L'epuisement Professionnel En Radiologie

Publié le 13 May 2022 à 23:17

Pas si facile que ça la vie d’un radiologue !

Le burn-out en radiologie ?
Et là, vous pensez au petit sourire narquois des cliniciens : « Il est serein le radiologue, dans sa salle d’interprétation, sans patient ou famille angoissée, sans souci organisationnel ou lits à gérer, sans prise de décision. Travaille 4 jours par semaine et gagne 4 fois mon salaire... ». Cette vision est contestable et l’évolution sociétale et technologique tend globalement à la détérioration de nos conditions de travail. En 30 ans, la radiologie a profondément évolué et il est certain que dans 30 ans, elle aura encore changé de visage. C’est de notre devoir de faire en sorte que ce visage reste plaisant.

Quelques chiffres issus d’études américaines1, 2, 3

  • 40 % des radiologues en exercice et 50 % des internes signalent au moins 1 symptôme d’épuisement professionnel
  • Incidence un peu plus élevée chez les femmes (54 % vs 47 %)
  • Pic d’incidence dans la tranche des 46-65 ans
  • 7ème spécialité (sur 26 recensées) la plus pourvoyeuse d’épuisement professionnel
  • Augmentation de 10 % entre 2013 et 2015 du taux d’épuisement professionnel chez les radiologues
  • Secteur privé plus pourvoyeur d’épuisement professionnel (étude de 2016 interrogeant les membres de la Society of Skeletal Radiology)

Le burn-out (ou syndrome d’épuisement professionnel) est un état dépressif lié au milieu professionnel. Il associe plusieurs symptômes que sont l’épuisement émotionnel, un désinvestissement de l’activité professionnelle et un sentiment d’échec et d’incompétence dans le travail. Il est le résultat d’un stress professionnel chronique et a été utilisé pour la première fois en 1969. En juillet 2015 en France, l’Assemblée nationale décide que le syndrome d’épuisement professionnel ne peut être reconnu comme maladie professionnelle, notamment sur le fait qu’il est problématiquement proche de la dépression.

Comment en est-on arrivé là ?
La relation médecin-patient s’est profondément transformée au cours des dernières décennies, faisant passer d’une relation « paternaliste » à « informative » (où le patient est décideur) et on note de fait l’apparition d’une patientèle toujours plus procédurière (en radiologie comme dans les autres spécialités), considérant les soins médicaux comme un « » et l’erreur médicale comme une notion intolérable.

Il nous arrive d’être confrontés à la perte de repère des patients sur notre profession, notamment aux petites phrases assassines du type : « Vous avez fait des études de médecine ? » - « Ah bon le radiologue et le manipulateur d’électroradiologie sont deux personnes distinctes ? ». La diminution de la fréquence de contact avec le radiologue retentit aujourd’hui sur la connaissance de notre métier auprès des patients.

Mais outre le patient, notre spécialité et notre statut sont également couramment dévalorisés auprès des autres médecins, notamment depuis l’avènement du PACS (qui reste une belle avancée, allégeant la fréquence des interruptions et augmentant le rendement), mais qui, en même temps, diminue les occasions de communication avec les cliniciens, et favorise donc l’isolement.

Il est un autre ressenti assez usant : la sensation amère d’être le « grand méchant loup » auprès des médecins lors de la réception des appels pour demande d’examens radiologiques « en urgence ». On sent fréquemment et rapidement monter l’agressivité dès qu’on creuse les questions ou que l’on remet en cause l’indication. Or, nous sommes normalement les mieux placés pour évaluer l’intérêt d’un examen radiologique et surtout, selon la loi, le maillon qui décide – mais aussi lassés parfois de multiplier les examens pour des indications bancales ou inappropriées du fait d’un interrogatoire ou d’un examen clinique bâclés ou par des urgentistes non confiants à l’idée de laisser sortir un patient sans avoir multiplié les investigations. Et quid des D-Dimères prescrits au moindre symptôme ? Rappelons que le nombre d’angioscanners réalisés sur les dernières années a été multiplié par 10 pour un nombre absolu identique d’embolies pulmonaires retrouvées.

Plus récemment et heureusement en partie avortée, on constate la mise en concurrence accrue de notre profession avec les « non radiologues » et le projet non abouti en France, des FST (formations spécialisées transversales), qui aurait permis aux autres spécialités médicales de faire de la radiologie après une année de formation supplémentaire de leur DES (en lieu et place de notre cursus de 5 ans et bientôt 6 ans pour la radiologie interventionnelle).

Les conditions d’exercice sont impactées autant dans le public que dans le privé. En effet, aujourd’hui, l’hôpital public s’apparente de plus en plus à une entreprise, instaurant une politique de surveillance de l’activité, de la productivité et de l’efficience – toujours plus déshumanisante. Face à ça, on assiste impuissants à une cadence exponentielle de dévalorisation des actes de radiologie (la dernière en France datant du 27 janvier 20174).

Et enfin, une autre menace encore assez mal définie et, pourvoyeuse de stress pour certains, plane, telle une épée de Damoclès : celle de l’intelligence artificielle qui va, dans les prochaines années, profondément transformer nos métiers, sans qu’il ne soit possible pour l’instant d’estimer à quel degré et dans quel délai. Espérons pour nous que ces avancées nous permettront d’alléger la part de travail rébarbatif et chronophage pour laisser plus de temps à l’imagerie « intelligente ».

Comment améliorer la situation ?
Aux Etats-Unis, cette problématique a été largement abordée via l’idée de créer des comités de direction dont le rôle serait de cibler les aspirations des radiologues et les facteurs de bien-être au travail, et développant le concept « d’imagerie centrée sur le radiologue ». Il serait pertinent de mettre en place une enquête nationale auprès des internes et radiologues pour évaluer l’ampleur du problème et les doléances. Quelle que soit la profession, les indispensables de l’épanouissement au travail passent par l’attention aux besoins propres de chacun, l’aménagement de temps de pause, l’amélioration de la relation avec les pairs et leur reconnaissance et des défis de gestion de carrière.

L’idée d’accroître la visibilité et la valeur du radiologue auprès des patients et des médecins traitants pourrait être développée, en les poussant à s’impliquer davantage et de façon directe – le frein principal restant le temps. Il est aussi de notre devoir de participer, dès que possible, aux occasions de faire valoir notre plus-value (présence aux RCP), ayant également comme effet bénéfique de nous rappeler notre place et notre impact dans la prise en charge des patients, et de maintenir ou développer un esprit pragmatique dans la rédaction des comptes-rendus.

Plus à la mode ces derniers temps, intégrer la possibilité d’apprentissage des techniques de relaxation ou de méditation, l’accès confidentiel à une psychothérapie au besoin, permettrait de réduire le stress. D’ailleurs, des études dans le domaine du développement personnel et organisationnel montrent que les institutions qui fournissent aux employés les compétences nécessaires pour promouvoir leur propre adaptabilité et réduire le stress bénéficient d’une réduction de l’absentéisme et d’une amélioration du rendement des employés.

Même si la pénibilité au travail est incomparable par rapport à nombre d’autres professions, l’échographie peut être usante physiquement – et l’on sait que 70 à 80 % des « échographistes » se plaignent de troubles musculo-squelettiques et que 20 % arrêtent de fait leur carrière prématurément (Society of Diagnostic Medical Sonography5). Or l’évolution technologique pourrait aider à y pallier, notamment via l’échographie 3D (déjà bien développée en obstétrique – pour l’instant plus souvent à visée marketing que médicale…) et permettrait probablement de raccourcir le temps d’acquisition manuelle.

Pour conclure, ne soyez pas empreints de culpabilité si parfois vous vous sentez épuisé, anxieux ou plein de doutes. Vous n’êtes très certainement pas seul(e) dans cette situation. Redonnez à ces plaintes leur légitimité. Et même si cet article vous a laissé un goût un peu amer (c’est ce que l’écrire m’a inspiré), soyez certains que la radiologie reste, j’en suis sûre, l’une des plus belles spécialités médicales et qu’elle mérite que l’on se batte et qu’on impose nos limites pour qu’elle le reste.

Références

  • Shanafelt TD, Boone S, Tan L, et al. Burnout and satisfaction with work-life balance among US physicians relative to the general US population. Arch Intern Med 2012;172(18):1377–1385.
  • Jones SB. Money woes spell burnout for radiology residents. Diagn Imaging (San Franc) 2013.
  • Medcape’s Radiology Lifestyle Report 2015.
  • Décision de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie relative à la liste des actes et prestations pris en charge par l’assurance maladie.
  • Douleurs cervico-scapulaires de l’échographiste. Analyse ergonomique et propositions. Frédéric Srour, Gilles Barette, Evelyne Cynober.
  • Article paru dans la revue “Union Nationale des Internes et Jeunes Radiologues” / UNIR N°31

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