L’hémorragie du post-partum en 1850

Publié le 16 May 2022 à 23:24

L’hémorragie du post-partum et un sujet très en vogue cette année, et cela est en partie lié aux dernières RPC du CNGOF de décembre 2014. S’il s’agit d’une complication bien connue et dont la prise en charge consensuelle a été parfaitement établie, l’HPP demeure néanmoins la 1re cause de mortalité maternelle en France et dans le monde…

J’ai récemment mis la main sur le « traité complet d’accouchement » rédigé en 1866 par le Dr Joulin. Un bijou de la maïeutique ! Et, au milieu des gravures de bassins obstétricaux viciés, des pages jaunies découpées par le 1er propriétaire, ou encore des tableaux illustrant les petites cohortes françaises de 1850, se trouvait un chapitre entier sur les hémorragies (« Hémorrhagies »). Les auteurs de l’époque admettaient facilement que les pertes sanguines au moment de la délivrance étaient une étape cruciale et risquée de l’accouchement d’une femme.   

Bien que le mécanisme de l’hémorragie ne fût pas entièrement connu, l’inertie utérine était la 1re cause évoquée. Voici donc un bon point pour les obstétriciens du XIXe siècle, lorsque l’on sait aujourd’hui que l’atonie est responsable de 50 % des HPP. Velpeau était plus disposé à croire que cet accident s’expliquait par un « raptus sanguin » vers l’utérus alimentant les vaisseaux hypogastriques à la levée de la compression… Théorie originale qui cependant ne justifiait pas que l’hémorragie ne se manifeste pas plus fréquemment. Le Dr Joulin énumérait ensuite 3 autres causes secondaires à rechercher : la longueur du travail (fatigant la femme et l’organe), l’existence de pertes au précédent accouchement, et la distension de la matrice (par une « hydropisie de l’amnios » ou une gémellarité). 150 ans plus tard, nous nous attardons encore sur ces 3 détails !

La physiologie de l’inertie quant à elle, beaucoup plus obscure, laissait libre place à l’imagination, où chacun des médecins puisait dans ses connaissances en date pour tenter d’y trouver une once d’éclaircissement. Les indéfectibles fidèles à la Théorie des Humeurs certifiaient que les tempéraments sanguin, lymphatique et nerveux jouaient un rôle majeur dans l’inertie. De même, il était convenu qu’une vive émotion puisse paralyser la contractilité de l’organe pendant le travail. Les auteurs les plus avant-gardistes signalaient, tout de même, que la vacuité utérine était primordiale et qu’une main entraînée pouvait libérer la cavité de quelques caillots malvenus.

Au sujet de la prise en charge, j’ai été surprise de lire qu’il se pratiquait déjà un traitement prophylactique de l’hémorragie. Certes les médecins ne l’employaient que chez les femmes aux antécédents de saignements, mais tout de même, belle audace ! Ainsi, dès lors que la délivrance prévoyait d’être sanglante, l’ergot de seigle faisait son entrée. Administré à petites doses +/- répétées, le médicament permettait d’augmenter la contractilité homogène de l’utérus, hâtant ainsi au passage l’expulsion placentaire (signalons malgré tout, que le placenta n’était nullement inquiété à l’époque, dans la genèse des saignements... Bien au contraire, on lui attribuait un rôle « tampon » limitant les pertes. Aïe !). D’autres drogues furent utilisées dans le péri-partum et notamment l’opium. Mais l’on s’aperçut rapidement de leur contre-efficacité puisqu’elles stoppaient les contractions durement recherchées.

De l’autre côté de la Manche, Les obstétriciens anglais s’appuyaient sur la sympathie qui devait exister entre l’utérus et les « mamelles » : l’enfant était alors mis au sein précocement pour prévenir l’inertie. Pour lutter contre l’hémorragie, certains originaux comme Robert Lee, rompaient prématurément les membranes puis appliquaient sur le ventre un bandage, graduellement serré à mesure que le travail progressait.

Ce n’est que dans les pertes graves que les scientifiques de l’époque introduisaient une main dans la cavité pour la libérer du placenta. Un geste de dernier recours car très douloureux et causant « une certaine frayeur » aux femmes… Dans les hémorragies foudroyantes, il était recommandé également de réaliser une compression de l’aorte. Après déplétion de l’utérus, les jambes de la patiente étaient fléchies et l’intervenant mettait tout son poids sur l’aorte au contact d’une vertèbre lombaire. La manœuvre prenait fin au moment où les contractions devenaient suffisamment énergiques. Et c’est ainsi que Baudelocque maintint sa main en pression pendant 4 heures. Historique !       

Par ailleurs, je ne peux faire l’impasse sur une pratique, très fréquente au XIXe siècle, mais non moins exotique à nos yeux : une serviette pliée en 8 et plongée dans l’eau froide était tordue avant d’être vivement projetée sur la paroi abdominale. La sensation de saisissement qu’elle provoquait (et sur ce point, l’on ne peut douter) engendrait une série de contractions salvatrices.

Au passage, je citerai Rouget, l’un des obstétriciens les plus novateurs de son époque. Il proposait d’introduire dans la matrice une vessie de porc, distendue par insufflation, et de venir de ce fait, comprimer la région interne. Son invention fut rejetée avec véhémence. Quelle était cette idée, dixit le Dr Joulin, faire perdre le bénéfice d’une rétraction déjà commencée ?! Rouget avait créé le ballonnet de Bakri !

Les femmes victimes de l’hémorragie de la délivrance se voyaient délivrer toute sorte de breuvages revigorants : bouillon, vin coupé cordiaux… Le compte des pertes s’accompagnait d’une surveillance accrue des symptômes de saignements internes (bâillements, pendiculations, tiraillement de l’estomac…). Enfin, lorsque la quantité de sang perdu était considérable, au risque de voir succomber la femme, les praticiens avaient recours à un moyen extrême : la transfusion… lourdement grevée de mortalité maternelle à l’époque.

En somme, la prise en charge de l’hémorragie du post-partum a considérablement avancé (mais à l’image de la médecine de manière générale). Néanmoins, il est toujours surprenant de s’apercevoir que certaines singularités vivement repoussées en 1860 sont à ce jour ancrées dans nos pratiques (le Bakri par exemple, faisant désormais partie des recommandations de prise en charge de 3e ligne), ou bien que le tonus utérin si ardemment recherché et présent essentiellement après l’expulsion placentaire, ne conduisit pas les auteurs à délivrer manuellement la patiente ni même vérifier la vacuité de la cavité… Mais c’est ce qui rend la médecine si fascinante à mon sens : savoir remettre en question les connaissances actuelles ou bien simplement les enrichir, afin d’avancer… tous les jours un peu plus…

Florie PIROT
Article paru dans la revue “Association des Gynécologues Obstétriciens en Formation” / AGOF n°10

L'accès à cet article est GRATUIT, mais il est restreint aux membres RESEAU PRO SANTE

Publié le 1652736253000