L’ESC 2018 en gestion du risque cardiovasculaire : Étude « arrive »

Publié le 24 May 2022 à 13:32

Evaluation de l’efficacité et de la tolérance de l’Aspirine chez les patients à risque cardiovasculaire intermédiaire

Auteur
Marine KINNEL
Interne à Reims

Relecteur
Jean Guillaume DILLINGER
Cardiologue au CHU
Lariboisière Paris

La balance bénéfice-risque de l’aspirine chez les patients en prévention secondaire n’est plus à démontrer depuis des dizaines d’années. En revanche, son emploi systématique chez les patients à risque cardiovasculaire en prévention primaire reste controversé.

Méthode
ARRIVE (Aspirin to reduce risk of initial vascular events)1 est une étude randomisée en double aveugle, contrôlée par placebo, multicentrique et réalisée dans 7 pays, évaluant l’efficacité de l’Aspirine à faible dose (100 mg/j per os) versus placebo en prévention primaire dans la population à risque intermédiaire (RCV de 20-30 % à 10 ans).

Les patients inclus, considérés comme à risque modéré, étaient soit des hommes de plus de 55 ans avec ≥ 2 facteurs de risque cardiovasculaire, soit des femmes de 60 ans ≥ 3 facteurs ou plus. Il s’agissait de patients indemnes d’antécédent cardiovasculaire ou de diabète.

Le critère de jugement principal composite comprenait : temps de survenue du premier évènement parmi un décès d’origine cardiovasculaire, survenue d’un infarctus du myocarde, d’un angor instable, d’un AVC ou d’un AIT.

Le critère secondaire d’efficacité comportait les décès cardiovasculaires, la mortalité toute cause, les infarctus et les AVC et l’incidence de chaque élément du critère de jugement principal.

Le critère de sécurité recherchait les événements hémorragiques et l’incidence des effets indésirables.

En raison d’un plus faible taux d’événements que ce qui était attendu, les auteurs ont dû réaliser plusieurs amendements au protocole. Le suivi a été prolongé de 72 mois et ils ont ajouté les AIT et l’angor instable dans le critère de jugement principal.

Résultats
L’étude a inclus 12 546 patients avec un suivi médian de 60 mois qui prévoyait des visites annuelles ou appels téléphoniques. Les deux groupes étaient comparables avec 70 % d’hommes, dont la plupart avaient entre 60 et 69 ans. 58 % des patients avaient une dyslipidémie et environ 65 % étaient sous antihypertenseur.
Concernant le critère de jugement principal, il n’existait aucune diminution du risque cardiovasculaire dans le groupe aspirine par rapport au groupe placebo puisqu’ils retrouvaient, en intention de traiter, respectivement 4.29 % vs 4.48 % avec OR à 0.96 IC 95 % (0.81-1.13), p=0.6038 (figure 1).


Figure 1 : Résultats sur le critère de jugement principal composite en analyse en intention de traiter (ITT)

Le taux de saignements gastro-intestinaux global était étonnement bas (<1 %) mais deux fois plus important dans le groupe Aspirine (0.97 % vs 0.46 %, OR 2.11 IC 95 % (1.36-3.28) p=0.0007). Toutefois, il n’y avait pas de différence significative concernant les saignements fatals entre les deux groupes.

Enfin, l’observance thérapeutique a été faible. De ce fait, les auteurs ont réalisé une analyse per protocole (57 % de la population globale), en excluant les patients dont l’observance était de moins de 60 % ainsi que les patients anticoagulés. Il n’a alors pas été retrouvé de différence en faveur de l’aspirine sur le critère primaire, mais elle réduisait le risque d’infarctus fatals et non fatals de façon significative (OR 0.53, IC95 % 0.36-0.79, p=0.0014).

Discussion
Le taux d’événements a été bien plus faible que prévu et la population étudiée est finalement une population à bas risque. Le faible taux d’événements pourrait être expliqué par l’efficacité des traitements antihypertenseurs et hypolipémiants reçus par certains patients. Un nombre important de patients ont arrêté prématurément l’étude. Par ailleurs, le taux de cross-over n’est pas rapporté et la compliance a été seulement déclarative par le patient.

Plusieurs facteurs ont pu diminuer l’impact de l’Aspirine sur les événements cardiovasculaires : l’inobservance thérapeutique, l’anticoagulation concomitante, l’interaction médicamenteuse avec les AINS ainsi que la diminution de la biodisponibilité due à l’absorption digestive. Par ailleurs, la dose fixe d’Aspirine en prévention primaire quel que soit le patient a été remise en question récemment dans une étude proposée par Rothwell et al.2.

Enfin, le taux de complications hémorragiques est faible mais le surrisque hémorragique sous aspirine est très significatif.

Conclusion
Dans cette étude en prévention primaire dans une population à faible risque, les résultats ne préconisent pas l’usage systématique de l’Aspirine. Ces résultats sont en accord avec les études précédentes en prévention primaire de population à bas risque.

D’ailleurs, en parallèle de cette étude, ont été présentés à l’ESC 2018, les résultats de l’étude ASCEND évaluant spécifiquement la place de l’Aspirine chez les patients diabétiques en prévention primaire a retrouvé une réduction de 12 % des évènements cardiovasculaires au prix d’une augmentation de 30 % des hémorragies majeures3.

Références

  • Gaziano JM, Brotons C, Coppolecchia R, Cricelli C, Darius H, Gorelick PB, et al. Use of aspirin to reduce risk of initial vascular events in patients at moderate risk of cardiovascular disease (ARRIVE) : a randomised, doubleblind, placebo-controlled trial. Lancet 2018.
  • Rothwell PM, Cook NR, Gaziano JM, Price JF, Belch JFF, Roncaglioni MC, et al. Effects of aspirin on risks of vascular events and cancer according to bodyweight and dose: analysis of individual patient data from randomised trials. Lancet 2018 ; 392(10145) : 387‑99.
  • The ASCEND Study Collaborative Group. Effects of Aspirin for Primary Prevention in Persons with Diabetes Mellitus. New England Journal of Medicine [Internet]. 26 août 2018 [cité 14 sept 2018]; Disponible sur : http://www.nejm.org/doi/10.1056/NEJMoa1804988.
  • Article paru dans la revue “Collèges des Cardiologues en Formation” / CCF N°5

    Publié le 1653391970000