Je l’ai lu… et vous conseille de le lire - Cet été à la plage, à la montagne ou à la campagne !

Publié le 30 May 2024 à 17:46
Article paru dans la revue « INPH / Le Mag de l’INPH » / INPH N°29


La molécule qui détruisit l’hôpital L'Atédesa, Conte hospitalier Auteur  : Jean-marie Brugeron Les Impliqués Éditeur. Éditions L’Harmattan Parution : 7  juin  2021 Broché, 256 pages, 135 x 215 mm ISBN  :  978-2-343-23171-6 EAN13 : 9782343231716 EAN PDF : 9782140181375 www.linkedin.com/in/jeanmariebrugeron

La molécule qui détruisit l’hôpital


Dr Eric OZIOL
Lecteur égalitaire,
solidaire et libre…car responsable.

L'Atédesa, Conte hospitalier

« Bruno s'est retiré en Lozère. Il vit hors du temps. Une tempête s'abat sur le hameau ; il est transposé dans un monde nouveau. Qu'est devenu l'hôpital dans cette étrange société ? Quel est le lien entre la tarification à l'activité dans les hôpitaux (T2A) et l'ATEDESA, molécule mise au point pour éradiquer tout sentiment altruiste ? L'hôpital va-t-il se reconstruire secrètement à Saint-Alban, village de Lozère où François Tosquelles, psychiatre trotskiste fuyant la dictature franquiste, refonda la psychiatrie ? Le lecteur est invité à une réflexion sur la place de l'hôpital dans la société. Nous viendrait-il à l'idée de donner une valeur monétaire à l'amour que nous avons pour nos enfants ou notre conjoint ? Avec la T2A, c'est ce que nous faisons pour l'aide aux malades, à la personne âgée. »

Lauréat pour ce livre, du prix André Soubiran (remis par L'Académie du Languedoc le 11 mars 2023 à Toulouse), l’auteur, Jean-Marie Brugeron est un directeur d’hôpital et ancien élève de l’École des Hautes Études en Santé Publique (EHESP). Il a exercé ses fonctions en Centre Hospitalier, en Centre Hospitalier Universitaire, dans un Centre de Lutte Contre le Cancer et auprès du Ministère de la Santé en tant que Conseiller général de santé. Il est actuellement bénévole au Secours Catholique et enseigne à la Faculté de droit de Montpellier. En fait de « Conte hospitalier », il s’agit plus d’un essai sur les effets pervers du financement de l’hôpital public, savamment camouflé en roman dystopique et onirique, ou plutôt cauchemardesque. Avec une écriture fluide, élégante et délicieusement provocatrice, Jean-Marie Brugeron nous entraîne dans une enquête hospitalière, en pleine période COVID, digne d’un thriller. Nous partons ainsi à la recherche du Pr Louis Enilec (toute ressemblance «  anagrammique  » avec l’auteur de Voyage au bout de la nuit ne me semblerait pas tout à fait fortuite), le développeur de la molécule Atédesa.

Le périple commence sur les pentes des Monts Lozère, pour se poursuivre dans le Cantal, puis au CHU de Caen où Bruno, notre narrateur, Directeur-Enquêteur, commence à comprendre que pendant sa « retraite lozérienne  » l’hôpital qui était là pour aider ceux qui en avaient besoin, était devenu une entreprise ultra-performante pour laquelle l’allocation des moyens s’était transformée en un objectif qui se méritait, avec une sélection des «  bons malades, bons citoyens  » par une Intelligence Artificielle. Cependant dans ce nouveau paradigme il est néanmoins proposé aux recalés de l’I.A. une solution ultime : l’hôpital de Lourdes, dernier sanctuaire de soins charitables, où Bruno va enfin résoudre le fin mot de l’énigme et comprendre comment la mise sur le marché du soin tarifé avec comme objectif la performance financière avait détruit les plus belles valeurs de solidarité de l’hôpital public, dans une société capitaliste de la performance de l’homme parfait, rappelant étrangement comme en écho l’état nazi et autres allusions phoniques normatives.

Ce n’est donc pas par hasard que l’histoire se termine (ou se répète ?) au CHS de Saint Alban, à nouveau en Lozère (à noter que le GHT Lozère est le plus petit de France en termes de population, mais pas en termes de territoire), haut lieu à la fois de résistances, d’accueil, mais aussi de créations. C’est là que François (Francesc) Tosquelles a construit les bases de la psychiatrie institutionnelle comme une résistance à la dictature de la performance totalitaire des années 40, une résistance contre la misère, une résistance pour la différence et pour la solidarité, malgré la guerre, malgré l’hiver, malgré le dénuement, malgré la faim, mais avec tellement de joie, d’intelligence, d’humour et de créativité. Je vous conseille le visionnage de cette vidéo de 54 minutes titrée « François Tosquelles  : une politique de la folie », dans laquelle en français avec un accent catalan rappelant celui de Salvador Dali, il nous explique tout sur la « Déconniatrie » (https://vimeo.com/167991974). En plein hiver 1955 il confie même les trois premiers enfants « arriérés mentaux » comme on disait et surtout miséreux et abandonnés, à l'abbé Lucien Oziol (un cousin germain de mon père, beaucoup moins connu que l’Abbé Pierre), qui créa le premier institut d’accueil pour des enfants handicapés mentaux, le Clos du Nid. Bien d’autres furent crées après, en Lozère et dans d’autres départements. Cette belle œuvre psychiatrico-religieuse du Clos du Nid a donc été fondée par un prêtre catholique et par un psychiatre anarchiste, réfugié catalan. Mon aïeul disait dans un entretien avec Jacques Chancel en 1977  : "Je n'aurais jamais pu faire tout cela si je n'avais pas été prêtre".

Et Francois Tosquelles dans la vidéo citée ci-dessus disait : « J'ai eu deux spécialités : celles de convertir les communistes en communistes et les religieuses en religieuses. Parce que la plupart des catholiques ne sont pas catholiques. Je n'ai rien contre le fait que l'on soit catholique ou communiste. Je suis contre ceux qui se disent communistes et qui sont radicaux-socialistes ou fonctionnaires publics ; et contre les religieuses qui croient l'être, alors qu'elles ne sont que des fonctionnaires de l'Église. Une partie de mon métier a donc consisté à convertir les individus en ce qu'ils sont réellement, au-delà de leur paraître, de ce qu'ils croient être, de leur moi idéal. Les malades eux-mêmes étaient confrontés à la réalité de la guerre et savaient qu'au troisième étage du château se cachaient des résistants. Ils étaient cachés comme eux. Le mot asile est très bon ! Les fous se mettaient au service des réfugiés pour leur donner de quoi vivre. ».

Je vous souhaite à la toute fin de ce roman de vous « réveiller de ce cauchemar », et avec cette lecture estivale de commencer à envisager la performance comme très différente de la robustesse, mais nous reviendrons sur ces concepts avec des lectures tout aussi passionnantes dans le MAG  30 de la rentrée qui aura pour thème L’HÔPITAL FACE AU DÉFIT DE LA COMPLEXITÉ.

…En attendant, du 11 au 18 juin 2024, e-votez pour les listes soutenues par l’INPH !!!

 

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Publié le 1717084014000