Actualités : L’impériosité du respect du temps de travail des internes

Publié le 20 mars 2025 à 08:24
Article paru dans la revue « ISNI / ISNI » / ISNI N°34

Le décompte du temps de travail, c'est comme la radiographie de thorax à la pneumopathie infectieuse, le moyen de faire le diagnostic. Le diagnostic des services en difficultés afin de mettre en place les mesures nécessaires à une amélioration de la qualité de vie au travail des soignants et, ainsi, permettre de mieux prendre en charge les patients.

L'ISNI affirme de nouveau l'impériosité de faire décompter le temps de travail pour tous les internes. Thomas CITTI, Vice-Président chargé des Politiques de Santé à l'ISNI, interne en Médecine Intensive et Réanimation à Nice, rappelle la position de l'intersyndicale.

À partir du moment où la loi est claire, faire appliquer la loi est une priorité. Aujourd'hui, dans de nombreux domaines, la loi est du côté des internes. Le principal frein réside dans le fait que l'on n'arrive pas à faire appliquer la loi.

Selon la loi, le temps de travail, ou « obligations de service », est limité à 48 h hebdomadaire lissé sur 3 mois, réparti en 9 demi-journées dont une consacrée à la formation sous la responsabilité du coordonnateur de DES, auquel s'ajoute un service normal de garde (une garde par semaine et une de week-end/ jour férié par mois).

Il est nécessaire de rappeler qu'un interne de spécialité médicale travaille en moyenne 59 h par semaine, que 10 % des internes travaillent 80 h par semaine. Selon l'enquête santé mentale de 2024 (et l'enquête de 2021) 66 % des étudiants présenteront des signes de burnout, 52 % des symptômes anxieux, 27 % des épisodes dépressifs caractérisés et 21 % des idées suicidaires. Ces chiffres ne doivent pas être pris à la légère.

La limitation du temps de travail a pour objectif de préserver l'état de santé et l'efficacité des professionnels de santé, afin qu'ils puissent exercer leur métier de médecin dans des conditions optimales. Il existe de très nombreux articles dans la littérature internationale qui vont à l'encontre d'un temps de travail excessif, cela altère la santé et l'espérance de vie des médecins ainsi que la prise en charge des patients. Infine, ce décompte garantit une prise en charge des patients conforme aux données actuelles de la science médicale.

Le temps de travail est un problème de santé publique et ne doit pas être considéré comme un caprice d'une jeune génération de praticiens.

Il est important de rappeler que la France a énormément de retard sur ce sujet, dans certains pays, si un médecin dépasse son temps de travail, la direction de l'hôpital lui demande explicitement de justifier sa présence et de respecter la loi.

Bien sûr, le contexte actuel avec la pénurie de médecin ( environs 30 % de postes non pourvus à l'hôpital) et le fait que certains services reposent sur les internes pour fonctionner, est le noyau du problème. Également, le nombre d'ouvertures de postes d'internes chaque année par l'ONDPS (Observatoire Nationale de la démographie des professions de santé) ne prend pas suffisamment en compte les besoins hospitaliers et repose principalement sur la démographie médicale locale.

Dans certaines spécialités, notamment chirurgicales, il arrive que les internes doivent rester sur leur repos de garde pour pouvoir accéder à la formation nécessaire à leur pratique future.

Cela est dû à un glissement de tâches avec une organisation de service qui repose essentiellement sur les internes pour la gestion des salles d'hospitalisation. Encore de nos jours, des internes enchaînent les gardes tout en assurant les visites dans les services le lendemain pendant que d'autres sont obligés d'être d'astreinte plusieurs jours d'affilés.

Il existe désormais des exemples de services qui ont décidé de revoir leur organisation pour permettre un respect du temps de travail.

Il faut rappeler que les internes représentent 40 % du personnel médical hospitalier et signent plus de deux tiers des prescriptions médicales.

Enfin, l'évolution des attentes en termes de qualité de vie au travail de la jeunesse médicale, en lien avec l'évolution de la société actuelle, les chiffres alarmants sur les violences au travail, potentialisent la crise de vocation qui touche l'ensemble des métiers de la santé. La France a énormément de retard par rapport à certains pays en Europe, l'attractivité des études médicales et l'accès aux soins dépendent des mesures correctrices qui devront être mises en place, notamment le décompte du temps de travail.

Aujourd'hui il n'existe aucun substrat légal fi able permettant d'att ester de l'épuisement professionnel d'un médecin dont la santé mentale s'altère au point d'atteindre le burn-out, voire, malheureusement, le pousse au suicide. Les directions ne se saisissent pas de leur obligation à faire respecter les demi-journées de formation personnelles, le système de récupération (prévu par la loi) du temps de travail excessif effectué n'est que très rarement mis en place et les tableaux trimestriels élaborés par les responsables d'unités ont montré leurs limites.

 

En cas de non-respect du temps de travail, le système de sanction à l'encontre des CHU ou des services n'est pas applicable. En effet, il repose principalement sur la plainte de l'interne, très souvent au péril de sa carrière et de sa formation.

Pour ces personnes qui sont surmenées et n'ont pas l'opportunité de revendiquer leur droit, il faut être en capacité de prouver que les conditions de travail ne sont pas en accord avec la loi et qu'elles sont une des raisons de la dégradation à la fois psychologique, émotionnelle et parfois physique du professionnel de santé. Lorsqu'il sera possible de saisir les tribunaux pour dénoncer des situations où un interne travaille plus de 80 heures par semaine, la responsabilité de la direction des affaires médicales et du chef de service sera engagée. Il leur incombe de reconnaître qu'au-delà de 48 heures de travail, un interne devient un danger pour lui-même et pour les patients. Si, malgré cela, il continue à exercer jusqu'à l'épuisement, subit un burn-out ou fait une tentative de suicide, leur responsabilité ne pourra être ignorée. Ils auraient dû intervenir en amont, imposer un arrêt et mettre en place les mesures correctrices nécessaires pour garantir à ce jeune médecin, encore étudiant, des conditions de travail conformes à la loi.

Le grand tournant de ces dernières années est la décision de justice du Conseil d'État du 22 Juin 2022 « Les établissements de santé doivent se doter, en complément des tableaux de services prévisionnels et récapitulatifs que le code de la santé publique leur impose d'établir pour les praticiens hospitaliers et les internes, d'un dispositif fi able, objectif et accessible permettant de décompter, selon des modalités qu'il leur appartient de définir dans leur règlement intérieur, outre le nombre de demi-journées, le nombre journalier d'heures de travail effectuées par chaque agent ». Suite à cela nous avons porté plainte auprès des tribunaux administratifs contre l'ensemble des CHU de France où nous sommes, avec certains, en médiation pour négocier le retrait de la plainte contre la mise en place de ce moyen de décompte.

Malgré cela, trois ans plus tard, seulement quelques CHU expérimentent actuellement un outil de décompte du temps de travail des internes.

Une décision de justice du tribunal administratif de Poitiers, en février 2025, redistribue les cartes et condamne le CHU à mettre en place ce logiciel de décompte dans les trois mois. C'est inédit et nous espérons que ce jugement ouvrira la voie à des décisions similaires dans les autres villes.

Encore aujourd'hui, beaucoup essayent de minimiser l'impact du non-respect du temps de travail et ne souhaitent pas assumer leur responsabilité légale et de santé publique sur le sujet. Chaque hôpital, chaque direction des affaires médicales, se gère indépendamment les uns des autres avec des volontés managériales, des capacités financières, en ressources humaines et un climat politique local qui leur sont propres.

Mettre en place ce moyen de décompte demande une évolution des mentalités et la considération des pouvoirs publics de l'impérieuse nécessité de santé publique qui consiste à réinvestir dans la santé de ceux qui soignent.

Les 48h sont à aujourd'hui, ce qu'était le repos de sécurité hier, une avancée incontestable qui prendra du temps à se mettre en place car elle bouscule les habitudes et les codes hiérarchiques de l'hôpital.

J'en suis intimement convaincu, indépendamment du fait que je sois interne, notamment parce que le temps de travail concerne tous les agents publics hospitaliers, les hôpitaux qui ne mettront pas en place un moyen de décompte du temps de travail en heures seront en retard par rapport aux autres dans les années à venir. Car un CHU qui a envie d'être à la pointe de l'innovation, à la pointe du management et de la qualité de vie au travail, c'est un CHU qui doit se doter d'un moyen fiable, accessible et objectif en termes de décompte du temps de travail.

 

Publié le 20 mars 2025 à 08:24