L’inquiétude est sans doute la motivation de ce numéro consacré à la tentative de mainmise des financiers sur le monde de la radiologie. Inquiétude justifiée, car elle implique un changement de paradigme sans précédent dans le secteur libéral qui modifiera également tout l’écosystème radiologique français. En effet, nous ne sommes qu’au début de ce tsunami et les futurs acteurs de la radiologie que vous êtes peuvent encore empêcher les ravages qu’il a déjà infligé à la biologie. Certaines professions comme les pharmaciens ont réussi le tour de force de l’éviter et je suis certain que nous pouvons y arriver, notamment grâce à vous, les plus jeunes.
Tous les éléments sont en effet réunis pour que les financiers « fondent » sur la radiologie libérale :
- Une démographie défavorable : De nombreux radiologues sont proches de la retraite avec un trou démographique (cicatrice du numerus clausus) interdisant le renouvellement harmonieux de la profession. La difficulté de trouver un successeur incite les futurs retraités à céder aux propositions des financiers.
- Un contexte d’instabilité des structures _: Les baisses successives des forfaits techniques, censés permettre le financement des machines et du personnel, mettent une pression majeure sur les cabinets libéraux. Alors même que l’inflation galope et que le coût des matériaux et du personnel ne cesse d’augmenter, l’État laisse toujours planer une menace sur nos structures qu’il n'a cessé de fragiliser. Il n’est donc pas très compliqué pour un financier de convaincre les plus anciens d’entre nous d’abandonner la gestion de plus en plus délicate d’une structure de plus en plus fragilisée, et même de convaincre les plus jeunes de céder à la facilité.
- Les décotes successives des actes d’imagerie : Comme pour la biologie, l’État n’a cessé de baisser la valeur des actes d’imagerie. Ces baisses successives ont contribué à augmenter les cadences et la pression sur les cabinets. Elles ont également déstabilisé notre profession, ce qui, comme pour nos collègues biologistes, sert d’argument aux investisseurs pour acheter la tranquillité d’esprit des radiologues en leur promettant un salariat et un rachat de leurs parts.
- La faiblesse syndicale et ordinale : Pendant des années, ces décotes successives ont été actées par nos syndicats. La création de sociétés souvent pyramidales (les plus anciens possédant le plus de parts) isolant le plateau technique et l’absence de règles ordinales fermes concernant ces sociétés, ont contribué à créer des conditions idéales pour l'arrivée des fonds d’investissement. Certains responsables syndicaux n’ont d’ailleurs pas été les derniers à ouvrir la porte aux financiers, ceci expliquant peut-être cela. Il semble que cette attitude soit en train de changer avec des prises de position récentes plus fermes, mais bien trop tardives. Ces changements de position doivent maintenant passer par une refonte idéologique syndicale profonde (charte syndicale) et un renouvellement générationnel.
- La complicité récente des ARS : Malgré des signaux au rouge, malgré les alertes données par les syndicats et plus récemment par l’Académie de médecine, malgré les affaires récentes concernant les EPAHD, les ARS ont souvent fermé les yeux sur l’attribution des dernières autorisations d’équipement lourd à des structures déjà aux mains de ces investisseurs.
- L’aveuglement de notre Société savante qui s’est caché les yeux à chaque baisse de cotation, a nié son impact qualitatif sur le tissu radiologique actuel et surtout sur les futures générations de radiologues et n'a su ni anticiper ni dénoncer ce risque.
- Le développement de la téléradiologie : Cette dernière a permis le fonctionnement de structures sans ou avec un minimum de radiologues sur site, et à la radiologie de se rapprocher du modèle de la biologie avec un minimum de médecins sur place, une dépersonnalisation et une externalisation des interprétations faisant le jeu des financiers. La téléradiologie qui séduit beaucoup d’entre vous scie la branche sur laquelle vous vous tenez.
Faut-il pour autant baisser les bras ?Je ne le crois pas.
Ce constat vous semblera peut-être dur, mais il explique pourquoi cette vague déferle maintenant et comment ne pas renouveler les erreurs du passé.
Le risque majeur est celui d’une polarisation de la radiologie libérale composée de :
- Mégastructures appartenant aux financiers dont la finalité principale ne sera plus un projet médical mais un projet financier avec des radiologues salariés ayant perdu leur liberté.
- Structures à échelle plus humaine appartenant à des radiologues soucieux de leur indépendance, portant avant tout un projet médical.
Vous êtes ceux qui peuvent faire pencher la balance vers l’un ou l’autre de ces deux modèles.
Si vous choisissez l’indépendance, le prix à payer sera élevé : la vigilance, l’exigence, le fait d’avoir pour guide le projet médical et la qualité des examens, l’implication dans la vie de votre cabinet et dans la défense de la profession.
Je vous rappelle simplement cette fable de Jean de La Fontaine : le Loup et le Chien. Après que le chien lui a vanté les avantages de sa condition, le loup, tenté, découvre que le chien porte un collier et il lui dit :
«- Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas où vous voulez ?
-Pas toujours ; mais qu'importe ?_»
Lisez cette fable, et comme le loup, faites le bon choix. Rien n’est fini, tout commence.
Dr Henri Guerini
Vice-président de l’UFML-S Syndicat Secrétaire général adjoint de la SIMS
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Article paru dans la revue “Union Nationale des Internes et Jeunes Radiologues” / UNIR N°46