L’étude de la sensorialité est un point fort du bilan orthoptique. Il est composé de différents éléments : • L’étude de l’acuité visuelle • L’étude de la correspondance rétinienne (vision binoculaire) • L’état de la vision stéréoscopique (vision du relief)
Ces éléments sont incontournables car nul autre professionnel que les orthoptistes ne le font. De plus, ces éléments permettent de déterminer le schéma thérapeutique et les objectifs de soins.
Acuité visuelle
Le but ici n’est pas de donner la méthodologie de la prise de l’acuité visuelle mais d’apporter certaines précisions importantes.
Avoir une bonne échelle d’acuité visuelle est indispensable. Elle doit être à base logarithmique de façon à avoir une progression visuelle régulière. Les échelles d’acuité visuelle décimales sont trop imprécises notamment au niveau des basses acuités visuelles [1]. Par exemple, si nous prenons une échelle décimale, nous remarquons que nous passons directement de 1/10 et 2/10 alors que si nous prenons une échelle à base logarithmique, il y a 2 lignes supplémentaires intermédiaires. Ceci a un impact psychologique très important notamment pour les parents.
Il est nécessaire de rappeler un élément essentiel à l’acuité visuelle de près. Il faut bien comprendre que les niveaux d’acuité visuelle sont calculés sur une base géométrique [1] et qui est la même pour l’acuité visuelle de loin et celle de près. Il y a donc une concordance entre l’acuité visuelle de loin et celle de près. Ce calcul géométrique est basé sur la distance de lecture : 5 m de loin et 0,40 m de près. La distance de loin est très facile à respecter contrairement à celle de près qui est plus difficile à contrôler. Pour un enfant, si vous lui donnez la plaquette de lecture en main, il ne lira pas à 0,40 m mais de façon beaucoup plus rapprochée du fait de la longueur de ses bras. Il faudra donc apporter un correctif pour trouver son réel niveau d’acuité visuelle de près. En conséquence le plus important est de mesurer l’acuité visuelle en vision de loin. Celle de près ne présente un intérêt que si l’on suspecte un problème accommodatif.
Correspondance rétinienne
Cet examen doit retenir toute votre attention. Le but est d’étudier la relation fovéa/fovéa. La correspondance rétinienne est normale si les 2 fovéas sont associées et forment une seule image au niveau cortical. La vision binoculaire est alors normale. Dans le cas contraire, la vision binoculaire est considérée comme anormale. La méthodologie consiste donc à se placer à l’angle objectif du strabisme pour étudier cette sensorialité. Il existe différents tests : les verres striés de Bagolini, le verre rouge, le verre de Maddox, le synoptophore… Ils sont basés sur le même principe : dissocier les deux yeux de façon à savoir comment sont associées les 2 images.
Tous ces tests ne présentent pas de grandes difficultés de réalisation mais leur faiblesse réside dans le fait que nul test ne permet d’affirmer objectivement l’étude des 2 fovéas. En effet, la correction de l’angle objectif est prisme-dépendant et peut induire une erreur pouvant être au minimum de 4 ∆ (au minimum 2 ∆ pour un mauvais positionnement du prisme [2] et 2 ∆ pour l’expertise de l’œil de l’examinateur [3]). À cela, il faut rajouter l’incertitude sur la qualité de la prise de fixation du patient.
Les tests à retenir semblent être :
- les verres striés de Bagolini dans les hétérophories car ils sont très peu dissociants et donc proches de la vie courante du patient.
- le verre rouge dans les hétérotropies car il est facile à comprendre pour le patient.
Il faut avoir la plus grande prudence avec le verre de Maddox qui peut présenter de nombreux traits parasites en fonction de toutes les sources lumineuses qui peuvent exister dans le box d’examen. Le synoptophore est très éloigné des conditions naturelles de vision et est très souvent source de confusion dans l’interprétation des tests et le diagnostic final.
Dans les schémas qui suivent (Fig.1) [1], nous prenons l’exemple d’une ésotropie œil droit fixateur dont la sensorialité est étudiée au verre rouge.
Fig. 1 : Le patient est mis à son angle objectif symbolisé par le carré verdâtre. La lumière blanche vue par l’œil droit et la lumière rouge vue par l’œil gauche sont superposées en donnant une lumière rose. Il est en correspondance rétinienne normale (1). Le patient voit deux lumières en diplopie croisée ce qui signe une correspondance rétinienne anormale dans le cadre d’une ésotropie (2). Le patient ne perçoit pas l’image de l’œil gauche. Il neutralise (3).
La neutralisation peut être un obstacle à l’examen de la correspondance rétinienne. Toutefois il est dangereux de la soulever puisque c’est une barrière contre la diplopie. Il convient donc de la respecter.
Dans certains cas, par exemple une neutralisation, la correspondance rétinienne peut être difficile à définir. Il est alors intéressant de se fi er aux signes moteurs pathognomoniques d’absence de vision binoculaire. Il s’agit de :
- L’hypermétrie de refixation
- La divergence verticale dissociée
- Un nystagmus manifeste latent
La présence d’un de ces trois signes est quasi pathognomonique d’une sensorialité anormale [5].
L’étude des correspondances rétiniennes peut nous amener selon les tests à différentes conclusions. Le piège le plus fréquent est l’exotropie intermittente dont nous allons donner un exemple.
ESE : XT 25 ∆ et X’ 12 ∆. Le verre rouge de loin donne une neutralisation. Les verres striés de Bagolini de près donne une CRN. Le synoptophore donne une CRA. C’est ce qui est appelé une dualité de correspondance rétinienne. Or celle-ci ne peut pas exister puisque la correspondance rétinienne est un phénomène cortical qui est déterminé avant l’âge de 6 mois [5]. Il y a donc un test qui donne une mauvaise réponse. C’est le synoptophore qui, grâce à l’accommodation proximale, a modifié l’angle du strabisme. L’angle objectif a diminué (à l’insu de l’examinateur). Étant à un angle supérieur à son angle objectif, le patient ne peut donner comme réponse qu’une diplopie homonyme qui nous conduit à une mauvaise interprétation.
La vision stéréoscopique
Nous ne verrons que deux tests : le TNO et le Lang I. Les autres tests ne sont pas à retenir car ils peuvent être perçus en monoculaire. Ils peuvent donc induire des erreurs dans l’appréciation de la vision stéréoscopique et donc sur la sensorialité du patient.
Le TNO est considéré comme le test le plus fi able [6]. Il va jusqu’à 60 secondes d’arc (15 dans l’ancien test qui n’est plus commercialisé). C’est le test à utiliser pour une évaluation précise de la stéréoscopie. Le Lang I, n’allant que jusqu’à 550 secondes d’arc, est plutôt réservé au dépistage [6]. Ne pas oublier que ces deux tests ont été construits sur le principe géométrique de l’acuité visuelle. En conséquence, les distances de lecture doivent être respectées sous peine d’une mauvaise évaluation chiffrée.
L’étude de la sensorialité nous permet de définir les objectifs de soins (Fig.2).
Fig.2 : Objectifs de soin
Conclusion
La sensorialité est un point important du bilan orthoptique. Parfois, c’est un faisceau d’arguments qui nous permettra de conclure à la normalité ou à l’anormalité de celle-ci. Il peut même advenir que nous ne parvenions pas à connaître son état. Celui-ci ne se fera connaître qu’au cours du traitement et notamment après les phases chirurgicales.
Sources
Martine SANTALLIER
Orthoptiste et Ingénieur en
formation d’adulte
Article paru dans la revue « Le magazine de la Fédération Française des Étudiants en Orthoptie » / FFEO N°02