Revue De La Littérature
L’insuffisance tricuspide (IT) est une lésion valvulaire très fréquente avec une prévalence de 0,5 % dans la population générale, plus importante chez les femmes et qui augmente avec l’âge. Sa prévalence est de 50 à 80 % chez les patients présentant une insuffisance cardiaque à FEVG altérée. Elle a longtemps été négligée car considérée bénigne. Il est désormais clairement établi que l’IT est associée à un mauvais pronostic, avec une morbi-mortalité qui augmente avec le degré de sévérité.
Caractéristiques de l’insuffisance tricuspide
La valve tricuspide, qui est la valve atrio-ventriculaire du coeur droit, est composée le plus souvent de 3 feuillets : antérieur, postérieur et septal. Le feuillet antérieur est le plus large, le feuillet postérieur est de plus petite taille et triangulaire ; enfin le feuillet septal est semi-circulaire, au niveau du septum inter-atrial. Le nombre de muscles papillaires est variable.
Surgical anatomy of the tricuspid valver: the triangle of Koch (TK) is indicated by the orange area.
Ant = anterior;
AVN = atrioventricular node;
CSO = coronary sinus orifice;
Post = posterior; Sept = septal;
TT = tendon of Todaro.
Figure 1 : Anatomie de la valve tricuspide
Il existe différents types d’insuffisance tricuspide :
IT organique : en rapport avec une lésion de la valve. Elle représente moins de 10 % des cas. Elle peut survenir dans le cadre de cardiopathies congénitales (maladie d’Ebstein le plus souvent) ou être acquise (rhumatisme articulaire, endocardite, carcinoïde, radique, médicamenteuse, dystrophique, traumatique (post-implantation de défibrillateur/stimulateur, post-biopsie myocardique, ou post-traumatisme thoracique).
IT fonctionnelle ou secondaire, en rapport avec le retentissement d’une pathologie du coeur gauche ou pulmonaire ayant abouti à un remodelage du ventricule droit avec dilatation du ventricule droit, déplacement des piliers et dilatation de l’anneau tricuspide aboutissant à une fuite tricuspide centrale, sans atteinte intrinsèque de la valve ; il s’agit de l’étiologie la plus fréquente de fuite tricuspide.
IT dite idiopathique, souvent atriale, par dilatation de l’oreillette droite et de l’anneau tricuspide secondaire le plus souvent à une fibrillation atriale permanente, aboutissant à une fuite tricuspide centrale, sans atteinte intrinsèque de la valve. Ce mécanisme est relativement fréquent puisqu’il concernerait environ 25 % des patients présentant une fibrillation atriale persistante ou permanente depuis plus de 10 ans.
Figure 2 : Différents mécanismes d’insuffisance tricuspide
L’ETT est l’examen clé pour caractériser une insuffisance tricuspide. Elle permet de préciser le mécanisme et de quantifier le degré de sévérité de la fuite, dont la classification est actuellement débattue, certains proposant 3 grades (mild, moderate, severe) alors que d’autres proposent 5 grades (mild, moderate, severe, massive, torrential). De façon schématique, les critères suivants plaident pour une insuffisance tricuspide sévère : volumineux défaut de coaptation, flux laminaire (aspect triangulaire, pic < 2 m/s), largeur de la vena contracta ≥ 7 mm, rayon de PISA > 9 mm, surface de l’orifice régurgitant ≥ 40 mm2, volume de l’orifice régurgitant ≥ 45 ml, onde E antérograde >1 cm/s, reflux dans les veines sus-hépatique, dilatation de la veine cave inférieure.
La mesure de l’anneau tricuspide, qui doit être systématiquement réalisée avant toute chirurgie valvulaire aortique ou mitrale, se fait en coupe apicale 4 cavités au moment de son ouverture maximale en diastole, même si cette mesure sous-estime le grand axe du fait de la forme elliptique de l’anneau.
Pronostic des patients avec IT sévère et insuffisants cardiaques
Plusieurs études portant sur de grandes cohortes ont démontré que la présence d’une insuffisance tricuspide modérée à sévère est un facteur pronostic indépendant, associé à un excès significatif de mortalité et de morbidité.
Une étude récente a montré que chez les patients ayant une insuffisance cardiaque à fraction d’éjection systolique altérée, l’IT secondaire est associée à une surmortalité, indépendamment d’autres paramètres comme l’AC/FA ou l’hypertension artérielle pulmonaire. Cet excès de mortalité augmente avec le degré de sévérité de l’IT.
Figure 3 : Courbes de survie des patients présentant une insuffisance tricuspide avec une FEVG < 50 %
Certains critères étaient associés à l’IT secondaire dans cette étude : l’âge, le sexe féminin, la fibrillation atriale, l’insuffisance mitrale et l’altération de la FEVG.
Des études ont également démontré le mauvais pronostic associé à la présence d’une fuite tricuspidienne sévère que ce soit en termes d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque ou de décès (44 % de décès à 4 ans si fuite sévère). L’insuffisance tricuspide idiopathique présente un taux de décès plus élevé que l’insuffisance tricuspide organique (majoration de plus de 80 % du risque de décès par rapport aux autres étiologies).
La présence d’une insuffisance tricuspide reste un élément pronostic majeur chez les patients présentant une atteinte du coeur gauche, notamment valvulaire.
Par exemple, il a été montré une association significative en termes de mortalité, en cas de sténose aortique bas débit bas gradient avec insuffisance tricuspide significative, et ce que ce soit avec un traitement médical ou chirurgical du rétrécissement aortique.
L’insuffisance tricuspide dite “isolée” ou également “atriale” du fait de sa très fréquente association à une fibrillation atriale est également associée à un mauvais pronostic. Il a été rapporté à la Mayo Clinic un taux élevé de décès (8 % à 5 ans de suivi) et d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque (50 % à 5 ans de suivi). La présence d’une défaillance rénale associée était associée à un excès de mortalité.
Prise en charge de l’insuffisance tricuspide
Malgré le très mauvais pronostic associé à l’insuffisance tricuspide significative, plus de 90 % des patients porteurs d’une insuffisance tricuspide modérée à sévère n’ont jamais eu de geste chirurgical proposé et sont traités uniquement de façon symptomatique par diurétiques. Il faut distinguer 2 situations cliniques.
Dans la première situation, le patient est adressé au chirurgien pour une chirurgie valvulaire du coeur gauche, aortique ou mitrale. Un geste sur la valve tricuspide sera proposé dans le même temps opératoire en cas d’IT sévère (classe IC) ou d’IT organique moyenne (classe IIaC) ou en l’absence d’IT significative si l’anneau tricuspide est dilaté (40mm ou 21mm/m2 en ETT dans l’incidence apicale 4 cavités) (classe IIaC) pour les Européens. Les Américains ajoutent l’antécédent d’insuffisance cardiaque droite même en l’absence d’IT significative (classe IIaB). Cette intervention est associée à pas ou peu de morbi-mortalité associée et permet de réduire le taux d’IT sévères tardives à distance de la chirurgie valvulaire du coeur gauche.
Dans la deuxième situation, le patient présente une IT isolée. Les indications opératoires sont très limitées dans les recommandations puisqu’elles ne proposent, une chirurgie tricuspide isolée (c’est-à-dire sans autre geste associé) pour les IT fonctionnelles dont le pronostic spontané est mauvais, qu’en cas d’opération préalable du coeur gauche, si le patient présente une IT sévère symptomatique ou avec apparition progressive d’une dilatation ou dysfonction ventriculaire droite mais sans dysfonction ventriculaire gauche ou droite sévère ni hypertension artérielle pulmonaire sévère (classe IIaC pour les Européens et les Américains). Cette réserve est liée au fait que la chirurgie tricuspide isolée est considérée à haut risque avec une mortalité estimée entre 8.8 et 10 % dans les études récentes. Cette mortalité semble en grande partie due au terrain des patients et au retentissement de l’IT avec atteinte ventriculaire droite, hépatique et rénale, d’où la nécessité de trouver un timing plus approprié bien plus précoce.
La chirurgie tricuspide est le plus souvent une annuloplastie pour les IT fonctionnelles et un remplacement valvulaire, en général biologique, pour les IT organiques.
Le risque de récidive n’est pas négligeable, estimé à 20 % à 5 ans, avec un taux de mortalité intra-hospitalière élevé (37 %) en cas de nouvelle chirurgie tricuspide.
The most common tricuspid valve operations include the Kay bicuspidation (A), DeVega suture annuloplasty (B), prosthetic annuloplasty band (C) and tricuspid valve replacement (D), AVN, atrioventricular node; CS, coronary sinus; A, anterior leaflet; P, posterior leaflet; S, septal leaflet.
Figure 4 : Prise en charge chirurgicale de l’insuffisance tricuspide
Devant la gravité de cette pathologie et le peu de patients traités chirurgicalement, de nouveaux traitements percutanés sont en cours de développement.
Ci-dessous les différentes techniques percutanées déjà implantées chez l’Homme :
- Implantation de valve hétérotopique de Caval en percutanée : soit avec une expansion au ballon (Sapiens 3) ; soit auto-expansible (TricValve) ; l’implantation ne se faisant pas au niveau de la valve tricuspide mais dans le système cave, on obtient une égalisation des pressions dans l’oreillette droite et dans le ventricule droit, ce qui peut favoriser les arythmies atriales et la dilatation du ventricule droit.
- Annuloplastie percutanée : Le principe de cette procédure (Trialign) est de plicaturer la partie musculaire (antérieure et postérieure) de l’anneau tricuspide, mimant ainsi la technique chirurgicale de bicuspidisation de Kay.
- TriCinch système : mise en place d’un “crochet” près de la commissure antéro-postérieure ; mise en tension du système avec raccourcissement de l’anneau tricuspide via une bande en Dacron, ellemême reliée à un stent auto-expansible placé dans la veine cave inférieure.
- CardioBand system : annuloplastie per cutanée via un système d’ancrage supra-annulaire mimant la technique chirurgicale d’annuloplastie.
- Triclip : mise en place d’un clip sur les feuillets tricuspidiens permettant une réduction de la fuite.
- FORMA system : cette technique s’applique aux insuffisances tricuspides avec perte de coaptation ou secondaire à une dilatation annulaire. Le “spacer” est placé au niveau de la fuite avec son extrémité fixée à l’apex du ventricule droit (ancrée) et sa portion proximale est ensuite fixée dans la veine sous-clavière.
- GATE system : un stent avec valve tricuspide est fixé en regard de l’anneau tricuspide.
Multiple percutaneous devices are in development for the treatment of tricuspid regurgitation. Panel (A) is the FORMA device, a tricuspid spacer which occupies the regurgitant orifice and provides a surface against which coaptation can occur. Panel (B) demonstrates the TriAlign, which percutaneously reproduces a surgical Kay bicuspidisation. Panel (C) shows the MitraClip being used in the tricuspid position. Panel (D) demonstrates a stented caval valve implanted in the inferior vena cava.
Figure 5 : prises en charge per cutanée de l’insuffisance tricuspide
Peu d’études ont pour l’instant validé ces techniques. Une étude récemment publiée a comparé 268 patients avec une insuffisance tricuspide sévère, traités par procédure percutanée (toutes les techniques étaient incluses) avec d’autres patients ayant les mêmes caractéristiques mais traités médicalement seulement. A un an de suivi, on notait une nette diminution de la mortalité chez les patients traités par voie percutanée (23 % versus 36 % dans le groupe contrôle ; p=0,001) ainsi qu’une diminution significative des réhospitalisations (26 % versus 4 7%, p<0,0001). A noter que ces résultats sont à interpréter avec précautions dans la mesure où les patients n’étaient pas randomisés.
Principaux messages à retenir
- L’insuffisance tricuspide est une pathologie fréquente, dont la prévalence augmente avec l’âge.
- C’est une pathologie grave, dont la morbi-mortalité augmente avec le degré de sévérité de l’IT.
- L’insuffisance tricuspide dite idiopathique, souvent retrouvée chez des patients âgés en FA permanente, présente un très mauvais pronostic.
- La prise en charge chirurgicale est rarement réalisée et souvent à un stade très avancé de la pathologie.
- Il est important de définir le timing optimal pour le traitement curatif de l’IT.
Le traitement percutané est en cours de développement.
Bibliographie
Article paru dans la revue “Collèges des Cardiologues en Formation” / CCF N°11