuvres picturales ténébreuses, on n’a pas d’autre choix que de plonger dans l’univers chaotique et envahissant que nous dessine l’auteur. Chaque image, chaque vignette a ses secrets ; chaque page est pleine de mystère, d’intimité, de violence, d’une certaine tendresse aussi parfois.
Blast nous raconte l’histoire d’un homme, un homme à l’enfance chaotique et surtout au corps difforme, monstruosité de graisse et de chair (une « Grasse Carcasse », comme l’indique le titre du premier tome, et cette question du corps revient régulièrement dans l’intrigue). Cet homme qui se résumerait presque à un énorme tas de graisse décide un jour, suite à des évènements bien particuliers, de découvrir et d’expérimenter le sens profond de la liberté et de la vie. Il quitte sa vie rangée pour retourner, en quelque sorte, à l’état sauvage. Très précisément, il retourne à SON état sauvage. Sans rien d’autres que son corps maladroit et quelques réserves, il part vivre dans la nature, passe ses journées à marcher, à explorer, à ressentir ce qui l’entoure. Mais ce n’est que le début de l’histoire. Son parcours va être agrémenté de mésaventures diverses, qui nous sont racontées en texte et images, parfois touchantes, parfois troublantes, parfois incompréhensibles. Il rencontre une galerie de personnages, expérimente une vie nouvelle. Il suit son périple dans la nature et dans la ville, et nous le suivons. Cette errance nébuleuse va se voir marquée par la survenue d’un évènement mystérieux : le « Blast ». Polza, ce protagoniste difforme qu’on ne sait pas si on peut apprécier ou non, expérimente le « Blast », expérience quasi indescriptible, et ce Blast chamboule tout ce qu’il reste de sa vie. Et nous chamboule nous aussi.
Chaque page que vous découvrirez sera une œuvre d’art. Chaque rebond de cette histoire, contemplative au départ, puis de plus en plus intrigante, vous secouera personnellement. Nous ne pouvons que vous en conseiller la lecture.
CES JOURS QUI DISPARAISSENT – une BD de Timothée Le Boucher Editions GLENAT ; septembre 2017
Toujours dans la catégorie « roman graphique », ici on vous parle d’une BD d’un style très différent. Dans « Ces jours qui disparaissent », le trait est fin et précis, le dessin net, presque un peu naïf, aux airs de dessin animé, et aux couleurs vives et éclatantes.
De quoi est-il question alors ? « Ces jours qui disparaissent » ? Nous parle-t-on du temps passé, qui ne reviendra pas, ou d’une histoire des journées qui s’évaporeraient miraculeusement, sur un registre fantastique ? Peut-être est-on juste dans l’intervalle laissée entre ces deux hypothèses.
« Ces jours qui disparaissent » nous font faire la connaissance du jeune Lubin Maréchal, 26 ans. Protagoniste de cette histoire, Lubin est un jeune homme fantasque, artiste de cirque, qui a gardé son âme d’adolescent. Un jour, il chute lors d’une répétition de son numéro et se cogne au niveau de la tête. C’est à partir de là que les choses s’emballent… Suite à cette chute en apparence sans conséquence, Lubin réalise progressivement que quelque chose ne tourne pas rond. Il se rend compte qu’il ne se réveille qu’un jour sur deux et se demande bien ce qui peut se passer dans les 24h qui séparent chaque journée où il est réveillé…
Il découvre rapidement que pendant ces journées d’absence, une autre personnalité prend possession de son corps. Un autre lui-même avec un caractère bien différent du sien, menant une vie qui n’a rien à voir, interagissant à sa place avec ses proches, sa famille, sa petite amie, ses collègues. Lubin est un artiste au caractère un peu fantaisiste et désorganisé, l’autre se révèle un homme d’affaire méticuleux, pragmatique et déterminé. Déterminé à ne pas se satisfaire d’un jour sur deux…
Pour organiser cette cohabitation corporelle et temporelle, Lubin se met en tête de communiquer avec cet « autre » par caméra interposée, en se filmant. Mais les dégâts commencent déjà se faire ressentir sur son travail et ses relations… On assiste à la mise en place de cette dualité si personnelle, un corps à corps à la fois combat de lutte et danse de tango, pour s’approprier le temps qui passe et le temps à venir
Le scénario apparaît bien maîtrisé, original et captivant. Thimothé Le Boucher arrive à insuffler dans son œuvre de l’émotion, de la gravité, du suspense, et quelque chose d’infinimement poétique aussi. Outre la question du temps, qui passe trop vite et de ce qu'on en fait, il est aussi question des sentiments contradictoires qui peuvent nous habiter, de ce qui nous définit, de la notion de personnalité.
Notre âme d’interne en psychiatrie nous pousse parfois à vouloir poser des diagnostics, ou tout du moins à trouver des explications. Tout au long de l’histoire, on se dit que Lubin souffre peut-être d’une pathologie psychiatrique ou alors que ce récit est peut-être la métaphore d’un conflit intérieur entre deux facettes de lui-même… Nul ne nous le dira. Il est parfois agréable de laisser ces questionnements en suspens, et de savourer, tout simplement, le flot de rebondissements que nous apportent les vignettes successives, sans chercher à répondre à quoi que ce soit.
Marche ou crève (« The Long Walk ») – un roman de Stephen King
L’un des premiers romans de Stephen King, parfois peu connu car publié initialement en 1979 sous le pseudonyme de Richard Bachman. Et cela n’est pas pour rien, car les connaisseurs remarqueront que l’écrivain offre ici un roman assez différent de ce qu’on pourrait appeler « son registre habituel ». « Marche ou crève » est un roman d’anticipation, thriller psychologique à la construction singulière.
On y suit Ray Garraty, un jeune adolescent américain, qui s’est enrôlé dans « la Longue Marche ». Façon Hunger Games, dans ce futur dystopique, l’Etat organise tous les ans à la même période une épreuve terrible appelée « la Longue Marche » : 100 jeunes adolescents doivent se porter volontaires pour participer à cette épreuve, qui consiste à marcher sans s’arrêter depuis l’Etat du Maine jusqu’au Sud des Etats-Unis. Sans s’arrêter, au sens littéral, c’est-à-dire marcher nuit et jour, sans repos, et ne s’arrêter sous aucun prétexte.
On y suit Ray Garraty, un jeune adolescent américain, qui s’est enrôlé dans « la Longue Marche ». Façon Hunger Games, dans ce futur dystopique, l’Etat organise tous les ans à la même période une épreuve terrible appelée « la Longue Marche » : 100 jeunes adolescents doivent se porter volontaires pour participer à cette épreuve, qui consiste à marcher sans s’arrêter depuis l’Etat du Maine jusqu’au Sud des Etats-Unis. Sans s’arrêter, au sens littéral, c’est-à-dire marcher nuit et jour, sans repos, et ne s’arrêter sous aucun prétexte.
Surveillés par une cohorte de militaires et le « Commandant », figure de l’autorité gouvernementale, l'interdiction de s'arrêter est formelle, sous peine d'être éliminé de la Marche, c'est-à-dire être exécuté sur le champ devant ses camarades et la foule qui assiste au déroulé de cette longue et terrible marche. Pour le dernier à marcher, en revanche, tous les honneurs et le « prix » de son choix seront au bout du chemin.
Mais à la différence d’Hunger Games par exemple, dans lequel on peut voir des similitudes, ici vous n’en saurez pas beaucoup plus sur le contexte dans lequel tout cela se déroule. Comment ce régime totalitaire et assassin est-il arrivé au pouvoir, et pourquoi instaurer cette Longue Marche ? Quelle histoire se cache derrière ? Que s’est-il passé avant la Longue Marche, que se passera-t-il ensuite ? Qu’est-ce qui se déroule dans le pays, dans les maisons, pendant que ces 100 garçons marchent éperdument vers une mort certaine ?
On ne le saura pas.
Aucune date n’est précisée, et, à la manière d’un huis clos, l’action qui nous est racontée est parfaitement linéaire et suit sans défaut la marche des 100 jeunes garçons. Impossible de s’échapper, nous les suivons tout au long du roman, les heures et les jours s’égrenant. Au fil des pages, alors même qu’on sait d’emblée ce qui va arriver, le récit se fait récit de torture. Ici pas de description sanglante, pas d’esprits maléfiques, pas de détails glauques. L’horreur ici est dans la tête, dans la tête de ces jeunes garçons qui vont, tour à tour, lutter contre la douleur, la faim, la déshydratation, la chaleur, la folie qui s’empare d’eux après des nuits sans sommeil.
Il y a quelque chose du conte dans ce roman, dans sa narrativité, son côté intemporel et irréel, la linéarité du récit et la simplicité de l’espace spatio-temporel présenté, les notions de bien et de mal, la morale qu’il cherche à porter. Un conte pour adultes, prenant et bien mené, dont la lecture fait frémir mais aussi réfléchir. Stephen King, puisqu’il reste lui-même, malgré son pseudonyme, nous laisse sur une fin déstabilisante comme on les aime.
Ensemble, on aboie en silence – un roman autobiographique de Gringe Editions Harper Collins ; septembre 2020
Tout le monde ou presque a entendu parler du livre de Gringe sorti en septembre dernier, où le rappeur français évoque sa relation avec son frère, atteint de schizophrénie. On était un peu sceptique à l’idée même de lire ce livre : ne va-t-on pas tomber dans le pathos et le voyeurisme ? Gringe ne surfe-t-il pas sur la vague de sa célébrité pour se la jouer écrivain ? Autant d’a priori négatifs que la lecture de ce court roman a déconstruit. On y trouve, finalement, un récit très authentique, très personnel. Une histoire de famille, avec ce qu’elle comporte de drames, de tendresse, de solidarité, de violence. C’est l’histoire de deux frères qui s’écrit à quatre mains, le livre entremêlant le récit-témoignage de Guillaume (alias Gringe), l’aîné, avec les écrits tumultueux et quelques photographies mystérieuses prises par Thibaut, le cadet, pris dans une réalité si différente de la nôtre.
Sans détour, Gringe débute son récit en expliquant pourquoi avoir écrit ce livre : on lui a promis un petit pécule en échange de sa rédaction, un petit pécule qui ne se refuse pas. Mais pour cela, il va falloir obtenir l’accord de son frère, car c’est tout de même beaucoup de lui que va parler ce roman. Il part donc à sa rencontre, et se remémore à l’occasion le parcours enduré par chacun d’eux depuis des années
La schizophrénie dont souffre son frère y est abordée avec beaucoup de sincérité. En une phrase : ça sonne juste. Gringe ne cherche pas à se transformer subitement en un écrivain de haut vol : les mots restent bruts, parfois un peu vulgaires, mais touchants, et finalement bien fidèles à ce qu’on peut connaître ou s’imaginer du rappeur. Le récit n’est pas linéaire ; composé de petits chapitres successifs, il se lit quasiment d’une traite et évoque de manière disparate les étapes les plus marquantes de cette relation fraternelle marquée par la maladie. Les passages en hôpital psychiatrique, les premiers symptômes, la culpabilité (de l’un, de l’autre, du reste de la famille), l’errance, l’incertitude de l’avenir.
On a parfois l’impression d’en savoir beaucoup, ce récit nous rappellera qu’on ne connaît pas grand-chose. Ou en tout cas, qu’on connaît si peu en réalité, le vécu intérieur des personnes soignées, des familles que l’on rencontre, des déchirements et rapprochements qui se jouent autour d’une telle maladie.
Manifeste pour une psychiatrie artisanale – un essai d’’Emmanuel Venet Editions VERDIER ; août 2020
Emmanuel Venet est psychiatre à Lyon, il exerce à l’hôpital du Vinatier et nous propose dans ce tout petit livre, comme son nom l’indique, un manifeste. C’est donc une prise de position affirmée, et on a le droit d’être d’accord ou de ne pas l’être. Dans les deux cas, la lecture en est intéressante et enrichissante. Il dresse en 10 points un état des lieux de la psychiatrie contemporaine en France et vient défendre ce qui semble en passe d’être oublié d’après lui : « une psychiatrie artisanale, prévenante, lente et respectueuse des singularités des personnes qu’elle soigne ». Il le dit lui-même, c’est un livre d’espoir.
Dans ce court manifeste (le petit livre, de la taille d’un carnet, ne dépasse pas les 100 pages), il déplore de nombreux changements et révolutions dans notre exercice depuis plusieurs années : le manque de moyens octroyé par les pouvoirs publics surtout, et l’avènement d’une nouvelle façon de penser et pratiquer le soin (« une psychiatrie industrielle, quantitative, protocolisée, standardisée, numérisable, objectivante, désincarnée, ultrarapide et inégalitaire »). L’écriture d’Emmanuel Venet est limpide, percutante, va droit au but, sans agressivité ni violence cependant. Il s’agit d’un manifeste, pas d’une diatribe.
Psychiatre en EPSM, il y défend la psychiatrie comme une science avant tout humaine, avec la priorité de rester individuelle, personnalisée, même si pour cela elle doit prendre un aspect plus « artisanal », plus imparfait : à nous de savoir bricoler ce qu’on peut d’une manière différente pour chaque situation. Il ne cherche pas à attaquer fondamentalement, mais nous invite en somme, à ne pas oublier de faire preuve de créativité et d’imagination, nous qui sommes psychiatres, les artisans de la psychiatrie.
Sélection à écouter « Radio Citron, la radio sans pépins »
C’est le slogan qui annonce le début de l’émission, juste après un jingle aux notes douces et vitaminées. Interviews, chroniques culturelles, intermèdes musicaux, témoignages personnels, débats, billets d’humeur, micros trottoirs… L’émission de webradio, disponible sur son site internet (radiocitron.fr) ou sur YouTube, propose un contenu riche et varié, sur des thèmes très larges (actualité, littérature, sport, culture). Parfois, une petite hésitation dans la voix, une chronique un peu décalée, une expression inattendue dans les paroles du chroniqueur nous interpellent : Radio Citron est-elle vraiment une radio comme les autres ?
Radio Citron est une radio unique. C’est « une webradio associative, réalisée et animée par des personnes fragilisées par des troubles psychiques », comme la présentent ceux qui l’animent et la construisent. Portée par la Fondation l’Elan Retrouvé à Paris, Radio Citron existe depuis 2009.
Elle est soutenue et encadrée par des professionnels et conçue comme une tribune pour les patients et les usagers, leur permettant d’exprimer leurs talents mais également leurs opinions sur ce qu’ils vivent, pensent et ressentent. Actuellement, ce n’est pas moins d’une cinquantaine de patients et usagers qui participent à la création de chaque émission.
Ce sont d’ailleurs eux qui en parlent le mieux : « notre volonté principale est de nous exprimer dans la cité, de nous faire entendre le plus loin possible, de prendre pleinement notre part de citoyenneté. Radio Citron s'est imposée à ce titre comme un espace de parole favorisant les liens entre ceux qui font la radio et ceux qui l'écoutent. »
Traditionnellement, l’émission a lieu tous les 2 mois, elle est enregistrée dans un lieu public puis est disponible sur le site internet de la webradio. Elle a déjà été enregistrée dans différents lieux culturels, comme l'Espace Fondation EDF, la médiathèque Marguerite Duras à Paris…
« Vous entendez des voix ? N’ayez pas peur, c’est Radio Citron ».
Le projet est initialement inspiré de "La Colifata", une webradio existant depuis de nombreuses années maintenant, créée par le psychologue Alfredo Oliveira et animée par des patients de l’hôpital psychiatrique de Buenos Aires, dont la notoriété a largement dépassé les frontières de l’Argentine !
Comme précisé dans le projet associatif, les objectifs recherchés dans de cette activité sont :
• Le développement de passerelles entre patients / usagers et le monde ordinaire.
• Le changement des regards portés sur le handicap psychique.
• La revalorisation de l’image des patients/usagers et l’amélioration de la confiance en soi.
• Le développement du lien social.
Radio Citron est un espace de pluralité, où la différence est déstigmatisée, où elle devient une chance, permettant une approche différente des sujets et permettant de travailler à la fois pour la réhabilitation et la réinsertion sociale des personnes.
Le projet Radio Citron rassemble des personnes prises en charge à l’Hôpital de jour de la Rochefoucauld (Paris, 9ème) ainsi qu’à l’Hôpital de jour de la Folie Régnault et le Service d’Accompagnement à la Vie Sociale du 18ème arrondissement de Paris. Un atelier radio a lieu toutes les semaines pour préparer, d’une part, les rubriques de la prochaine émission et pour réaliser le montage de l’émission précédente. Lors de chaque enregistrement, quelques minutes sélectionnées sont montées professionnellement dans le but d’être diffusées ensuite sur des radios publiques nationales.
Actuellement, pris d’un petit coup de vieux, le site de Radio Citron ne permet plus de ré écouter les émissions mais il est prévu pour très bientôt qu’il fasse peau neuve, avec le projet que les émissions puissent devenir de réels podcasts accessibles depuis toutes les plateformes d’écoute en ligne que l’on connaît. La dernière émission, datant d’octobre 2019, est toujours disponible à l’écoute sur YouTube et sur Facebook.
Article paru dans la revue “Association Française Fédérative des Etudiants en Psychiatrie ” / AFFEP n°28