L’hôpital revelateur de l’épidémie au Covid

Publié le 31 May 2022 à 13:56

Rien ne sera-t-il plus comme avant ou finalement rien n’a-t-il vraiment changé… mais peut-être en mieux ?

Dr Eric OZIOL
Vice-Président de la CME du centre hospitalier de Béziers

Référent COVID
Chef du service de médecine hospitalière
Secrétaire Général du SYNDIF
Représentant à l’INPH

En tant que médecin hospitalier et surtout interniste, j’ai été, comme beaucoup de mes collègues internistes, mais aussi urgentistes, réanimateurs, infectiologues, hygiénistes, gériatres, pneumologues, biologistes, radiologues, pharmaciens (et tous ceux qui étaient sur le pont…), en première ligne dans la prise en charge des patients et dans l’organisation structurelle de mon établissement face à cette épidémie de COVID-19. Cette expérience dans un centre hospitalier non universitaire, j’ai pu la partager avec bon nombre de mes collègues d’autres hôpitaux. Nous avons eu notamment l’occasion d’échanger téléphoniquement avec le docteur François LHOTE, interniste, président de la CME de l’hôpital de Saint-Denis dans le 93 et le docteur Olivier HINSCHBERGER, interniste et chef de service à l’hôpital de Mulhouse (cf. Cluster évangéliste dans l’article sur la COVID 19 en dates) dans le 67, des zones géographiques particulièrement touchées à savoir l’Île-de-France et le Grand Est. Je les remercie encore de leur retour d’expérience et de réflexions, que ce soit à chaud (merci encore à Olivier pour cet échange très pratique du vendredi 13 mars) ou avec un peu de recul.

Encore pris dans le chaudron hospitalier de l’épidémie, mais déjà riches de cette expérience dans des centres hospitaliers de territoire, quel serait le diagnostic et l’analyse, selon la matrice MOFF (menaces, opportunités, forces, faiblesses), de la réaction de l’hôpital face au révélateur qu’a été l’épidémie de COVID ?

QUELLES ONT ÉTÉ LES FAIBLESSES DE L’HÔPITAL PUBLIC FACE À CETTE ÉPIDÉMIE ?
En premier lieu la première qui viendrait à l’esprit serait l’impréparation à une telle épidémie. Cependant l’incertitude faisant partie intégrante de notre travail hospitalier quotidien, finalement ce paramètre a été le moteur de notre résilience initiale, afin de rattraper cette impréparation. En début d’épidémie, le plus difficile a été de ne pas disposer des éléments de lecture de l’épidémie. Nous n’avions pas assez de tests et surtout des délais d’acheminement et de rendus de résultats très longs. Il a fallu s’adapter dans l’urgence en toute responsabilité… nous verrions plus tard pour le COFRAC (Comité Français d’Accréditation). Dans notre hôpital, par exemple, le projet de PCR au laboratoire de biologie était (auto)-censuré depuis plus de cinq ans, compte-tenu de l’esprit général de la politique hospitalière qui était à la gestion mesquine du gagne-petit, plutôt que de développer les outils incontournables de la médecine d’aujourd’hui. Une autre faiblesse suspectée était un hôpital qui fonctionnait déjà en surcapacité : cependant le fait que les gens aient peur de venir à l’hôpital, plus l’effet du confinement, ajouté à la consigne de déprogrammer les chirurgies non urgentes, a bien allégé la charge hospitalière pour la première vague, surtout dans les zones où l’épidémie a été moins intense en termes d’afflux initial de patients en détresse respiratoire aux urgences. Malheureusement pour beaucoup de patient ces deux à trois mois de carence d’accès aux soins ont eu des conséquences délétères. Pour la deuxième vague, la meilleure connaissance de la maladie, l’expérience acquise, les moyens diagnostiques, l’organisation des flux, des équipes, du matériel, nous ont permis d’accueillir, trois fois plus de patients atteints de pneumopathie COVID, tout en maintenant le reste de l’activité hospitalière, en dehors de l’activité ayant un impact sur la disponibilité des lits de réanimation et de soins intensifs. Par exemple au CH de Béziers, sur un territoire (l’Ouest-Hérault) dont la densité de population est de 170 ha/ km2 (versus 7 960 ha/km2 en SeineSaint-Denis par exemple), et donc moyennement impacté par l’épidémie, les pics hospitaliers des 4/5 avril et des 9/10 novembre ont été très similaires avec au pic 48 à 50 patients hospitalisés en MCO, dont 16 patients sur les 18 places dédiées COVID en réanimation (contre habituellement seulement 12 lits de réanimation en tout). Ce qui pour un établissement de 450 lits de MCO représentait plus de 10 % des lits occupés par une même pathologie. Donc bien sûr l’élément limitant, a non pas été le nombre de lits disponibles pour accueillir les patients, mais le nombre de lits avec assez de personnel et d’équipement pour des soins intensifs ou de réanimation. Cependant la progression de compétence de tout l’hôpital a permis d’avoir le même pic hospitalier de pneumopathies COVID hospitalisées, tout en ayant pu traiter près de trois fois plus de patients et maintenir une activité hospitalière globale cohérente, lors de la deuxième vague.

L’élément limitant, a non pas été le nombre de lits disponibles pour accueillir les patients, mais le nombre de lits avec assez de personnel et d’équipement pour des soins intensifs ou de réanimation...

QUELLES ONT ÉTÉ LES FORCES ATTENDUES VOIRE INSOUPÇONNÉES DE L’HÔPITAL PUBLIC FACE À CETTE ÉPIDÉMIE ?
Très certainement la capacité à prévoir sans savoir, à anticiper les situations, à communiquer, dialoguer, à trouver des solutions inédites, inventer des organisations : le transfert de patients, l’organisation territoriale, un Bed-management médicalisé et pertinent, la création d’unités « saisonnières » à géométrie variable tout au long de l’épidémie, des unités de tri en début d’épidémie, quand nous n’avions pas encore les tests avec des résultats en temps réel, etc. Il y a eu une véritable adaptation de l’organisation hospitalière aux moyens disponibles, aux informations disponibles, à la connaissance disponible et acquise sur la maladie.

La capacité à mobiliser nos moyens de communication a été utile pour très rapidement ouvrir et proposer des lignes téléphoniques de régulation (gérées par les infectiologues, internistes, urgentistes, gériatres, soins palliatifs, en particulier) dédiées aux médecins généralistes, aux biologistes libéraux ou aux EHPAD notamment. Quant aux pharmacies hospitalières, rompues depuis de nombreuses années à l’équilibrisme et à l’anticipation des pénuries répétées des dispositifs et des médicaments, elles ont appliqué finalement des compétences déjà malheureusement bien rodées. Les professionnels de l’hôpital ont fait preuve de solidarité et d’intelligence collective

QU’EST-CE QUE L’ÉPIDÉMIE A MENACÉ IMMÉDIATEMENT OU RÉVÉLÉ COMME MENACES À L’HÔPITAL PUBLIC ?
Par la brutalité initiale de l’épidémie (cf. l’article sur le COVID 19 en dates), les peurs engendrées, non seulement celles relayées et amplifiées par BFM-tv, mais celles de la réalité de la maladie pour les patients, mais aussi le risque pour soi et surtout pour ses proches, la menace que nous redoutions d’avoir à choisir « qui ira ou n’ira pas en réa  », avec un personnel soignant déjà en grande difficulté depuis des années et en pleine fronde sociale depuis des mois, le risque redouté était que le système implose rapidement, et pas seulement par « manque de lits de réanimation ». Le personnel a répondu présent, même si la durée et la pérennisation de cette crise a mis à rude épreuve la bonne volonté et l’engagement des agents. Après un légitime temps de digestion et de repos, le retour d’expérience se devrait d’être propice aux évolutions de la gestion des « richesses » humaines à l’hôpital et pas simplement en termes de ressources manipulables sur un planning coloré à la manière du jeu « TETRIS », comme il m’arrive d’en plaisanter un peu amèrement, avec les cadres du service.

QU’EST-CE QUE L’ÉPIDÉMIE A RÉVÉLÉ COMME OPPORTUNITÉS IMMÉDIATES OU D’AVENIR À L’HÔPITAL PUBLIC ?
Cette crise a été un accélérateur de projets par la nécessité médicale et des soins, qui enfin a primé sur une gestion purement comptable de l’hôpital. En moins de trois mois nous avons mis en place la technique de PCR au laboratoire, ce que nous n’avions pu faire en cinq ans. La télémédecine, dont nous avions l’expertise, développée notamment par nécessité pour l’activité pénitentiaire, a été plébiscité et très rapidement utilisée par la majorité des praticiens pour être intégrée à la palette de leur offre médicale. Les liens de confiance et de collaboration avec la médecine de premier recours, les maisons de santé pluridisciplinaires, les laboratoires libéraux, les établissements privés et les EHPAD, n’ont jamais été aussi pertinents, et nous ont fait découvrir à terme, une vision véritablement territoriale de l’organisation des soins. Les ARS, quel que soit leur avenir fonctionnel, ne pourront faire sans l’expertise et l’initiative territoriale des professionnels de la santé. Cependant l’opportunité immédiate et d’avenir principalement révélée par la gestion de cette crise à l’hôpital, réside surtout par la découverte qu’une gouvernance plus directe et plus simple est possible, d’une part au sein de l’hôpital, sans remettre pour autant en cause le rôle des instances comme la CME garante notamment de la cohérence du projet, mais d’autre part avec les ARS.

EN CONCLUSION
Étions-nous prêts pour cette épidémie ou pour toute autre épidémie ? Ni plus, ni moins prêts. Les épidémies au sens très large et pas seulement contagieux du terme, ne sont et ne seront que les révélateurs de l’évolution épidémiologique de notre société, dont le vieillissement de la population s’accélère. Mais en tous cas in fine, ce qu’il ressort de nos échanges entre collègues, c’est d’être fiers d’avoir enfin fait pleinement notre métier hospitalier, sans lourdeurs administratives, avec une gouvernance plus directe, en confiance et avec des objectifs communs partagés entre la Direction, la Direction des Soins et le corps médical, sans que la contrainte financière ne soit la seule obsession, ni le seul objectif. Donc rien n’a finalement changé, l’Hôpital à toutes les compétences pour réussir face aux enjeux de santé publique des territoires et pour reprendre le slogan du Directeur de mon CH : « la question de savoir qui dirige est moins importante que de savoir comment on prend les décisions. »

* Selon un article du Monde du 17 mai 2020, la Seine-Saint-Denis aurait été touché plus durement, en ce qui concerne les cas graves et les décès, que les autres départements d’Île-de-France. Seraient en cause : une incidence plus importante dans cette population de diabète et d’ALD, une surreprésentation de certaines professions exposées (personnel soignant, caissiers, vendeur, livreur), un grand nombre de personne travaillant dans différents départements tiers et surtout habitant dans un espace moindre (18 m2 en moyenne par personne, contre 25 m2 à Paris).

** Pouvions nous dire que nous n’étions pas prévenus ? Depuis que la grande peur de l’épidémie de grippe H1N1 de 2009 eût fait « pschitt », une certaine incrédulité a fait suite, bien que nous sachions depuis 2002 et la première épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère (SARS) que les coronavirus étaient de potentiels candidats à la prochaine pandémie humaine. L’épidémie MERS-CoV (pour Middle East Respiratory Syndrom-related coronavirus) en 2012, avec une létalité plus importante, avait relancé l’intérêt du coronavirus comme virus candidat à la prochaine pandémie, ce d’autant que depuis 2015 un certain nombre de virus candidats très similaires au SARS-CoV2 responsable de l’épidémie actuelle, aient été isolés chez des animaux sauvages « réservoirs ». Cependant nous sommes restés incrédules (pour ne pas dire dubitatifs voire peut-être méprisants, qui sait ?), comme bon nombre d’autres pays, aux alertes de la Chine. Même lorsque l’épidémie a dépassé le système de santé de l’Italie du Nord, pourtant une région supposée des plus riches d’Europe, l’incrédulité a confiné (si j’ose dire sans provoquer) au déni.

Article paru dans la revue « Intersyndicat National Des Praticiens D’exercice Hospitalier Et Hospitalo-Universitaire.» / INPH20

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