Petites histoires et Grande Histoire de la Cardiologie interventionelle Coronaire
Le vague et l’âme
Selon le livre des Morts (Egypte -1500), lors de la pesée de l’âme, n’accédaient à la vie éternelle que ceux dont le coeur était plus léger qu’une plume. Gageons que l’au-delà devait être bien vide… Presqu’aussi vide que les oreillettes que Hippocrate décrivait mille ans plus tard comme des soufflets à air (1).
Deux siècles plus tard, Erasistrate pensait toujours que les artères, gonflées d’air, communiquaient avec le sang veineux par les synastomoses. Ce n’est qu’au deuxième siècle de notre ère que Galien remplit le coeur et ses artères de sang (2). Grâce à ses dissections, il décrit parfaitement le coeur et ses coronaires mais imagine une communication entre les deux ventricules qui mêlerait le pneuma (venu du poumon) au sang veineux. Au XVIème siècle, les dissections de Vésale bousculent ces dogmes mais ce n’est qu’un siècle plus tard que Harvey décrit la circulation telle qu’on la connait (2).
Il cathétérise pour cela des cadavres qui se monnayent à l’époque à prix d’or.
Si la médecine est un art, elle était jusque là surtout fantaisiste. Ce qui n’était pas observé était imaginé ; ce que les saignées ne soignaient pas devait l’être par le jus de momie. Il faut attendre Claude Bernard et sa méthode expérimentale pour rationaliser la médecine et en faire une science.
Des pionniers et des chevaux
En 1844, Claude Bernard introduit pour la première fois un cathéter dans le coeur d’un cheval vivant ; il réalise les premières mesures invasives de pression endocavitaire et ses mesures de température montrent que le ventricule droit est plus chaud que le gauche (3). Deux autres français, Chauveau et Marey, poursuivent ces études. Ils montrent que la systole auriculaire précède la contraction ventriculaire et que cette dernière est contemporaine du choc de pointe (4). Ils soulignent par ailleurs l’innocuité de la procédure puisque le cheval exploré trotte et broute quelques heures plus tard.
En 1895, l’allemand Wilhelm Röntgen découvre les rayons X et radiographie la main de sa femme (5). Cela lui vaudra le prix Nobel en 1901 et permettra à d’autres de réaliser la première coronarographie sur coeur animal en 1897. La voie est ouverte mais il faudra l’audace d’un autre allemand pour réaliser le premier cathétérisme cardiaque chez l’homme.
En effet, en 1929, rassuré par l’expérience équine des français, Werner Forssman (6) décide de réaliser un cathétérisme sur lui-même. Il utilise pour cela une sonde urinaire par voie cubitale. Celle-ci bloque rapidement et il se voit interdire toute nouvelle tentative par son chef de service.
Forssmann n’est pas homme à abandonner mais il n’a désormais plus accès à l’armoire contenant les sondes. Il va donc faire la cour à une jeune infirmière (7), gardienne des clés, et la persuade de devenir son cobaye. Celle-ci lui ouvre l’armoire, s’allonge sur un lit (« un malaise est si vite arrivé ») et se laisse attacher. Alors qu’elle attend l’anesthésie locale, elle se rend compte que Forssmann s’est à nouveau cathétérisé lui-même. Vexée, elle comprend qu’elle a été abusée et qu’il n’a jamais eu l’intention de la piquer. Il la détache et lui fait ouvrir la salle de radioscopie.
Elle l’y accompagne et les rayons révèlent alors l’extrémité du cathéter dans l’oreillette droite. On salue le courage de celui qui, en ouvrant la porte de la cardiologie interventionnelle, s’est vu mis à celle de son service pour avoir désobéi ! On aimerait croire que c’est pour retrouver un emploi qu’il prendra sa carte au parti Nazi mais sa correspondance privée révèlera une réelle sympathie pour les idées d’Hitler, sympathie qui ne l’empêchera pas d’avoir le prix Nobel en 1956 (Figue 1).
Figure 1 : Werner Forssmann sans sa sonde urinaire
C’est dans un Paris occupé que deux français, Jean Lenègre et Pierre Maurice, réalisent les premières mesures de pression intracardiaque chez l’homme (8). C’est pourtant un autre français André Fréderic Cournand qui partagera le prix Nobel avec Forssman pour ses mêmes mesures qu’il a effectué aux Etats-Unis à peu près au même moment. Savoir faire et Faire savoir…
En 1949, Gunnar Jönsson visualise les coronaires au cours d’une aortographie (9). La communauté scientifique cherche alors à améliorer cette imagerie.
Alors que Charles Dotter (dont on reparlera) s’évertue à boucher l’aorte avec un ballon (10), c’est d’une erreur que vient la solution : L’aortographie du Dr Sones tourne au drame quand il réalise que la sonde est dans la coronaire droite. Avant qu’il n’ait le temps de réagir, son aide opératoire injecte le produit de contraste : la patiente fera un arrêt cardiaque, l’aide opératoire sera virée, l’image de la coronaire sera récupérée (comme l’arrêt) et Sones fera le tour des congrès internationaux avec cette première coronarographie (11).
Tandis que Seldinger (12) révolutionne l’abord vasculaire en 1953 avec sa technique éponyme, Judkins contribue à rendre l’intubation sélective moins aléatoire avec des sondes préformées qui garderont son nom (Figure 2). D’autres bricoleurs de génie suivront et créeront leur propre sonde pendant que le Dr Desilets inventera… le Desilet !
Figure 2 : Melvin Judkins cherchant un nom à ses sondes éponymes
Des bougies et des ballons
Dans les années soixante, la coronarographie est simplement diagnostique ; l’angioplastie coronaire n’existe pas encore et ce sont les chirurgiens qui pontent les lésions retrouvées par le cardiologue. En 1964, Charles Dotter, radiologue américain, réalise les premières angioplasties périphériques (13) en utilisant un système de bougies de diamètre croissant pour dilater l’artère. La même année, en Allemagne de l’Ouest, le fils d’un officier de la Luftwaffe, Andreas Grüntzig, arrivé de l’Est, finit ses études de médecine.
Très vite, il s’intéresse à la technique de Charles Dotter.
Malgré un premier échec en 1971, il persévère, s’approprie la méthode et la perfectionne : c’est dans sa cuisine que Grüntzig met au point un système de ballonnet qui remplacera les bougies de l’américain (figure 3). La première angioplastie coronaire au ballonnet est ainsi réalisée en 1975 sur un chien. Après un premier échec sur l’homme en 1976 (problème de voie d’abord), son ballonnet ouvre en 1977 une IVA proximale (14) et une nouvelle ère…
Le destin fait disparaitre nos quatre pionniers la même année : Grüntzig, Dotter, Sones et Judkins meurent en 1985. Cela n’empêche pas le Toulousain Jacques Puel d’implanter le premier stent coronaire métallique l’année suivante (15). Le premier patient de Grüntzig est toujours vivant quand, en 2000, apparaissent les premiers stents actifs (16). Ces derniers sont aujourd’hui la pierre angulaire du traitement de nos coronariens et sont le résultat d’une formidable épopée. L’histoire n’est pour autant pas terminée mais l’innovation est maintenant portée par les industriels, bien loin de la folie d’un Forssmann ou de la cuisine d’un Grüntzig.
Figure 3 : Andreas Grüntzig hors de sa cuisine
Références
Auteur
Dr Mathieu LAJUS
PH Libourne
Article paru dans la revue « Le magazine des jeunes cardiologues - Collège des Cardiologues en Formation » / CCF N° 18