Fonctionnement et utilisation
Depuis quelques années, l’élastographie par ondes de cisaillement, plus communément appelée Shear Wave, s’est démocratisée au cours de l’examen échographique, apportant à celui-ci une composante supplémentaire : le taux de dureté d’une lésion ou d’un tissu. Cette élastographie de seconde génération, est plus reproductible et précise que la 1ère génération qui consistait simplement à déformer un organe par mouvements de compression et de décompression de la sonde. Le fonctionnement est le suivant, la sonde de l’échographe va émettre une impulsion ultrasonore focalisée au sein d’un organe ce qui va déformer les tissus environnants. C’est l’étude de la vitesse de propagation de cette déformation qui sera directement liée à l’élasticité du tissu et qui permettra d’obtenir une valeur en KPa (KiloPascal) selon un module de Young E égal à 3 fois le module de cisaillement μ (Formule complète E = 3μ = 3ρvsw2). Ainsi, plus le milieu traversé est dur, plus cette onde va se propager rapidement et inversement.
vsw : vitesse de propagation de l’onde de cisaillement Shearwave
ρ : Densité du milieu traversé
La mesure sera réalisée sur la surface qui sera codée en couleur, du bleu vers le rouge. Le bleu correspond à une valeur faible en KPa soit un tissu mou, le rouge à un tissu dur. Aujourd’hui cette technologie peut s’appliquer à l’étude de la fibrose hépatique ainsi que de la dureté de lésions en sein, thyroïde voire en prostate. Sur certains sites hospitaliers, des mesures sont effectuées sur les muscles pour la récupération d’une lésion musculaire et sur le testicule dans le cadre de l’évaluation de répercussions sur l’infertilité.
Chacune de ses applications aura une échelle couleur de mesure adaptée car les valeurs de références en KPa seront différentes pour chaque organe étudié.
Pour le sein, l’élastographie Shearwave est très spécifique. Elle va proposer une composante supplémentaire afin de mieux dissocier les lésions classées Bi-rads 3 et 4a, permettant d’éviter les biopsies abusives. Au niveau des valeurs, si celles-ci sont inférieures à 80 KPa*, ce paramètre supplémentaire sera plutôt mélioratif. Par contre, si celles-ci sont supérieures à 120 KPa*, ce paramètre sera péjoratif, ce sera un critère en plus pour orienter la patiente vers la biopsie.
Pour prendre des mesures : l’opérateur doit relâcher la pression de la sonde de manière à ce qu’au niveau des tissus périphériques à la lésion, la cartographie couleur reste bleue. Si toutefois, les tissus alentours sont codés sur des couleurs plus chaudes (jaune ou rouge) étant significatives d’une valeur élevée, il suffira de décomprimer le sein en appliquant moins de pression avec la sonde jusqu’à ce que ces tissus reprennent une couleur bleue.
Pour la thyroïde, bien que le Shear Wave ait été retiré de la classification EU-TIRADS, il pourra également apporter une composante péjorative ou méliorative quant à l’appréciation du nodule. Au niveau des mesures, les résultats sont assez binaires. En général, les valeurs constatées sont soit très inférieures à 65 KPa** (mélioratif ) soit très supérieures à 65 KPa** (péjoratif ). La prise de mesure doit être réalisée sur une coupe longitudinale avec la sonde qui n’appuie pas trop sur la glande thyroïdienne. Tout comme pour le sein, les tissus adjacents à la lésion doivent être cartographiés en bleu selon l’échelle de couleur Shear Wave de la thyroïde.
Pour le foie, l’élastographie Shear Wave permet d’évaluer la fibrose qui, à son état le plus avancé passe au stade de cirrhose. Il faut savoir que 3 % à 5 % de la population ayant une cirrhose va contracter un cancer primitif du foie chaque année. Près de 70 % des CHC proviennent de foies cirrhotiques. C’est également la cause principale de transplantations hépatiques en Europe.
Les ondes de cisaillements évitent la biopsie hépatique pour la mesure de la fibrose. Cet examen est invasif et assez douloureux pour le patient. De plus il ne permet pas d’effectuer un suivi régulier.
Pendant longtemps la seule manière non-invasive de mesurer la fibrose était l’utilisation du fibroscan. Cette pratique était en grande majorité effectuée par des gastroentérologues. L’avantage de cette technique, est qu’elle est réalisée avec un protocole de 10 mesures rendant le résultat assez fiable. L’inconvénient : c’est une technique en aveugle, il n’y a pas d’imagerie pour se guider.
En échographie, bien que l’image ultrasonore permette de visualiser la zone cible, le principe reste le même. Pour avoir des valeurs fiables et reproductibles, il faut suivre de façon stricte un protocole d’acquisition.
- Comme pour toute échographie abdominale, le patient doit être à jeun.
- Il se positionne en décubitus dorsal strict.
- Pour une meilleure reproductibilité et un accès direct au foie, la coupe se fera en intercostale sur le foie droit (Seg VII/VIII en priorité).
- Le but est d’envoyer un maximum d’énergie dans le foie afin d’étudier la propagation des ondes de cisaillement. De ce fait, il faut bien gérer l’orientation de sa sonde de manière à ce que le faisceau ultrasonore soit le plus perpendiculaire possible à la capsule hépatique. L’onde impulsionnelle sera donc mieux transmise au parenchyme hépatique. Cela se joue sur 2 axes :
• Pour être bien orthogonal dans le deuxième axe, il suffit de ne pas béquer sa sonde. Celle-ci doit rester bien perpendiculaire au patient. Cela ne sert à rien de tricher en béquant la sonde pour avoir une meilleure image car la mesure du Shear Wave ne sera pas fiable.
• Le critère le plus important, souvent oublié, est qu’il faut avoir une image B parfaite pour lancer l’acquisition. L’image B ultrasonore est générée par des ondes de propagation. Le Shear Wave quant à lui est constitué d’ondes de cisaillement qui s’atténuent beaucoup plus vite que les ondes de propagation. Si les ondes de propagation B sont déjà atténuées, il ne sert à rien de lancer un Shear Wave car les ondes de cisaillements seront quasi inexistantes dans la zone cible. - Placer la boite de mesure 1cm sous la capsule hépatique car au passage de l’onde impulsionnelle celle-ci va vibrer. Cela aura pour effet de générer un artefact pour le Shear Wave.
- Lors de l’acquisition, avant de lancer l’acquisition, demander au patient de simplement bloquer la respiration (pas en pleine inspiration ni en pleine exsufflation car cela aura pour effet de comprimer le foie et de fausser la mesure). Il faut rester stable pendant 3 à 5 sec, les mouvements du patient étant déjà compliqués à contenir, si la sonde n’est pas parfaitement immobile, l’acquisition perdra en robustesse. La sonde doit donc bien être tenue par le bas avec la main en appui sur le patient.
En plus d’avoir le Shear Wave couleur temps réel, Canon Medical (ex Toshiba) est le seul constructeur à proposer la visualisation de la propagation du Shear Wave. Présent sur l’écran de droite cet outil permettra de juger de la qualité d’acquisition. Si la propagation est représentée par des lignes parallèles, elle est homogène, l’acquisition est donc bonne. Les utilisateurs expérimentés utiliseront d’ailleurs beaucoup plus cette vue plutôt que la boîte couleur car beaucoup plus informative. La distance entre chaque ligne témoigne directement de la dureté du foie : plus les lignes sont écartées, plus l’onde se propage vite, plus le foie est dur. Sur une acquisition où la couleur est hétérogène cela peut être dû soit à une mauvaise acquisition soit à une fibrose élevée. L’aspect parallèle ou non des lignes de propagation pourra départager ces deux cas de figure.
Propagation visualisable sur l’écran de droite
Pour la prise de mesure, il faut utiliser une ROI circulaire de 1cm de diamètre. Il faudra placer cette ROI en dehors des vaisseaux, à l’endroit où la couleur est la plus homogène (où les lignes sont les plus parallèles sur les Aplio de Canon Medical) et le plus haut possible sur l’écran, car comme l’onde Shear Wave est très vite atténuée, la mesure sera plus juste en superficiel. Il faudra prendre l’équivalent d’au moins 5 mesures sur 5 acquisitions différentes. Avec l’expérience et si les mesures sont très reproductibles, l’opérateur pourra se contenter de 3 mesures. Une fois ces mesures prises, il faudra prendre en compte la médiane et non la moyenne. D’un point de vue statistique la médiane est bien plus robuste. Il peut aussi être intéressant de prendre l’IQR/Médiane qui témoigne de la variabilité ou non des mesures. Celui-ci doit rester inférieur à 0,3.
Exemple de mesure Shearwave sur foie sain à gauche et sur foie cirrhotique à droite
Tout comme le fibroscan, l’échelle est celle de METAVIR, permettant de départager les grades : - F0/1 (pas de fibrose) - F2 (fibrose significative) - F3 (fibrose sévère) - F4 (cirrhose). Cette échelle est une classification anatomopathologique, basée sur une analyse au microscope. En fonction des vitesses Shearwave mesurées, les grades METAVIR se chevauchent considérablement ce qui complexifie l’identification exacte du grade. De plus, cliniquement ces stades n’ont pas vraiment de retentissement. Aujourd’hui, la tendance est plutôt de s’orienter vers des stades cliniques.
Une étude multicentrique européenne vient de paraître avec la mise en place de deux échelles. Une première avec des correspondances aux grades METAVIR, une deuxième rattachée aux recommandations Baverno VI, plus basées sur la clinique. Avec pour stades :
- Pas du tout de fibrose
- Pas du tout de pathologie avancée chronique du foie, compensée
- Pathologie avancée chronique du foie, compensée
- Hypertension portal significative
Selon les différents constructeurs, les différentes études et même les différentes pathologies, les valeurs seuils en KPa des grades METAVIR peuvent légèrement varier. Il ne faut pas forcément exclure une étude par rapport à une autre. L’orientation globale de ces mesures reste la même et les valeurs se complètent comme peut le montrer ce graphique reprenant les paramètres de 6 études différentes.
Pour plus de précision, Canon Medical propose une vidéo de formation sur l’utilisation de l’élastographie Shear Wave sur le lien suivant : https://youtu.be/4yl6FK_F9LQ ou sur le profil Youtube Canon Medical Systems Europe.
Référence : ULFR200012
* Berg, Radiology 2012 ; Evans, Breast Cancer Res 2010 ; Althanasiou, Radiology 2010 ; Chang, Breast Cancer Res 2011; Evans, Br J Cancer 2012 ; Cosgrave, Eur Radiol 2012.
** Sebag, J Clin Endocrinol Metab 2010 ; Bhathia, Eur Radiol 2012 ; Veyrieres, Eur J Radiol 2012 ; Kim, Eur Radiol 2013.
Article paru dans la revue “Union Nationale des Internes et Jeunes Radiologues” / UNIR N°40
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