L’interview d’un senior : Pr Thierry Ponchon

Publié le 23 Feb 2023 à 17:32

 

Bonjour Professeur Ponchon et merci d’avoir accepté d’inaugurer cette nouvelle rubrique du journal des jeunes gastros.

Aux jeunes internes qui ne vous connaîtraient pas, pourriez-vous vous présenter en quelques Lignes ?

Mini CV

  • Ancien chef du service des maladies digestives, CHU Edouard Herriot, Lyon, France
  • Ancien président de la Société européenne d’endoscopie digestive (ESGE)
  • Ancien Président de la Société Française d’Endoscopie Digestive (SFED)
  • Ancien Président du comité de recherche de la SFED et du comité de recherche de l’ESGE
  • Ancien président de la commission affaires publiques de l’Union Européenne de Gastroentérologie (UEG)
  • Ancien co-rédacteur en chef du Journal Endoscopy
  • Rédacteur en chef de la revue Endoscopy International Open
  • Président du centre régional de coordination des dépistages des cancers de Auvergne Rhône Alpes (CRCDC AuRA)
  • Membre de l’INSERM U1012 (Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale) sur les applications médicales des ultrasons et des rayonnements non ionisants
  • Co-responsable du diplôme français d’endoscopie interventionnelle
  • Membre de SOBED (Brésil), JGES (Japon), DVGS (Allemagne), ASGE (USA)
  • 400 publications
  • Biosketch

Après avoir passé 2 ans à l’INSERM sur le dosage des hormones digestives, je me suis orienté vers l’endoscopie digestive, d’abord en CPRE puis dans tous les secteurs de l’endoscopie. J’ai été le premier PU-PH nommé en France spécifiquement en endoscopie digestive. Mon souci constant de hisser l’endoscopie digestive au niveau des autres surspécialités de l’hépato- gastroentérologie en recherche expérimentale, recherche clinique, qualité des soins et éducation, a je pense, été efficace et a permis l’éclosion de plusieurs générations d’universitaires endoscopistes. Les actions et initiatives que j’ai lancées au niveau de la SFED (Commission recherche et développement, pérennisation de Video-Digest) et de l’ESGE (Structuration des recommandations et des critères de qualité. Création de la commission recherche, des curricula, des webinars, des ESGEdays, de la certification, de la commission santé publique, _ …) en témoignent. J’ai pris une orientation plus récente vers le dépistage organisé des cancers. À noter enfin que j’ai toujours veillé à défendre les conditions de pratique de l’endoscopie auprès des autorités, en n’hésitant pas à participer aux activités syndicales ou même en sollicitant le Conseil d’État.

Vous avez beaucoup travaillé sur le dépistage du cancer colorectal. En 2020-2021 seuls 35 % de la population française a réalisé un test de dépistage, un chiffre en hausse par rapport à la période précédente (2018-2019) mais toujours en-deçà de l’objectif européen de 45 %. Comment expliquer ce mauvais chiffre et comment l’améliorer ?

Le pourcentage de la population qui participe au dépistage du cancer colorectal est effectivement de 73_ % aux Pays-Bas, 59_ % en Angleterre et 46_ % en Espagne pour un objectif européen acceptable à 45_ % et recommandé à 65_ %. La France est largement loin derrière les pays de l’Europe de l’Ouest. Ces chiffres sont d’autant plus alarmants que la France a débuté le dépistage des cancers avant les autres pays : Les Pays- Bas ont débuté le dépistage du cancer colorectal en 2014 alors que la France a débuté en 2008. À noter que la tendance est la même pour le dépistage du cancer du sein et le dépistage du cancer du col de l’utérus. La classique référence à une éventuelle influence d’un tempérament méditerranéen indiscipliné, n’est pas la seule explication puisque les taux de participation sont bien meilleurs en Italie et Espagne qu’en France et que le problème est général en France du Nord au Sud, les taux de participation étant surtout (mais relativement peu) influencés par l’historique de la mise en place des dépistages et par la typologie, rurale versus urbaine, de la population. Une des causes (mais pas la seule) est que jusqu’en 2022, la distribution du test passait quasi- exclusivement par le médecin traitant. Il ne s’agit pas d’accuser le médecin traitant, qui joue un rôle important dans l’incitation de sa patientèle à se faire dépister, mais il ne doit pas être le seul moyen d’accès au dépistage. Et ce pour plusieurs raisons : 5 millions de personnes n’ont pas de médecin traitant, la démographie actuelle des généralistes est malheureusement insuffisante et la distribution du test par le médecin traitant est très variable. En cause, une surcharge de travail, un manque de moyens de secrétariat, une démotivation chez certains praticiens… Les résultats de la rémunération sur objectifs de santé publique montrent qu’il y a des écarts très importants en nombre de tests réalisés d’un médecin traitant à un autre. Depuis 2022, les personnes peuvent commander en ligne ou aller chercher un test chez un pharmacien. Ma crainte est que le dépistage ait été «  plombé  » depuis des années par un défaut de gouvernance du programme et qu’il soit difficile de retourner la situation.

Si vous deviez refaire vos études, quelle spécialité choisiriez-vous et pourquoi ?

Indiscutablement l’hépato-gastroentérologie pour plusieurs raisons : 1) la combinaison de ses composantes cliniques et techniques 2) les multiples organes concernés 3) les multiples types de pathologies 4) une certaine modestie des acteurs de cette spécialité.

À la place d’un jeune universitaire en gastro-entérologie en début de carrière aujourd’hui, quelle orientation choisiriez-vous ?

  • De principe, s’orienter vers une surspécialité qui n’a pas été investie par d’autres. Même si elle ne semble pas avoir dans l’immédiat un devenir brillant. Son devenir peut dépendre de vous et de votre implication. Exemple : le microbiote et l’intelligence artificielle, c’est peut être déjà un peu tard pour s’y engouffrer.
  • Dans le même ordre d’idée, toujours penser différemment du groupe, avoir une autre perspective que le groupe.
  • Même en s’orientant vers une surspécialité, ne pas oublier que vous êtes hépato-gastroentérologue : ce qui veut dire maintenir une activité clinique, tenir votre rôle au sein de votre spécialité et maintenir les liens avec les autres surspécialités.
  • Le plus stimulant est de savoir changer de surspécialité après une dizaine d’années. Ce n’est pas donné à tout le monde. Il est assez facile de « se maintenir ». Il est bien plus difficile de savoir « détruire » ce que l’on a créé et reconstruire sur d’autres bases. Mais cela fait une « belle » carrière.

Depuis le début de votre activité, qu’est-ce qui a le plus selon vous révolutionné la spécialité ?

C’est un peu historique. J’ai vécu la révolution ulcère gastro- duodénal = maladie infectieuse, ce qui était inimaginable pour des générations d’hépato-gastroentérologues, qui travaillaient sur les causes acidité gastrique et stress. Barry Marschall n’était qu’un modeste professeur de microbiologie à Perth, Australie. Je l’ai rencontré quand il présenté lors d’un congrès mondial qu’un traitement antibiotique réduisait considérablement le taux de récidive ulcéreuse, l’ulcère étant alors un véritable fléau. Nous étions 20 dans la salle. Un an après, toutes les équipes s’étaient mises sur HP. Il a eu un mérité prix Nobel 20 ans après. En endoscopie, j’ai aussi connu les débuts et l’ascension de l’écho-endoscopie, le remplacement des méthodes de destruction des tumeurs superficielles digestives par les précises méthodes de résection, l’arrivée des méthodes de traitement endoscopique des troubles moteurs, le développement fantastique de l’imagerie endoscopique. Quand j’ai été nommé PU-PH, il m’a été demandé par le jury non sans malice mais non sans fondement, si l’endoscopie avait un avenir et s’il était alors nécessaire de me nommer. Trente ans après, l’endoscopie a toujours un avenir. Mais n’oubliez pas : toute technique et/ou toute maladie est appelée un jour à disparaître.

Inversement comment voyez-vous l’avenir de la spécialité ? De l’intelligence artificielle aux recherches sur le microbiote intestinal, comment va-t-elle être bouleversée par les progrès scientifiques à venir ?

Certes, on peut miser sur IA et sur le microbiote, mais je me permets d’esquiver la question. Car il faut se garder de se prétendre visionnaire_ ou simplement clairvoyant : c’est prétentieux et les prédictions souvent erronées. Même pour le plus intelligent d’entre vous. Mais je me permets quelques conseils_ : Si on ne peut pas prédire l’avenir, il faut toujours s’y préparer. Ce qui veut dire :

  • Souplesse d’esprit : penser différemment des autres et explorer des pistes originales voire aventureuses.
  • Mais à deux conditions pour emporter la conviction et réussir :

› être rigoureux dans le travail et la méthode, être organisé même dans la passion et l’aventure.

› fédérer et réunir les forces même celles semblant en opposition ou ayant un intérêt divergent. Savoir s’entourer de personnalités qui vous challengent.

Auriez-vous un conseil à donner aux jeunes internes en gastro-entérologie pour leur Formation ? [recommandation de DU, de livre ou d’une source d’information en particulier]

Ce ne sont pas les moyens de formation qui manquent. Je me renierais si je n’affirmais pas qu’il faut compléter sa formation par un ou des DIU/DU, qu’il faut assurer une veille bibliographique personnelle, qu’il faut suivre les activités des espaces juniors des sociétés savantes, qu’il faut avoir un rôle même modeste dans le fonctionnement d’un service, d’un hôpital, d’une société savante, d’une URPS... S’engager.

Un conseil plus personnel mais basique : développer une ou deux véritables expertises en dehors de la médecine (sport, culture, musique, ...).

En 2021 une étude coordonnée par l’ANEMF et l’ISNI sur la santé mentale des jeunes médecins, internes et externes compris, montrait une augmentation de la prévalence des symptômes anxieux et dépressifs par rapport à la précédente en_2017. Notre spécialité n’est pas épargnée par ce malaise, loin s’en faut. Comment l’expliquer selon vous et comment y répondre ?

Le temps passe vite et mon avis est certainement assez daté. Ma réponse sera prudente. À vrai dire, je ne sais pas comment précisément expliquer cette évolution. D’autres l’expliquent certainement mieux que moi. On parle d’épuisement et de cadences de travail insoutenables. S’il est normal d’encadrer et de respecter les horaires de travail, je ne suis pas certain que ce soient les principales raisons. L’accroissement exponentielle de la somme de connaissances à acquérir, une plus grande exigence dans les résultats qui peut s’apparenter à de l’emprise (la nécessité de suivre recommandations et critères de qualité), et des relations différentes patients-soignants peuvent expliquer le mal-être des jeunes médecins, qui peuvent se sentir de simples rouages à l’hôpital alors que leurs prédécesseurs exerçaient dans un espace moins contraint avec plus de libertés dans la pratique et moins d’attendus dans les résultats. Dire qu’il y a 40 ans, l’environnement était plus humain, moins oppressant et plus libertaire est peut-être simpliste, mais… Mon expérience personnelle qui a une valeur relative : Mon premier poste d’interne s’est déroulé dans le service de soins intensifs du CHLS : j’ai pris ce service car j’avais été 2 ans médecin sur un bâtiment de la marine nationale dans le Pacifique et que mon niveau était quasi-nul : je voulais avoir le stage le plus difficile pour me « booster ». Seul la nuit (alors que probablement maintenant dans le même service il y a plusieurs assistants et internes), avec tous les types d’urgence : AVC, infarctus, choc septique, coma hyperosmolaire… j’ai dû faire face mais en 2 mois, je maîtrisais. Responsable mais avec moins de contraintes.

L’hôpital également ne se porte pas bien. Les services de gastro-entérologie souffrent d’un manque de personnel paramédical. Êtes-vous inquiet pour le service public ? Qu’a-t-il à offrir aux jeunes gastro-entérologues tentés par une carrière dans le privé ?

Bonne réflexion. Je constate effectivement une dégradation. Mais d’abord l’installation dans le privé ne doit pas être considérée comme ce que l’on fait quand on ne peut pas rester à l’hôpital. Les 2 pratiques sont complémentaires et doivent être encouragées. Je ne suis pas inquiet sur le fond pour 2 raisons  : 1) Pour l’instant, on manque de personnel paramédical et de certaines spécialités médicales. Je suis membre de la commission nationale de qualification : la situation est catastrophique dans les petits CH. Mais je ne serai pas surpris que dans 15 ans, ce soit l’inverse : trop de professionnels de santé. L’effet très retardé des variations du nombre d’étudiants admis à poursuivre leurs études et également les orientations très diversifiées des jeunes médecins et du personnel paramédical expliquent l’imprédictibilité des besoins de formation. 37 % des personnes qui débutent leurs études d’infirmier ne les finissent pas ! 2) la situation n’est pas bien meilleure dans le système privé. Les établissements privés eux-mêmes souffrent et leur situation financière n’est pas si florissante. Ce qui m’inquiète le plus à vrai dire : le pays vit au-dessus de ses moyens et n’est plus capable d’offrir les meilleurs soins pour tous. Cela se traduit déjà effectivement par les niveaux des salaires du personnel à l’hôpital inférieurs à ceux des autres pays européens. La vérité n’est pas dite.

Auriez-vous une anecdote à nous partager ? Une histoire qui vous a peut-être amusé ?

J’ai plein d’histoires. Celle-ci : en 1985-86, j’avais demandé à mon chef de service à aller à Amsterdam pour ramener en France la technique des prothèses biliaires. J’ai passé 3 jours à Amsterdam Medical Center (AMC) et effectivement, j’ai débuté à mon retour la pose de prothèses biliaires. Mais dans le service de l’AMC, il y avait une salle d’endoscopie qui était fermée à tous. Je m’y suis glissébien entendu ! et j’y ai eu vu Lok Tio réaliser les premières échoendoscopies au monde sous la conduite de G Tytgat, le puissant chef de service de l’AMC, le gastro aux 1000 publications, qui avait réussi à convaincre les industriels japonais de débuter la technique à l’AMC. AMC venait de recevoir l’appareil (NB_ : Lok Tio d’origine indonésienne a fait une brève carrière internationale et est décédé de cancer du pancréas !). Aussitôt rentré à Lyon, j’ai dit à mon chef de service : merci, j’ai pu apprendre la technique de pose des prothèses biliaires mais j’ai surtout vu un échoendoscope et il faut que l’on s’y mette aussi_ ! Réponse de mon chef de service : « Ponchon, vous ne comprenez rien. Cette technique n’a pas d’avenir. » Et pourtant ce chef de service a été un grand chef de service, mon mentor et je le lui dois beaucoup. Il faut se méfier de se prétendre visionnaire.

 

 



Pr Thierry PONCHON

 

 
Victor LEGAL

Article paru dans la revue “Association Française des Internes d’Hépato-Gastro-Entérologie ” / JJG n°2

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