Je l’ai lu ou vu et vous aimerez peut-être le lire ou le voir aussi : le lambeau, récit Autobiographique de Philippe LANÇON

Publié le 31 May 2022 à 17:05

 

Pour ce MAG 21 et avant l’été, il vous est proposé non seulement de lire ou de relire un livre, mais aussi de voir ou de revoir une série télévisée avec non pas une, mais deux saisons.

Nombreux sont ceux qui se souviennent du moment où ils ont appris la nouvelle de l’attentat à Charlie Hebdo. En ce qui me concerne ce 7 janvier 2015, j’arrivais Gare de Lyon direction le cœur des religieuses à Cochin pour un conseil d’administration de la Société Nationale Française de Médecine Interne (SNFMI).

Très affecté par le décès de Cabu et Wolinski, dont les dessins m’ont accompagné depuis l’adolescence, j’avoue n’avoir découvert le journaliste Philippe Lançon qu’en raison du fait qu’il fût un des survivants de l’attaque criminelle. Journaliste à Libération et chroniqueur à Charlie Hebdo, il est présent lors de la conférence de rédaction du journal satirique le 7 janvier 2015. Gravement blessé au visage, aux mains et aux bras, il en est l'un des survivants.

Le Lambeau est le récit autobiographique qui retrace l’intensité et la brièveté de l’attentat, mais surtout les longs mois d’hospitalisation dans le service de chirurgie maxillo-faciale de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, puis le service de soins de suite des Invalides, pour sa progressive reconstruction.

Ce récit, écrit après deux années de chirurgies itératives et d’une longue rééducation, est paru le 12 avril 2018 aux éditions Gallimard. Il a reçu la même année le prix Femina ainsi qu’un prix spécial Renaudot. Avec une écriture fluide, riche, cultivée, intelligente, touchante mais sans pathos, Philippe Lançon décrit de l’intérieur ce qui n’est écrit dans aucun traité de médecine ou de chirurgie : sa relation à son traumatisme et ses conséquences, sa relation au temps, sa relation à ses proches, à tous les soignants et surtout l'importance de sa relation à sa chirurgienne, Chloé. C’est un témoignage littéraire contemporain rare sur le deuil, sur la résilience et plus généralement sur toute la complexité du processus de cicatrisation. Il est aussi un témoignage sur la triviale et humaine réalité d’un service hospitalo-universitaire de pointe et permet de découvrir toute la complexité de la gestion temporelle et l’obstination nécessaires à la pratique de la reconstruction maxillo-faciale.

A lire absolument pour se rappeler encore et toujours toute l’importance du premier aphorisme d’Hippocrate : « La vie est courte, l'art est long, l'occasion est prompte à s'échapper, l'empirisme est dangereux, le raisonnement est difficile. Il faut non seulement faire soi-même (le médecin) ce qui convient, mais encore être secondé par le malade, par ceux qui l'assistent et par les choses extérieures. »

Merci encore à la personne qui m’a offert ce livre, que je vous offre à mon tour à la lecture ou à la relecture.

Hippocrate saisons 1 et 2, la série télévisée de Thomas Lilti
Récemment nous discutions avec un ami de l’importance grandissante des séries et de leur impact sur la production cinématographique, surtout en cette période confinés que nous fumes en compagnie des plates-formes de diffusion mais éloignés des salles obscures. Nous en sommes venus à la conclusion, que même si le cinéma « classique  » offrirait toujours la possibilité d’œuvres uniques et anthologiques, les séries représentaient maintenant un mode d’expression majeur du 7e art et permettaient non seulement une temporalité et une richesse de développement de l’intrigue uniques, mais surtout d’être un véritable bouillon de culture de l’actualité avec des scénaristes qui sont souvent de véritables éponges de l’air du temps

Notre confrère Martin Winckler dans son Petit Eloge des Séries Télé en 2012 (Gallimard, coll.  « Folio 2 euros  » no  5471, 2012), l’exprimait déjà ainsi et défendait le goût d’un chacun pour cette forme de cinéma :
« Écrites, tournées et diffusées en léger différé avec leur époque, les séries télévisées, tout comme le théâtre, la littérature, le cinéma et la bande dessinée, portent un regard sur le monde, encore plus contemporain, encore plus incisif : les meilleures séries sont des témoins stimulants de l’état du monde. Elles sont souvent audacieuses dans leur construction et leur propos volontiers impertinent, acide. Dans des séries anciennes, on peut ainsi se rappeler le badinage sexuel d’Emma Peel et John Steed dans Chapeau Melon et bottes de cuir, la révolte métaphysique du n°6 face au lavage de cerveau politique dans Le Prisonnier, les jeux subliminaux autour de l’imagerie gay des Mystères de l’Ouest, la satire de la guerre froide dans Agents très spéciaux, la description de la noirceur de l’humanité et de ses dilemmes dans La Quatrième Dimension et Star Trek. Des séries plus récentes comme Urgences et House, M.D. soulignent sans relâche les dilemmes éthiques et les conflits de pouvoirs suscités par les progrès de la technologie du soin, la surenchère biomédicale, les inégalités d’accès et le rôle des structures et professionnels de santé. …/…
Quelques-uns des droits du sériephile (en hommage à Daniel Pennac dans Comme un roman) : Le droit de regarder des séries de toutes natures (et pas seulement celles que « les intellectuels » ou les « spécialistes » trouvent réussies).

Le droit de regarder une série quand on veut, comme on veut, où l'on veut et à l’abri de toute censure. Le droit de regarder sans être jugé ou méprisé. Le droit de démarrer une série au quart de tour et puis de décrocher. Le droit de prendre une série en route après avoir longtemps reculé ou hésité. Le droit d'aimer (ou de détester) sans devoir se justifier. »

Donc ainsi déculpabilisés de votre éventuelle addiction sérielle ou libéré de vos réticences pour une forme de 7e art considérée (à tort) au rabais, je vous propose de voir ou de revoir la série hospitalière française d’actualité, à savoir Hippocrate de Thomas Lilti. Cette série, prolongement de son long métrage éponyme sorti en 2014, bien qu’il ne s’agisse pas d’un reportage mais d’une fiction pour le grand public, nous plonge de façon très réaliste dans le quotidien de l’hôpital public. L’ambiance de l’internat et les personnages, notamment des internes sont tellement forts qu’on a l’impression de les avoir déjà connus ou même de se reconnaître. La première saison commence avec l’arrivée des nouveaux internes dans un service de médecine interne de la région parisienne. Il s’agit de deux « premiers semestres » et d’une interne expérimentée. Cependant à la suite de mesures sanitaires de précaution imposées par l’ARS, les médecins titulaires du service se retrouvent confinés chez eux pour 48h. Les internes vont devoir, avec l’aide d’un médecin légiste étranger, gérer seuls le service et les malades. Mais la « quarantaine » va se prolonger…

La seconde série qui se poursuit avec les mêmes personnages, commence de façon tout aussi improbable (quoique ?), par l’inondation du service des urgences à la suite d’une rupture de canalisation, obligeant l’hébergement de l’activité des urgences dans le service de médecine interne. Les lieus des différentes scènes sont : les services de médecine interne et de réanimation, l’anapath, la radiologie et l’internat, dont l’ambiance est tellement réaliste. Tous les problèmes de l’actualité hospitalière sont traités, jusqu’aux plus récents et plus dramatiques, à savoir le suicide d’un interne et même l’irruption du COVID dans le tout dernier épisode.

Je vous souhaite une bonne (re)lecture et un bon (re)visionnage

Dr Eric OZIOL
Liseur éclectique et
sériephile décomplexé

Article paru dans la revue « Intersyndicat National Des Praticiens D’exercice Hospitalier Et Hospitalo-Universitaire.» / INPH21

L'accès à cet article est GRATUIT, mais il est restreint aux membres RESEAU PRO SANTE

Publié le 1654009559000