L’Anevrysme de la VAHINE

Publié le 31 May 2022 à 09:02


Haraiki : atoll de l’archipel des Tuamotu, Polynésie française. L’anneau corallien de 3,5 Km2 abrite une vingtaine d’habitants à 80 kilomètres en bateau de l’aéroport le plus proche sur l’atoll de Makemo.

Vaitiare (va-i-tiaré) a tout juste 20 ans, elle travaille dans une ferme perlière et est danseuse dans le groupe de son village. Des céphalées violentes l’ont réveillée pendant la nuit. Ce matin elle a du mal à parler et à bouger son bras droit. Elle est amenée au poste de secours du village. L’auxiliaire de santé (une personne avec des notions rudimentaires de santé apprises en quelques jours), seul agent sanitaire en poste, contacte aussitôt le SAMU du Centre Hospitalier de Polynésie française (CHPF) sur l’île de Tahiti à 600 kilomètres de Makemo. Le régulateur diagnostique l’accident vasculaire cérébral. Il demande l’évacuation immédiate de Vaitiare vers Makemo en donnant les conseils médicaux de prise en charge urgente.

L’équipe du SMUR spécialement affectée aux évacuations sanitaires en Polynésie française, se prépare pour sa mission vers Makemo. La compagnie aérienne des évacuations sanitaires est alertée pour affréter un avion bimoteur léger en vue de l’embarquement de l’équipe du SMUR, et d’un décollage urgent.

Les 118 îles et atolls de la Polynésie française s’étendent sur une surface maritime d’une étendue comparable à l’Europe. Tahiti est l’île principale où vivent les trois quarts des 280  000 habitants. Les Marquises sont à 1500 kilomètres au nordest, les Gambiers à 1700 kilomètres au sud-est. Tahiti est située au 18° de latitude sud dans l’océan Pacifique, à 6 500 kilomètres de Los Angeles et à 4 000 kilomètres d’Auckland (Nouvelle-Zélande), les premières grandes métropoles desservies par les compagnies aériennes.

Le CHPF est l’hôpital régional de dernier recours de la Polynésie française. L’hôpital de 60 lits de l’île de Raiatea dessert les îles sous le vent (Huahine, Tahaa, Maupiti, Bora Bora). Deux cliniques privées situées à Tahiti disposent d’un total de 170 lits.

Le CHPF s’est installé dans ses nouveaux bâtiments en 2010. Il comporte 430 lits de MCO, un plateau technique de chirurgie spécialisée, une IRM et 2 scanners, une réanimation adulte, une réanimation pédiatrique et néonatale, des services de médecine spécialisée, une maternité pour 2300 accouchements par an, un centre d’hémodialyse pour 200 patients, et un centre de greffe rénale qui fonctionne en autonomie sur la Polynésie française. Un centre d’oncologie pratique la chimiothérapie et la radiothérapie,

Centre Hospitalier de Polynésie française
Nombre de praticiens hospitaliers : 150
Nombre de lits MCO : 430
Nombre de lits en psychiatrie : 60
Activité médecine – chirurgie – obstétrique (MCO) par an
Nombres d’entrées : 20 000
Nombre de journées d’hospitalisation : 120 000 Nombre de passages aux
urgences : 40 000
Nombre de naissances : 2 300

Pathologies principales : cancérologie, diabète, maladies cardiovasculaires, insuffisance rénale, maladies infectieuses.

L’exercice à Tahiti
Etre PH à Tahiti, c’est vivre une situation unique liée à l’isolement géographique. Les PH sont en nombre très limités par spécialité (parfois 2 ou même 1 seul) et la hiérarchie administrative est réduite à sa plus simple expression. L’activité médicale, l’organisation du service, les moyens humains et matériels, les projets, sont gérés par chaque spécialiste responsable. La proximité des PH et des décideurs locaux (la Polynésie française à un statut d’autonomie politique avec son propre gouvernement) permet des interactions directes sur la politique de santé (ministère de la Santé local). Certains PH ont pu développer leur activité au-delà de l’hôpital en créant des projets de santé tels que la greffe rénale et la cancérologie, Certains PH font régulièrement des missions dans les îles éloignées pour des consultations avancées et le maintien d’un réseau de soins. Cette implication permet d’appréhender l’exercice d’une spécialité médicale sur l’ensemble de la prise en charge, de la prévention aux suites de soins. Le relais avec des centres de référence de métropole par des évacuations sanitaires ou des missions de spécialistes experts venant des hôpitaux français, entretien une culture médicale du meilleur niveau.

At last but not least : la relation exceptionnelle du médecin et de son patient qui est restée en Polynésie une relation de confiance avec une humanité originelle encore préservée. il existe un service de médecine isotopique. Un établissement psychiatrique de 60 lits est intégré au CHPF.

il existe un service de médecine isotopique. Un établissement psychiatrique de 60 lits est intégré au CHPF.

Il y a deux équipes de SMUR, chacune avec un PH urgentiste. La première effectue 1200 interventions par an, exclusivement sur l’île de Tahiti. La seconde est réservée aux 600 évacuations sanitaires par an, des îles vers Tahiti.

Le « speed boat » du village est prêt à transporter Vaitiare pour Makemo. L’auxiliaire de santé à équiper la petite embarcation au mieux pour ressembler à une évacuation médicalisée. Plusieurs heures de mer seront nécessaires pour la traversée. Heureusement, il n’y a pas de houle, l’océan Pacifique porte bien son nom aujourd’hui.

Après 1 heure et 30 minutes de vol, l’avion du SMUR est à l’approche de Makemo. 10 minutes plus tard le PH du SMUR conditionne Vaitiare pour le transport. L’examen neurologique retrouve une hémiplégie droite, il n’y a pas d’anomalie des paires crâniennes, les pupilles sont en mydriase à gauche, l’aphasie s’aggrave avec une absence de réponse verbale, il y a des troubles de la conscience avec un score de Glasgow à 7. Le médecin décide de pratiquer une intubation sur place avant le décollage.

Au CHPF, le seul neurochirurgien de Polynésie française réserve une salle au bloc opératoire ; l’équipe du scanner est avertie pour prioriser l’urgence dès l’arrivée de Vaitiare.

Le scanner et l’angioscanner diagnostiquent une rupture d’anévrysme sylvien gauche avec un hématome intra temporal, un effet de masse et un début d’engagement sous falciforme.

Vaitiare est amenée au bloc opératoire et est prise en charge par l’équipe d’anesthésie.
Le neurochirurgien effectue un clippage de l’anévrysme sylvien et une évacuation de l’hématome intra cérébral. L’hémorragie est stoppée. Une dérivation ventriculaire est mise en place. En sortie de bloc opératoire, Vaitiare est transférée en réanimation, elle est laissée sous sédation sous contrôle de la pression intracrânienne et monitoring de la circulation cérébrale par doppler transcrânien. Un scanner est réalisé le lendemain pour vérifier la bonne exclusion de l’anévrysme.
La sédation est levée en fonction des paramètres. Les suites opératoires en neurochirurgie sont simples.
La motricité du côté droit est quasiment normale et l’aphasie a régressé.

Un deuxième anévrysme non rompu de l’artère vertébrale droite a été visualisé lors du bilan radiologique. Après concertation avec une équipe de neuroradiologie spécialisée de métropole, il est décidé de transférer la patiente en France pour pratiquer une embolisation endovasculaire.

Les évacuations sanitaires de la Polynésie française se font vers la Nouvelle-Zélande pour les grands brûlés et certaines interventions de chirurgie cardiaque. Les autres pathologies ne pouvant être traitées au CHPF sont prise en charges en France. Les patients de la Polynésie française sont transférés vers les centres de référence répartis sur toute la France selon les pathologies concernées.

Le voyage de Tahiti à Paris dure 22 heures avec une escale à Los Angeles. A Paris, Vaitiare est prise en charge pour son intervention spécialisée.
L’évolution est favorable et le retour à Tahiti se fait 15 jours après. Vaitiare retourne à Haraiki pour poursuivre sa convalescence. Pour son rendez-vous avec le neuro chirurgien du CHPF, elle devra rejoindre Makemo en bateau pour prendre le vol hebdomadaire vers Tahiti.

3 Mois plus tard, Vaitiare a repris les répétitions avec son groupe de danse. Elle se souvient pourtant de tout le personnel hospitalier qui l’a soignée et accompagnée durant son accident. La France, elle y retournera sans doute un jour pour faire du tourisme.

En Polynésie française, la prise en charge des frais médicaux est assurée par une caisse d’assurance maladie équivalente à la sécurité sociale en France.

Le système hospitalier public de Polynésie française et de France a donné à Vaitiare les moyens de sa guérison grâce à la compétence et au dévouement du personnel hospitalier, et à la performance des plateaux techniques.

Le coût total de la prise en charge de cet AVC n’a pas été communiqué, et Il n’existe pas encore d’algorithme de calcul pour estimer le bénéfice du rétablissement de cette jeune femme pour la société.

Marc LEVY
Président du syndicat
des praticiens hospitaliers
de Polynésie française
 

Article paru dans la revue « Intersyndicat National Des Praticiens D’exercice Hospitalier Et Hospitalo-Universitaire.» / INPH n°10

L'accès à cet article est GRATUIT, mais il est restreint aux membres RESEAU PRO SANTE

Publié le 1653980573000