La Bulgarie : Le situs inversus inconnu de l’EU

Publié le 17 May 2022 à 23:47

Radostina Vasileva née et élevée en Bulgarie, est venue en France pour y réaliser ses études de médecine. Après une PACES et un externat à Montpellier, elle est actuellement interne de GO à Paris. Elle nous donne par cet article sa vision de la médecine bulgare.

Boulevard Vitosha, Sofia.
On ne peut pas venir en Bulgarie et ne pas s’y promener. Les restos, les boutiques, le street art, la vue, tout est à découvrir. Et surtout, c’est un lieu de croisement de vies.

Octobre - Il pleut, la buée sort de la bouche lorsqu’on parle. Et il fait nuit.

Un homme mince et pâle arrête les passagers et essaie de leur expliquer quelque chose.

« Je m’appelle Sergey Petrov*, je suis épileptique. J’ai besoin de 10 leva** pour mes médicaments. S’il vous plait, pourriez-vous m’aider ? ».
Il porte des papiers dans ses mains – sa carte d’identité et une prescription. Il montre que cette dernière est bien à son nom et explique que c’est pour de Finlepsin ou autrement la carbamazepine...

Les gens passent à coté - c’est un homme fou, cela ne les concerne pas. D’autres lui laissent quelques monnaies.

Le système de santé bulgare ressemble au système français, le principe est le même, à savoir : l'Assurance Maladie est financée par les cotisations des travailleurs et les dépenses de la caisse se font selon les besoins de la population. Or, l’état de santé, le mode de (sur)vie des bulgares ne ressemblent point à ce qui serait acceptable de nos jours.

La population de Bulgarie, membre de l’UE depuis 2007, est petite – 6.9 Millions d’habitants. Un peu plus de deux millions de bulgares ont un travail1. Probablement plus d’un million de bulgares sont des émigrés à l’étranger – essentiellement en Europe occidentale, aux États-Unis, au Royaume-Uni. Or, qui dit population émigrante dit population jeune, cherchant de la formation et de l’insertion professionnelle.

Ainsi presque la moitié des bulgares constitue une population socialement isolée ou fragile – soit trop jeune, soit trop âgée, soit trop malade pour participer activement au fonctionnement du système de santé. Ce système affaibli est souvent insuffisant pour prendre en charge les besoins des bénéficiaires qui sont vulnérables face à des pratiques parties à la dérive.

Selon une enquête récente de l’Institut bulgare d’initiatives législatives2, 60 % des bulgares estiment le système de santé corrompu et, parmi ceux qui ont été témoins ou victimes de corruption, peu ont signalé ou entrepris des actions.

En parallèle, le secteur privé n’a pas manqué de se développer sans forcément proposer un meilleur système de valeurs.

Un cercle vicieux s’installe, s’entretient et surtout, est toléré.

Boulevard Vitosha, Sofia.
Juin – Il fait beau, tout le monde est dehors et profite du soleil.

Dans un des cafés, quelques copines se sont retrouvées pour fêter les un an de la remise de leurs diplômes en droit. Boryana* a la tête ailleurs - avec son fiancé Ivan*, ils viennent de voir leur bébé pour la première fois à l’échographie ce matin. « Allez, c’est le moment d’annoncer les nouvelles maintenant qu’avec Ivan on a vu la grossesse ! Je suis enceinte de 3 mois presque, j’y crois pas encore ! ».

 Ses amies non plus... Mais tout le monde est excité – c’est le premier bébé dans leur groupe. « Et tu sais déjà où tu vas accoucher ?
– demande une des filles.

— Je ne sais pas, j’avoue je ne me suis pas encore renseignée.
— Si tu veux faire une césarienne, ma sœur a accouché cet hiver à l’hôpital privé, elle est très contente de là-bas ! Certes c’est un peu plus cher mais c’est tellement mieux, plus propre, plus sûr pour le bébé ! Regarde sur internet ! ».

Au retour dans le métro, au bout de trois clics, Boryana est tombée sur les tarifs de l’hôpital. « Mais comment on va faire, 3500 leva la césarienne sans le séjour ?! C’est trois mois de salaire ! Et sinon à l’hôpital public, les conditions sont mauvaises. Est-ce qu’on ne s’est pas précipités pour cette grossesse ? Il n’est pas encore trop tard… Il faut qu’on en parle avec Ivan ».

A côté des autres crises ayant marqué le monde récemment, la crise démographique est à un status quo qui s’est installé depuis les années 90 lors de la chute du régime communiste. La Bulgarie se trouve dans le top 10 des plus faibles taux de croissance, celui-ci étant négatif depuis plusieurs années.

Ceci s’explique par une population vieillissante mais également par un taux de natalité extrêmement bas3, 4.

L'insécurité socio-économique dans le pays décourage d’avoir des enfants. La grossesse et l’accouchement sont sources de dépenses importantes dans lesquelles toute la famille doit souvent participer pour soutenir le jeune couple. Surtout quand on souhaite une prise en charge personnalisée, non paternaliste, attentive aux souhaits et bien-être maternels.

Or, dans l’extrême, les soins dans le privé transforment des soignants en prestataires de service, le patient en client. Contre une somme non négligeable, on formule sa demande et l’équipe médicale n’est là que pour l’exécuter. Choix d’équipe chirurgicale, césarienne, soins néonataux, type de séjour de la mère en post-partum – le tout peut aller jusqu’à 10 000 leva alors que le SMIC est fixé à 650 leva et en tant que tel est insuffisant pour subvenir aux besoins essentiels.

Paradoxalement ce cas de figure n’est pas si rare comme on peut voir sur les chiffres de césariennes qui représentaient 47 % des accouchements en 2020, un des plus haut taux d’Europe6, et avec des taux pouvant monter à 60 % dans certains hôpitaux privés7.

Au-delà du coût financier, la morbidité de la chirurgie reste parfois peu abordée lorsque la discussion de la voie d’accouchement se pose. Les futures primipares se posent souvent la question de la voie d’accouchement sans qu’il y ait même une indication de césarienne.

Peur de la douleur, peur de l’issue de l’accouchement, envie de faire comme les autres ̶ les raisons pour ce choix sont multiples bien que certains spécialistes militent pour une meilleure information sur les risques de la chirurgie. Enfin, les hôpitaux privées et publiques étant chargés d’assurer un bilan financier positif, une tension est inévitable entre ce qui est moral et ce qui est vital pour continuer à fonctionner.

Cela s’applique aussi aux questions autour de la grossesse. Parfois la profession médicale finit par être associée surtout à un statut financier élevé plutôt qu’à sa dimension humaine. Par ailleurs, la spécialité de la gynécologie-obstétrique est l’une des plus demandées et parmi les mieux payées du pays ; le bon déroulement de la grossesse étant une priorité et raison de dépenses non discutables pour tout futur parent.

Boulevard Vitosha, Sofia.
Janvier – Quelques flocons de neige tombent, les gens marchent vite pour trouver un abri au chaud.

Elena, Daniel et Cyril* marchent en zigzag et rigolent. Ils viennent de sortir d’un bar pour se diriger vers la boîte où ils ont l’habitude de fêter la fin des examens.

« Santé ! On est trop forts ! Tout est validé… sauf module hygiène pour toi Dani, va falloir apprendre les bases, hein ? S’exclame Elena.
— Laisse tomber, c’est juste que je n’aime pas les oraux. Je ne sais pas mentir ou improviser quand je n’ai pas bossé.
— Bah il faut apprendre, dit Cyril. Surtout si tu dois te débrouiller et que papa n’est pas le chef de service de neuro, n’est-ce pas Elena ?
— Oui, ça va, je ne suis pas non plus la personne qui glisse des billets de 50 leva aux profs quand on me demande mon carnet de notes.
— Ça c’est quelque chose qui demande de la maîtrise ! répond Elena.
— Oh, mais c’est n’est arrivé qu’une fois ! D’autres font ça tout le temps et je ne parle même pas des étudiants étrangers – tu paies tout en une fois et t’as le diplôme dans la poche !

La Bulgarie présente un nombre relativement satisfaisant de médecins per capita. L’accès au soin est essentiellement limité par son coût et, plus rarement dans les zones rurales, par la distance.

Cinq universités assurent la formation des jeunes médecins, les examens d’admission se faisant en terminale et permettant ainsi d’accéder à des places du numerus clausus, financées par le gouvernement. Pour ceux qui ont été ajournés ou bien les étudiants étrangers, des places supplémentaires sont ouvertes après avoir passé d’autres épreuves et des taxes spéciales autour 7000-8000 euros par an s’appliquent.

L’externat n’existe pas – la plupart de la formation se fait en CM, TD et TP. Des stages sont faits en été si l’étudiant le souhaite et s’il trouve une place pour faire son stage. Chose pas toujours évidente car les équipes, ayant peu d’expérience des stagiaires, ne sont pas intéressées à en avoir. Avoir du réseau est de grande aide, voire indispensable.

Autre option pour les étudiants, postuler pour le poste d’infirmier dans un service dont la spécialité les intéresse.

Au final, peu d'étudiants ont réellement délivré des soins, acquis des expériences de plusieurs services ou tout simplement profité du compagnonnage de la part de leur ainées. L’enjeu principal est de trouver une place pour l’internat car les postes sont obtenus après interview dans un hôpital ayant l’accréditation, la sélection étant parfois subjective.

L’interne reste la plupart de sa formation dans le même hôpital, celui où il a été recruté. Pour devenir gynécologue par exemple, 4 ans sont requis et la maquette est remplie en tournant sur différents postes au sein du même établissement. L’internat - certes obligatoire - n’implique pas en soi l’obtention d’un doctorat. Afin de valider la spécialité, une évaluation théorique et pratique a lieu. Pour valider l’internat de GO, la liste de gestes comprend la réalisation entre autre de 2 hystérectomies totales, 4 extractions instrumentales, 3 césariennes en tant que premier opérateur… 8 épisiotomies…

A noter qu’en 2020, seulement 408 extractions instrumentales ont été effectuées sur l’intégralité des maternités en Bulgarie. Cela aboutit à la disparition petit à petit de cette branche de l’art obstétrical. Son enseignement devient rare et donc sa pratique devient obsolète. De la même façon, la délégation de tâches dans tous les domaines de la médecine est difficile par manque d’occasions ou de ressources ; et les jeunes spécialistes ont du mal à acquérir de l’expérience nécessaire pour délivrer des soins de qualité.

Boulevard Vitosha, Sofia.
Des manifestants contre le pass sanitaire se sont réunis. Des reportages en direct se font par des journalistes.

« Pourquoi êtes-vous contre le pass ?
— Les vaccins Covid ce n’est qu’un complot pour gagner de l’argent, c’est pour cela qu’on est là ! ».

La journaliste finit son interview et passe la parole à son collègue qui suit l’affaire de la délivrance de faux pass sanitaires.

Les conséquences de la crise sanitaire liée au Covid-19 en Bulgarie ne sont pas encore connues. Les statistiques ne sont pas exhaustives, sousestiment la gravité et sont insuffisantes à Revue pour les Internes de Gynécologie Obstétrique 17 l’élaboration de stratégies. Un déni de l’existence de cette maladie persiste et se fonde notamment sur la non-confiance dans le gouvernement qui a changé trois fois en moins d’un an. Ceci impacte le programme de vaccination. A l’arrivée de l’hiver 2021, seulement un cinquième de la population éligible a eu les deux doses. Parmi eux, des faux pass sanitaires circulent, vendus pour quelques centaines de leva après destruction des deux doses de vaccin. Les actions des institutions et experts pour la vaccination sont contredites et compromises par certains confrères, alors que les hôpitaux manquent de lits disponibles pour soigner des malades. Des internes et des seniors des différentes spécialités médicales tournent afin d’assurer la permanence des soins dans les services Covid. Ceci dans des conditions précaires, avec peu de ressources et une rémunération insuffisante qui tourne autour de 500 euros par mois, avec des gardes autour de 10 euros.

Garder la balance entre la déontologie et ses propres besoins n’est pas si simple, voire impossible. A moins qu’on accepte de travailler à 2-3 endroits différents.

Enfin, partir à l’étranger est l’autre solution pour échapper au système. C’est la solution pour se former, avoir la possibilité d’exercer selon les règles de l’art pour les médecins ; et c’est la solution pour vivre avec dignité pour les malades ou non malades.

Terminal 1, Aéroport de Sofia.
Toute saison. Toute heure.
Avant la crise sanitaire, l’aéroport le plus grand de Bulgarie accueillait 7 millions de passagers par an – beaucoup de touristes mais aussi beaucoup de travailleurs saisonniers, étudiants, émigrés bulgares.

On ne saura jamais l’histoire de chacun. Mais tous ont leur raison d’être partis.

Références
1. https://www.nsi.bg/en/content/3953/total
2. http://www.bili-bg.org/85/page.html
3. https://ec.europa.eu/eurostat/cache/digpub/demography/bloc-2a.html?lang=en
4. https://www.nsi.bg/en/content/2956/births-place-residence-statistical-regions-districts-and-sex
5. https://www.cia.gov/the-world-factbook/field/birth-rate/country-comparison
6. https://ec.europa.eu/eurostat/web/products-eurostat-news/-/ddn-20191217-1
7. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25909134/

Radostina VASILEVA

 Article paru dans la revue “Association des Gynécologues Obstétriciens en Formation” / AGOF n°22

L'accès à cet article est GRATUIT, mais il est restreint aux membres RESEAU PRO SANTE

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