L’électro-convulsivothérapie chez la personne âgée

Publié le 02 Nov 2022 à 15:16

 

Obbels & al., Acta Psychiatr Scand. 2021 (1)

L’électro-convulsivothérapie (ECT), anciennement appelée sismothérapie, est une thérapie consistant à appliquer un stimulus électrique au niveau du crâne d’un patient pour provoquer une crise d’épilepsie, sous anesthésie générale. Elle est née à la fi n des années 30 et a fréquemment été utilisée avec d’autres thérapies dites « de choc » par les psychiatres de l’époque comme le choc insulinique (cure de Sakel). Elle est alors considérée comme la méthode la plus effi cace pour traiter les pathologies mentales, et particulièrement la dépression mélancolique. Loin de la rejeter comme elle a pu le faire pour d’autres thérapies de choc, l ’evidence based medecine va venir confi rmer cette impression empirique. Dans la dépression, l’ECT est à l’heure actuelle le traitement le plus effi cace dont on dispose dans l’arsenal thérapeutique de la psychiatrie. Et ceci est encore plus vrai pour la personne âgée. Les taux de rémission1 à l’issue d’une cure d’ECT vont de 60 à 90 % selon les études pour la dépression d’apparition tardive (LLD)2. Les études comparant ECT et médicaments psychotropes dégagent un consensus net montrant une supériorité de l’ECT sur la rémission et la réponse3. Par ailleurs, l’ECT fonctionne plus rapidement que les médicaments : un taux de réponse de 80 % est observé dès la 6ème séance dans certaines études pour la LLD. Enfin, une corrélation positive a plusieurs fois été mise en évidence entre augmentation en âge et effi cacité de l’ECT (2). Mais malgré cette effi cacité éprouvée, l’ECT reste largement sous-utilisée. Ceci en raison de la stigmatisation dont elle fait l’objet, de la disparité importante pour y accéder sur le territoire français, mais aussi de la crainte d’effets indésirables importants, notamment sur la mémoire et les capacités cognitives. Et en effet, d’anciennes études avaient conclu que l’ECT avait plus d’impact cognitif chez les sujets âgés que chez les jeunes. Cette crainte a représenté et représente encore un frein majeur à la prescription de l’ECT chez la personne âgée et à son acceptation par les patients. Il est donc important que cette hypothèse soit confrontée à des données robustes. De nombreuses études se sont depuis penchées sur la question, et cette récente étude de l’équipe d ’Obbels & al. a été choisie parce qu’elle en représente un bon exemple.

Méthodes

Les patients inclus étaient issus d’une cohorte (Mood Disorders in Elderly Treated with ECT = MODECT) dont les critères d’inclusion étaient d’être adressé pour une thérapie par ECT pour une dépression caractérisée unipolaire (selon le DSM-IV-TR), et d’être âgé de plus de 55 ans. Les critères d’exclusion incluaient un diagnostic de trouble bipolaire ou de trouble du spectre de la schizophrénie au sens du DSM-IV-TR, ou une pathologie neurologique associée (incluant aussi les troubles neurocognitifs majeurs).

Les patients inclus bénéfi ciaient d’une cure ’ECT jusqu’à rémission complète, en utilisant une stimulation par Ultra Brief Pulse avec un placement des électrodes en unilatéral droit. Les médicaments psychotropes des patients étaient arrêtés une semaine avant le début de l’ECT si cela était possible ou maintenus à des posologies stables 6 semaines avant le début puis pendant toute la durée de l’ECT s’il était impossible de les arrêter. La Figure 1 présente les échelles d’évaluation utilisées pour les symptômes dépressifs et le bilan neuropsychologique, ainsi que leur fréquence de passation. L’analyse statistique incluait principalement des modèles linéaires mixtes pour chaque variable neuropsychologique à leur différent moment de réalisation. L’influence de l’âge, du niveau de dépression évalué par la Geriatric Depression Scale, et du nombre total de séances d’ECT au moment de la réalisation du bilan neuropsychologique a été évalué en les ajoutant dans ces modèles comme des covariables.

Résultats

Quarante et un patients ont été inclus, avec une moyenne d’âge de 73,2 ans, composés de 12 hommes (29 %) et 29 femmes (71 %). À l’issue de la première cure et durant la période de suivi, 15 patients (37,5 %) ont dû avoir une deuxième cure pour cause de rechute et 10 (24,3 %) ont dû bénéficier d’ECT de maintenance4. L’échantillon de patient avait un niveau inférieur à environ 1 déviation standard sur l’ensemble des tests cognitifs par rapport à la norme attendue pour l’âge. Sans ajustement sur les covariables, aucune différence n’a été retrouvée aux différents tests cognitifs réalisés avant le début de la cure d’ECT et jusqu’à 4 ans après la dernière séance, à l’exception de la figure de Meander évaluant les fonctions exécutives. Après ajustement sur les covariables citées (âge, niveau de dépression au moment de l’évaluation, nombre total de séances d’ECT), aucune différence n’était retrouvée sur l’ensemble des tests cognitifs entre le niveau de base et à 4 ans. L’âge était corrélé à des performances plus basses sur un ensemble de tests évaluant principalement les fonctions exécutives, quel que soit le moment de l’évaluation. Même si aucun changement cognitif majeur n’a statistiquement été détecté sur l’échantillon total de patients, il est important de noter qu’un faible nombre parmi eux s’est soit amélioré (n = 3), soit dégradé (n = 5) sur au moins un des tests neuropsychologiques réalisés à 4 ans après la dernière cure d’ECT

Figure 1 : Fréquence et type d'évaluations durant la période de suivi`

 

Quel intérêt pour les jeunes gériatres ?
Cette étude est cohérente avec l’ensemble des études plus récentes qui se sont penchées sur les performances cognitives du sujet âgé atteint de LLD et traité par ECT : celles-ci sont stables à long terme (à partir de 6 mois après la dernière séance), et sont de base plus faible que chez des sujets non-déprimés. L’intérêt de cette étude est de répliquer une fois de plus ces résultats, cette fois à très long terme jusqu’à 4 ans, et aussi sur un bilan neuropsychologique plus étendu que le simple MMSE généralement réalisé. Un petit groupe de « déclineurs » mais aussi de patients qui s’améliorent est à chaque fois retrouvé dans les études, et concerne 5 à 10 % des sujets pour chaque groupe. L’hypothèse la plus cohérente pour expliquer le déclin cognitif chez certains sujets semble être la présence d’une pathologie neuro-évolutive non détectée au début de la cure d’ECT.

La tolérance cognitive de l’ECT semble donc être bonne à long terme chez le sujet âgé atteint de LLD, et ce résultat a largement été répliqué dans les dernières années par de multiples études longitudinales (3–5). Ce n’est donc plus une bonne raison pour ne pas prescrire ce qui est à l’heure actuelle la thérapeutique la plus efficace ET rapidement efficace pour la LLD chez la personne âgée. Tout n’est pas rose évidemment : les sujets âgés sont particulièrement plus sensibles à la confusion post-ECT (jusqu’à 50 %, surtout si le patient a des troubles cognitifs), et le taux d’effets indésirables total est supérieur en comparaison au sujet jeune, surtout si le patient a des antécédents et des traitements cardiovasculaires. N’oublions cependant pas que la dépression caractérisée s’accompagne d’un taux de suicide abouti plus élevé chez la personne âgée, de dénutrition et de complications cardiovasculaires, d’une résistance plus élevée aux traitements antidépresseurs, ainsi que d’une moins bonne tolérance à ces derniers avec une iatrogénie majeure (2). Ainsi, le bénéfice apparaît supérieur au risque dans de nombreuses situations et il est important de ne pas juste considérer l’ECT comme une thérapie de dernier recours pour situations désespérées et patients ultra-résistants. La communication sera au centre de son avenir. Que ce soit sur les bénéfices prouvés de son efficacité, pour la déstigmatiser, pour favoriser son accès à certains patients entre établissements, ou pour bien poser les indications chez nos patients âgés, communiquer autour de l’ECT sera la base indispensable pour que nos patients en bénéficient le mieux.

Références
1. Obbels J, Vansteelandt K, Bouckaert F, Dols A, Stek M, Verwijk E, et al. Neurocognitive functioning after electroconvulsive therapy in late-life depression: A 4-year prospective study. Acta Psychiatr Scand. févr 2021;143(2):141-50.
2. Watson S, Newby J, Laws P. ECT in Older Adults. In: Ferrier IN, Waite J, éditeurs. The ECT Handbook [Internet]. 4e éd. Cambridge University Press; 2019 [cité 30 sept 2022]. p. 44-9. Disponible sur : https://www.cambridge.org/core/product/identifier/9781911623175%23CN-bp-6/type/book_part
3. Lisanby SH, McClintock SM, McCall WV, Knapp RG, Cullum CM, Mueller M, et al. Longitudinal Neurocognitive Effects of Combined Electroconvulsive Therapy (ECT) and Pharmacotherapy in Major Depressive Disorder in Older Adults: Phase 2 of the PRIDE Study. Am J Geriatr Psychiatry. janv 2022;30(1):15-28.
4. Obbels J, Verwijk E, Vansteelandt K, Dols A, Bouckaert F, Schouws S, et al. Long-term neurocognitive functioning after electroconvulsive therapy in patients with late-life depression. Acta Psychiatr Scand. sept 2018;138(3):223-31.
5. Verwijk E, Comijs HC, Kok RM, Spaans HP, Tielkes CEM, Scherder EJA, et al. Shortand long-term neurocognitive functioning after electroconvulsive therapy in depressed elderly: a prospective naturalistic study. Int Psychogeriatr. févr 2014;26(2):315-24.

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Article paru dans la revue “La Gazette du Jeune Gériatre” / AJG N°31

 

 

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