La « machine » à accoucher de madame du coudray

Publié le 11 May 2022 à 09:40


UN KIT DIY POUR FORMER LES SAGE-FEMMES

FLASH BACK – RETOUR AU 18E SIÈCLE, PÉRIODE À LAQUELLE UN ACCOUCHEMENT POUVAIT RAPIDEMENT VERSER DANS LE GORE... ANGÉLIQUE DU COUDRAY, SAGE-FEMME AUVERGNATE, DÉCIDE DE SE LANCER DANS UN TOUR DE FRANCE QUI A DURÉ PRÈS DE 25 ANS POUR FORMER 5 000 FEMMES ET HOMMES À L’ART DES ACCOUCHEMENTS.

Dans ses valises : des mannequins en tissu, que l’on appelait à l’époque « fantôme obstétrique » ou « machine ». Bref, l’ancêtre de la simulation médicale actuelle, version DIY !

POUPÉE DE CHIFFON – Le résultat est bluffant : ces poupées représentent parfaitement le bassin d’une femme enceinte, ses organes reproducteur et son foetus, et contiennent une armature métallique. « La radiographie a révélé que sous les étoffes, la soie et les rubans se cache une véritable structure osseuse : le bassin d’une jeune femme. Il s’ouvre dans sa partie supérieure pour positionner la poupée dans le ventre maternel. Il porte des orifices où coulisse tout un jeu de ficelles et de lanières permettant de simuler l’ampliation vaginale et la dilatation du périnée lors du passage de l’enfant », peut-on lire sur le site du musé Flaubert et d'histoire de la Médecine, à Rouen, où l’on peut voir le mannequin IRL. Et le foetus ? « Les parties dures, sensibles à la palpation, sont le crâne avec la présence de la fontanelle, la colonne vertébrale portant le nombre exact de vertèbres, le thorax, les coudes, les genoux et même les talons. »

TACTILE – Angélique du Coudray se baladait donc de village en village pour accroître les connaissances des « matrones », chargées des accouchements. Précisons qu'elle voyait les matrones d’un oeil, disons, un peu critique, les considérant comme ignorantes et les qualifiant « d'esprits peu accoutumés à ne rien saisir que par les sens ». D’où ces leçons « palpables », et des planches dessinées – elle publie en 1759 son Abrégé de l’Art des accouchements illustré de charmantes gravures en couleur... On y trouve d’ailleurs de très bons conseils : « En attendant le moment de délivrer la femme, on doit la consoler le plus affectueusement possible : son état douloureux y engage ; mais il faut le faire avec un air de gaieté qui ne lui inspire aucune crainte de danger. Il faut éviter tous les chuchotements à l'oreille, qui ne pourraient que l'inquiéter et lui faite craindre des suites fâcheuses. On doit lui parler de Dieu et l'engager à le remercier de l'avoir mise hors de péril. Si elle recourt à des reliques, il faut lui représenter qu'elles seront tout aussi efficaces sur le lit voisin que si on les posait sur elle-même, ce qui pourrait la gêner… »

« LA PRATIQUE RESTE SOUVENT SECRÈTE, EMPREINTE DE MAGIE VOIRE DE SORCELLERIE. »
forcent le respect, mais le hic, c’est que l’enthousiasme de Madame du Coudray a aussi des écueils. « L’État et l’Église se méfient traditionnellement de [la matronne] dont la pratique reste souvent secrète, empreinte de magie voire de sorcellerie », rappelle l’historien Jacques Gélis, auteur de Sage-femmes et accoucheurs : l’obstétrique populaire aux XVIIe et XVIIIe siècles. Résultat : Angélique du Coudray a participé à l’affaiblissement du poids des matrones – qui possédaient un réel savoir empirique – en formant des sage-femmes et des chirurgiens. Sage-femmes qui étaient, bien sûr, soumises à l’autorité et au contrôle des chirurgiens. Par ailleurs, conclue Jacques Gélis, les cours d’accouchement « aboutissent à un résultat qu’on peut juger paradoxal sur un point : destinés à former des sagefemmes rurales et compétentes, ils permettent aux chirurgiens-accoucheurs de s’imposer ». Finies les matrones, finie l'obstétrique populaire, et finie l'accouchement comme science féminine.

Article paru dans la revue “Le magazine de l’InterSyndicale Nationale des Internes” / ISNI N°15

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