Introduction

Publié le 17 Nov 2023 à 14:48

 

Écrire une introduction pendant les congés expose à être influencé par l’activité des congés et celle-ci a consisté à reprendre les Archives syndicales pour en faire le tri.

Prendre une perspective historique donne un éclairage à certaines orientations en particulier en ce qui concerne la fameuse démographie des médecins du travail.

Comment expliquer que dans le début des années 1980 on parlait d’un trop plein de médecins du travail alors que le nombre total de médecins toutes spécialités confondues était inférieur de moitié à la situation actuelle ! Reprenons les références. 
Avant 1982, l’exercice de la médecine du travail était comme le dit la loi de 1946 faite par des médecins qui prennent le nom de médecins du travail pour éviter l’altération de la santé du fait du travail.

Mission réalisée après une formation initialement rudimentaire et s’étoffant petit à petit au fur et à mesure de l’évolution pour aboutir dans les années 70 à un CES qui pouvait être suivi en concomitance avec l’exercice médicale et/ou le suivi d’un autre CES.

La pression patronale poussant les médecins à rester dans leur cabinet médical alors que la loi de 1946 mettait déjà la prévention primaire en priorité. Il faut dire que le contrôle réglementaire et l’attente quant au rôle n’étaient pas à la hauteur de la mission décrite dans la loi.

En décembre 1982 est mis en place la formation des médecins du travail par le biais de l’internat sans avoir compris (c’est normal de la part de ceux qui ne sortent jamais de leur tour d’ivoire universitaire) que l’orientation vers la médecine du travail n’est pas une orientation première. On ne commence pas les études de médecine en pensant que l’on pourrait être médecin du travail ou médecin expert, on n’en parle jamais durant les études et c’est seulement à l’occasion de rencontres et devant certaines déceptions de l’exercice de thérapeute que l’on s’y intéresse. C’est donc devenu une filière unique santé publique et médecine du travail.

En 1987 premier constat de l’insuffisance du nombre de médecins formés. Le rétablissement du CES est évoqué, la filière médecine du travail est individualisée et il est demandé qu’il y ait des stages sur le terrain.
En 1989 l’insuffisance du nombre de médecins du travail formés est patente et fait l’objet d’alarmes de la part des syndicats de professionnels ! 

Il est mis en place l’activation du concours dit européen avec le décret du 7 avril 1988.
En 1990/1991 le rapport Lazar puis le rapport Girard mettent l’accent sur la situation et proposent quelques solutions.

En 1992 le déficit continue de s’aggraver du fait que les étudiants hésitent à s’orienter vers une spécialité dont ils n’ont jamais entendu parler, qui découvrent, s'ils s’y intéressent, l’obligation d’exercice exclusif à la sortie rendant compliqué les réorientations et les contraintes de la situation hospitalières de l’internat qui limite le nombre de poste offerts au nombre de poste de stage possible dans les hôpitaux sans tenir compte du besoin criant du terrain !

En mars 1993 sort un rapport du ministère du Travail sur l’article 14 du décret du 28 décembre 1988 de H. Faure et I. Orhant.
Il y est clairement dit que (p. 74) « l’objectif à terme est de créer des services de santé et de sécurité au travail. Ces services multidisciplinaires seront chargés tout à la fois de la conception des locaux, de la vérification des normes des machines et matériels, du suivi ergonomique, des mesures de détection des risques, des examens de santé, des campagnes de prévention, de la déclaration et de l’analyse des accidents et maladies, des aménagements de postes en faveur des accidentés, des handicapés et inaptes ».

En 1997 on évoque le chiffre du manque de 500 postes pour le privé, sans compter qu’un nombre important de médecins exercent sans le diplôme.
Au fil des différentes commissions du Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels où la CFE-CGC siège et intervient comme organisation reconnue représentative on aboutit à une formation en trois pistes :
Le concours dit C classique.

Le concours dit E ou concours Européen.
Une troisième voie pour les généralistes voulant se reconvertir, voie exceptionnelle en nombre et en durée. 
Une quatrième voie pour régulariser la situation des médecins exerçant illégalement.
Le Conseil d’État rejeta cette proposition. 

Cependant le manque de médecins du travail doit être tempéré, car s’il est décrié par les directions des services, les statistiques du bilan annuel des conditions de travail montrent à cette époque que seulement près de la moitié des médecins du travail peuvent travailler à temps plein, les autres le sont à temps partiel ! Il y a de quoi se poser des questions lorsque l’on se plaint du manque de médecins du travail !

Et autre fait troublant trouvé par une enquête du conservatoire national des arts et métiers, le laboratoire Friedman au congrès de juin de cette année-là.
Cette enquête relate que la proportion de 14 % des médecins du travail ont été touchés par le chômage pour une durée de huit mois et demi (DMT N°68 p. 342).

On ne peut pas ne pas se poser des questions sur la réalité du manque de médecins ou de l’aspect construit de ce prétendu manque !

Dans l’intervention que j’avais faite au nom de la CFE-CGC à la séance annuelle de janvier 1997 avec le ministre j’avais dit que l’on se demandait si les prétendus obstacles administratifs n’étaient pas un beau prétexte pour ne pas mettre en œuvre la Médecine du travail telle qu’elle est prévue dans les textes ! Cela permet trop de facilités :

• De ne pas répondre aux objectifs de la loi avec une bonne raison, pour ne pas mettre en œuvre pour ceux qui en ont le pouvoir ou ceux qui ont la charge de la faire appliquer…
• C’est également une excellente raison pour la tutelle d’expliquer son inefficacité dans la surveillance du bon fonctionnement des services…
• C’est également une excellente raison pour les employeurs de déplorer la non-exécution de leurs obligations de santé et de prévention au travail…
• Enfin c’est une excellente raison pour les universitaires pour ressortir leurs vieilles espérances de prédominance d’un système qu’ils n’ont jamais approché autrement que par leurs élèves.

Comment ne pas relier cela aux travaux du Cisme en 1987 où cet organisme pond un rapport aboutissant à trois propositions : 

1. La nécessité d’un changement de nom des services de médecine du travail pour l’appellation de santé au travail qui traduirait mieux la multi disciplinarité retenue en français par la conférence internationale du travail à Genève. Cela traduisant pour les auteurs l’évolution nécessaire des service plus centrés sur la prévention de l’environnement du travail dont on souhaite diminuer les risques plutôt que vers le salarié. 

2. Les services devraient offrir une large palette de prestations complémentaires de prévention ou de service social. Cependant le Cisme ne souhaite pas simplement offrir plus de services mais également d’agir sur cette dernière. « À terme l’objectif est bien d’alléger, d’assouplir la réglementation en médecine du travail ». Dans l’annexe il est spécifié de proposer un service plus global, à la carte, plus flexible avec plus d’options mais moins de médecins, plus d’infirmières, plus d’érgonomes, plus de service social. Et donc à la carte et moins cher. 

3. Le troisième axe est un plaidoyer agressif en faveur d’une démédicalisation ou encore d’une hypo médicalisation des services de médecine du travail. Le système actuel étant jugé trop lourd, trop pathologiste, trop médical, trop assujetti à un modèle non évolué… L’objet, précise le rapport du Cisme, est encore plus explicite : L’objet du travail est de « passer d’une médecine du travail passive et subie à une médecine du travail au moins pour partie active et voulue, perçue comme un coût certes, mais aussi comme un apport pour l’entreprise et ses salariés ».

C’est ainsi que dés les années 90, les pouvoirs publics et les syndicats commencent à s’alarmer du vieillissement de la pyramide des âges des médecins du travail en activité. Ce problème ne bénéficiera d’aucune véritable solution sur la période étudiée ainsi que le constate l’étude de P. Marichalar intitulée « La médecine du travail sans les médecins : une action patronale de longue haleine ».

De fait de réforme en réforme avec l’action des pouvoirs publics et des responsables universitaires cela s’est mis en place progressivement au point que nait la rumeur que le Cisme serait en préparation d’un plan de licenciement des médecins du travail devenant superflus. En 2004, devant la montée de cette rumeur, le Cisme a dû faire une déclaration indiquant qu’il n’en était pas question.

La négociation dite de réfondation sociale en 2000 a été un point culminant des tensions entre le Cisme et le MEDEF ; en effet, le MEDEF proposait que les consultations médicales puissent être réalisées par des médecins généralistes ce qui mettait en péril l’obligation de recourir aux services de santé au travail et donc à la survie du Cisme. Le président du Cisme M. Sappey démissionna des mandats du Medef et s’opposa bruyamment à cette disposition qui fut finalement retirée ce qui permis à la CFE-CGC de signer cet accord. 

La raison sous-jacente étant que les services de médecine du travail étaient l’occasion pour les structures patronales départementales de placer des administrateurs et des présidents voire dans certains cas de bénéficier des moyens de ces services, ce qu’ont démontré de nombreuses affaires.

Le Cisme changea de stratégie et mis en place des expérimentations pour démontrer que l’action des médecins du travail pouvait être réalisée par d’autres professionnels avec un état d’esprit résumé dans ses bulletins internes dans lesquels on assume de se mettre dans l’illégalité sous prétexte que le Droit finira par s’adapter à la Société !
C’est également avec une autre démarche celle de la certification (la démarche dite de progrès) dans les années 2000 pour tenter de modifier l’organisation des services, projet porté par J. Texier qui avait une bonne expérience des méthodes de l’AFNOR.

Cette évolution et cette progression sont intéressantes à avoir à l’esprit sans pour autant condamner l’apport des membres de l’équipe pluridisciplinaire qui sont nécessaires mais dont le statut laisse à penser qu’à la différence des médecins du travail ils ne bénéficient pas du statut de personnel protégé et donc sont subordonnés comme tous salariés à la direction des services elle-même sous la coupe du président patronal du service.

D’ailleurs les syndicats de professionnels de santé au travail et en premier la CFE-CGC réclament pour ces professionnels un statut qui permet de travailler en indépendance pour la protection de la santé des salariés.
Un grand pas a été réalisé avec la négociation avec le Cisme par Michel Petitot, IPRP et négociateur pour la CFE-CGC à l’occasion de la négociation de la convention collective. Ainsi les IPRP des services de santé au travail doivent disposer des moyens d’exercer leur activité et non de se voir imposer des objectifs quantitatifs. Il faut aujourd’hui être Bac+5 pour être érgonome dans un service de santé au travail.

Cette progression de statut est essentielle à repérer car sans indépendance qu’est-ce qui garantit le salarié que l’étude de son poste de travail ne va pas aboutir à une augmentation du rythme de production ou une dégradation de ses conditions d’exercice, le tout bien sûr présenté habilement !

La confiance monte par l’escalier et descend par l’ascenseur, c’est dire qu’il faut être attentif à ce contexte. Pour en finir avec la démographie quelques chiffres issus de l’étude la DREES N°679 intitulée « la démographie à l’horizon 2030 », le tableau page 5 y prévoit que le nombre de médecins du travail en 2030 serait de 2363 soit une baisse de plus de 60 % par rapport à 2006 la plus forte baisse des différents exercices médicaux !

Dans ce numéro vous trouverez les textes concernant : 

• La certification des services de santé les textes et leurs implications. 

• Un article de M. Grigoire sorti chez Médiapart qui apporte une analyse intéressante de la dernière loi. Cette position lui est personnelle mais il faut reconnaître la justesse de ses analyses.

• Le communiqué de presse confédéral au sujet de l’Accord National Interprofessionnel sur la branche AT et l’emploi des excédents financiers et la présentation des éléments essentiels du texte final. 

• Quelques aspects juridiques récents qui peuvent retentir sur l’exercice, en particulier cette modification des droits au congé suite à un arrêt de la cour de cassation du 13 septembre 23 repéré par JM Plat dans lequel la cour met en cohérence le droit français avec la charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne sur le droit au repos. C’est ainsi que les salariés atteints d’une maladie ou victimes d’un accident ont le droit de réclamer des droits à congé en intégrant dans leur calcul toute la période au cours de laquelle ils n’ont pas pu travailler alors que ce n’était pas le cas dans le droit français auparavant car il était limité à un an de référence !


Dr Bernard SALENGRO

Expert confédéral santé au travail
Président d’honneur CFE-CGC santé au travail
Président de l’INRS

Article paru dans la revue « du Syndicat Général des Médecins et des Professionnels des Services de Santé au Travail » / CFE CGC N° 70

Publié le 1700228901000