La démocratie à l’hôpital une Utopie au quotidien

Publié le 31 May 2022 à 11:30

Je manifeste toujours tout seul. Au reste mes idées sont trop originales pour susciter l’adhésion des masses bêlantes ataviquement acquises aux promiscuités transpirantes et braillardes inhérentes à la vulgarité du régime démocratique imposé chez nous depuis deux siècles par la canaille régicide.

(P. Desproges)

QUELQUES DÉFINITIONS OU RAPPELS

Démocratie du grec « demos » peuple et kratos « pouvoir, autorité » le pouvoir du peuple.
Abraham Lincoln y a joutera « Le pouvoir du peuple par le peuple pour le peuple »;
Emmanuel Kant : « La vie démocratique suppose un état de droit dans lequel la loi est la même pour tous »;
Jean-Louis Barrault : « La dictature c’est ferme ta gueule, la démocratie c’est cause toujours ! ».

Pour l’ensemble des régimes démocratiques, on retrouve les grands principes définis par Montesquieu en son temps :
3 pouvoirs Exécutif, Législatif, Judiciaire.
• Séparation complète entre ces 3 pouvoirs dont les rôles doivent rester équilibrés.
• Des corps intermédiaires reconnus et représentatifs du « peuple » dont font partie les syndicats professionnels.

Le contexte particulier de l’hôpital :
Une réglementation draconienne.
• Des contraintes financières majeures.
• Une exigence permanente de qualité.
• Une multitude de métiers.
• Une responsabilité ultime de nature médicale.

Dans un tel contexte, il parait bien difficile de satisfaire au « désir » démocratique de chacun :
• La démocratie s’exercera donc par l’intermédiaire d’instances, le plus souvent consultatives et informatives, tentant de représenter au mieux « chaque peuple », d’influer lors de la conception de la Loi, assurer un contrôle de sa mise en œuvre et participer aux instances de recours et de défense du « peuple ».
• Ainsi, pour le personnel paramédical et technique, on retrouvera un comité technique d’établissement (CTE) et un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).
- Composés de représentants syndicaux élus.
- Au pouvoir législatif modéré en raison d’un fort encadrement législatif national concerté au sein du Conseil Supérieur de la Fonction Publique Hospitalière.
• Pour les praticiens hospitaliers, la mise en œuvre de cette représentation est plus complexe. D’aucuns auraient souhaité qu’existe un vrai CHSCT médical, mais en fonction de la taille des établissements, difficile de trouver au sein de chacun un ou plusieurs médecins susceptibles de s’investir avec compétence dans une telle mission.
 - C’est pour cette raison que l’instance représentative est déportée au niveau régional : La commission régionale paritaire des PH (dont vous retrouverez le rôle expliqué sur le site de l’INPH (1)).
 - A nous tous d’en faire un vrai lieu de la démocratie hospitalière.

Et partout dans le CHU
J'veux qu'on fasse avec moi
Que je sois PH ou PU,
Qu’on entende ma voix
Qu’on m’écoute,
Qu’on ne me lâche plus
Qu’on s'arrache mon point de vue…

Librement inspiré de « Le chanteur » D. Belavoine, 1978

La commission médicale d’établissement se veut le lieu représentatif de l’ensemble des médecins d’un établissement. Il devrait s’agir d’une instance de concertation à vocation législative, faisant remonter au directoire (l’instance exécutive) ses propositions. Elle souffre cependant d’un nombre de défauts inhérents au mode de désignation de ces représentants.
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Les membres ne sont pas à 100 % élus et comportent un nombre non négligeable de membres de droit, les chefs de pôle.
• Il y a là une première entorse à la notion de séparation des pouvoirs. En effet, le chef de pôle intervient comme responsable fonctionnel du pôle et donc de l’exécutif.
> Dans les CHU, la volonté affichée d’une représentation à proportion identique d’hospitalo-universitaires (HU) et d’hospitaliers, si elle est le fait des membres élus, perd toute sa logique en raison de la présence des chefs de pôle dont, en CHU, la quasi-totalité sont des hospitalo-universitaires.
• De même, comment une instance censée représenter la totalité de la communauté médicale puisse ne pas permettre à un de ses membres d’en être le président au simple fait qu’il n’est pas HU et d’en limiter la possibilité qu’à l’absence de candidat HU déclaré.
> Même si les compétences des CME sont, suite au décret du 20 septembre 2013(2) revenues approximativement au niveau auxquelles elles étaient avant la mise en œuvre de la Loi HPST, le poids législatif de la CME reste faible face au pouvoir exécutif. Même si le président de CME est vice-président du Directoire, il ne possède aucun droit de véto ou de blocage sur une décision prise dans cette instance, d’autant plus que les membres du directoire sont nommés par le Directeur (Article D6143-35-2 du code de santé publique)

Il est une forme de démocratie très en vogue actuellement, la démocratie participative qui place les instances d’information, de consultation, de débat et de proposition au plus près du citoyen.
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Cette tentative a été menée il y a de nombreuses années et les plus anciens d’entre nous se rappellent l’émergence de conseils de service qui, en raison d’une représentation utopique de tous les métiers du service, se sont vite révélés totalement inefficaces.
> Lors de la création des pôles, le souvenir de cet échec a conduit à ne pas rechercher à ce niveau une instance de dialogue et de concertation. Grossière erreur sans doute, en particulier pour le corps médical qui n’a pas su imposer un conseil médical de pôle, de nature législative, pouvant influer sur le contenu du contrat de pôle et faisant remonter ses propositions à l’instance exécutive constituée du chef de pôle, du cadre de santé et de l’attaché de gestion.
> Peut-on redonner du pouvoir aux praticiens d’un pôle si c’est eux qui désignent le chef de pôle et en proposent le nom à la communauté médicale ? Le débat est ouvert.

La création des Groupements Hospitaliers de Territoire (GHT) en augmentant la taille des établissements et des effectifs concernés risque fort de réduire d’autant la démocratie au sein de ces regroupements d’établissements.
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Le législateur avait voulu placer le projet médical partagé au centre de la création de ces GHT. Le politique et l’administratif ont vite passé outre et constitué, sans véritable concertation des personnels de ces établissements, les GHT définitifs. L’exécutif n’a pas respecté l’équilibre face au législatif, mais qui ira vers le 3° pouvoir, la justice et pour ce qui nous concerne le tribunal administratif. Qui peut dire s’il obtiendrait gain de cause ? Là encore, le débat est ouvert.
> De plus la mise en place d’une CME ou d’un comité médical de GHT va un peu plus éloigner les praticiens des lieux d’information, de concertation et de dialogue.
> Dans ce cadre d’une organisation territoriale centrée sur les nouvelles régions administratives, c’est là encore les commissions régionales paritaires des PH qui doivent jouer ce rôle démocratique.

Pour finir, rappelons que nos instances nationales de représentativité sont aussi un lieu d’exercice de la démocratie : Commission Statutaire Nationale et Conseil de Discipline.
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Cette année sera pour nous une année électorale qui permettra de renouveler ces instances.
> Pour exercer la démocratie à l’hôpital, nous avons besoin de vous, de votre participation active à ces instances en vous présentant sous notre bannière à ces élections, en votant et en faisant voter pour l’INPH qui est et doit rester la 1° intersyndicale représentative des praticiens hospitaliers. Notre représentativité n’aura de poids que si votre participation à ce scrutin est importante.

VOTEZ INPH


Dr Jean-Michel Badet
Président du SNPH-CHU

Vice-Président de l’INPH

UN PAS DE CÔTÉ LE CONTROLE DE LA PROPORTIONNALITE DES SANCTIONS DISCIPLINAIRES INFLIGEES AUX PRATICIENS HOSPITALIERS PAR LE DIRECTEUR GENERAL DU CENTRE NATIONAL DE GESTION

Maître Eric Halpern est avocat au Barreau de Paris.
Il exerce dans le domaine du droit public et en particulier dans le secteur de la fonction publique hospitalière. Il assiste les praticiens hospitaliers devant les administrations, les instances ordinales et les juridictions administratives.

Dans son exercice professionnel, le praticien hospitalier peut être mis en cause dans le cadre d’une procédure disciplinaire engagée à son encontre dès lors qu’il a commis un ou plusieurs manquements à ses obligations professionnelles constitutifs d’une faute, et ce, indépendamment de poursuites ordinales1 ou pénales dont il pourrait parallèlement faire l’objet pour les mêmes faits.
Toutefois, la sanction disciplinaire éventuellement infligée à un praticien hospitalier fait l’objet d’un contrôle attentif du juge administratif comme le montre un récent arrêt de la Cour administrative d’appel de Nancy du 26 octobre 20172 qui donne l’occasion de revenir sur la procédure disciplinaire qui s’applique aux praticiens hospitaliers.
A titre liminaire, il n’est pas inutile de rappeler que ce pouvoir de sanction appartient au Directeur général du Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière3 (C.N.G.). Les sanctions prises peuvent aller du simple avertissement à la révocation pure et simple du corps des praticiens hospitaliers. En tout état de cause, les sanctions pouvant être infligées sont limitativement énumérées par les textes. Les plus faibles d’entre elles ne nécessitent toutefois pas la saisine préalable pour avis du conseil de discipline.

Dans tous les cas, le praticien hospitalier bénéficie de droits et de garanties qu’il y est ou non saisine du conseil de discipline pour avis. Ainsi, le praticien se voit communiquer l’intégralité de son dossier dans tous les cas. Devant le conseil de discipline, il peut être assisté du défenseur de son choix, faire citer des témoins et présenter des observations écrites et orales5. In fine, il pourra saisir le tribunal administratif compétent pour contester la sanction prise à son encontre soit parce qu’il estime n’avoir commis aucun manquement caractérisant une faute soit parce qu’il estime que la sanction est disproportionnée au regard de la faute commise.

Il est important de souligner que, durant la procédure disciplinaire et pour une durée maximale de six mois6 en principe, le praticien hospitalier peut faire l’objet d’une décision de suspension de ses fonctions par le Directeur général du C.N.G. Cette mesure ne revêt toutefois pas le caractère d’une sanction disciplinaire comme le rappelle régulièrement la juridiction administrative7. A cet égard, il n’est pas inutile de rappeler que le directeur d’un centre hospitalier dispose également du pouvoir de suspendre un praticien hospitalier de ses activités cliniques et thérapeutiques dès lors que le comportement du praticien nuit gravement au fonctionnement du service et met en danger la sécurité des patients.

Par ailleurs, s’agissant des praticiens hospitaliers professeurs des universités (PU-PH) qui sont souvent chef de services dans les centres hospitaliers universitaires (C.H.U.), ils ont un statut propre et distinct de celui des praticiens hospitaliers9 et la procédure disciplinaire est différente puisqu’ils relèvent d’une juridiction disciplinaire nationale présidée par un Conseiller d’Etat ou un professeur de l’enseignement supérieur10 11. Les sanctions disciplinaires encourues sont également quelque peu différentes12. Comme les praticiens hospitaliers, ils peuvent également être suspendus durant la procédure disciplinaire13 ce qui implique que la suspension ne puisse être que temporaire.

Jusqu’à un revirement de jurisprudence il y a quelques années, le juge administratif effectuait un contrôle restreint de la sanction infligée à un praticien hospitalier en n’annulant une sanction disciplinaire qu’en cas d’erreur manifeste d’appréciation commise par le Directeur général du C.N.G15. Cette jurisprudence était conforme à celle qui était appliquée à l’ensemble des agents publics16. En 2013, dans un important arrêt, le Conseil d’Etat a mis fin à cette jurisprudence en décidant de contrôler la proportionnalité de la sanction disciplinaire infligée au regard des faits reprochés à un agent public.

L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Nancy du 26 octobre 2017 fait précisément application de cette jurisprudence aux praticiens hospitaliers qui ne sont, rappelons-le, certes pas des fonctionnaires mais bien des agents publics. Le Conseil d’Etat n’avait pas manqué de le rappeler à l’occasion du contentieux relatif à l’éligibilité des praticiens hospitaliers à l’exonération des rémunérations issues de l’accomplissement de temps de travail additionnel

Ainsi, la Cour administrative d’appel de Nancy rappelle qu’« il incombe à l'autorité investie du pouvoir disciplinaire d'apporter la preuve qui lui incombe de l'exactitude matérielle des griefs sur le fondement desquels elle inflige une sanction à un agent public. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes ».

L’affaire concernait le service de chirurgie cardiaque du Centre hospitalier régional (C.H.R.) de Metz-Thionville. Un rapport de l’Agence régionale de santé avait conclu à des dysfonctionnements graves au sein de ce service et la Directrice générale du C.N.G. avait décidé à titre de sanction de révoquer le praticien hospitalier qui avait été considéré comme l’auteur de manquements en se fondant sur une mortalité per-opératoire élevée.

La Cour a estimé que l’un des manquements à ses obligations professionnelles, à savoir le fait pour le praticien hospitalier en cause de ne pas tenir compte pour chacun de ses patients des avantages, inconvénients et conséquences en privilégiant une option opératoire, était établi et constituait bien une faute disciplinaire.

Toutefois, dans l’exercice de son contrôle de proportionnalité, les magistrats de Nancy ont estimé que la sanction disciplinaire de révocation du corps des praticiens hospitaliers était disproportionnée au vu du manquement reproché au praticien hospitalier poursuivi. La Cour a donc annulé cette sanction.

Cette décision doit être saluée car elle oblige la Directrice générale du C.N.G. dans l’exercice de son pouvoir disciplinaire, en particulier lorsqu’elle doit apprécier des manquements commis par un praticien hospitalier à ses obligations professionnelles, à veiller à infliger une sanction proportionnée au vu des seuls manquements réellement établis.

  • Article L4123-2 du code de la santé publique.
  • Cour administrative d’appel de Nancy, 26 octobre 2017, n°17NC00853.
  • Article 2 8° du décret n°2007-704 du 4 mai 2007.
  • Article R6152-74 du code de la santé publique.
  • Article R6152-75 du code de la santé publique.
  • Article R6152-77 du code de la santé publique, sauf poursuites pénales.
  • Voir, par exemple, Cour administrative d’appel de Nancy, 18 décembre 2014, n°13NC01483
  • La jurisprudence estime que le directeur du centre hospitalier tient cette prérogative de l’article L6143-7 du code de la santé publique ; voir, par exemple, Cour administrative d’appel de Marseille, 1er octobre 2013, n°12MA02273.
  • Décret n°84-135 du 24 février 1984.
  • Article L952-22 du code de l’éducation.
  • Décret n°86-1053 du 18 septembre 1986.
  • Article 19 du décret du 24 février 1984.
  • Article 25 du décret du 24 février 1984.
  • Conseil d’Etat, Section, 16 avril 2008, n°286585.
  • Voir, par exemple, Conseil d’Etat, 30 décembre 2011, n°342576.
  • Conseil d’Etat, Section, 9 juin 1978, Lebon, n°05911, Leb. p. 245.
  • Conseil d’Etat, Assemblée, 13 novembre 2013, n°347704, Leb. : « Considérant qu'il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes ».
  • Conseil d’Etat, 2 février 2015, n°373259 : « Considérant, en premier lieu, qu'il résulte des termes mêmes de ces dispositions que l'exonération de l'impôt sur le revenu s'appliquait à l'ensemble des agents publics titulaires ou non titulaires ; que, les praticiens hospitaliers à temps plein ou à temps partiel qui ont la qualité d'agent public, entraient donc dans le champ de cette exonération de l'impôt sur le revenu, alors même qu'ils ne sont pas régis par la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière »
  • Article paru dans la revue « Intersyndicat National Des Praticiens D’exercice Hospitalier Et Hospitalo-Universitaire.» / INPH n°12

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