Interviews du SNJMG : Usager-es de drogues et discriminations en santé

Publié le 1655731239000


Interview de Suzanne B.

Dans le cadre de notre mois sur les discriminations en santé, nous avons choisi de parler des usager-es de drogues afin d’évoquer leurs prises en charge et les discriminations auxquelles iels sont confrontées. Voici l’interview de Suzanne B., Usagère de drogue.

Quels sont les soins urgents dont auraient besoin les usagèr-es de drogue à l'heure actuelle ?
J'ai envie de dire : Les mêmes que pour les personnes qui ne font pas usage de drogues. Nous rencontrons les mêmes problèmes de santé que le reste de la population.

En France, le suivi des personnes usagèr-es de drogues repose avant tout sur le sevrage en premier lieu puis la prise en charge des complications éventuelles. Pensez-vous qu'une autre solution soit possible ? Quelles sont les pistes pour pouvoir assurer le suivi d'un usagèr-e qui continuerait sa consommation ?
La meilleure approche me semble être de partir de ce que la personne souhaite (et de ce qu'elle souhaite vraiment, sans pressions extérieures, principalement la pression au sevrage et à l'abstinence). Pour certaines personnes l'abstinence semble être la solution, pour d'autres contrôler leur consommation, la baisser, faire en sorte qu'elle soit régulière, ou simplement limiter les risques et dommages... La piste principale me semble être le non-jugement (j'ai envie de dire, en matière de drogues aussi : mon corps, mes choix), et aussi ne pas confondre usage de drogues et addiction (on le fait très bien quand il s'agit d'alcool, mais c'est loin d'être acquis concernant la coke ou l'héro).

Quelles sont les discriminations principales subies par les usagèr-es de drogue ?
Le paternalisme et l'infantilisation ("je sais mieux que toi ce qui est bon pour toi", "vous ne savez pas faire une intraveineuse"), le refus de prendre en compte notre expertise expérientielle sur le sujet, la coercition, le non-respect de notre (non) consentement, le refus de prendre en compte notre parole car nous serions "tou-te-s des menteurs/euses", le rejet, les très nombreux préjugés (sales, voleurs/euses, menteurs/ euses, criminel-le-s en puissance, incapables de prendre soin de nous, etc.), la discrimination par la loi (pénalisation de certains usages tandis que d'autres sont légaux)... la liste est longue !

"Pour parler un peu de moi, j'ai la phobie des actes médicaux, et il faut une sacrée dose de non-jugement, de mise en confiance et de respect absolu de mon consentement pour que je fasse confiance à un-e soignant-e"

Quelles sont leurs conséquences sur la santé des usagèr-es ?
L'alliance de ces discriminations toxicophobes chez nombre de soignant-e-s et de fréquents psychotraumatismes chez les UD fait qu'on est nombreux/ euses à éviter les soins... (Pour parler un peu de moi, j'ai la phobie des actes médicaux, et il faut une sacrée dose de non-jugement, de mise en confiance et de respect absolu de mon consentement pour que je fasse confiance à un-e soignant-e. Et je sais que mon cas est loin d'être exceptionnel).

Pouvez vous nous citer des actions de limitation des risques parmi les plus efficaces en termes de santé des usagèr-es ?
La distribution de matériel (d'injection, de sniff, de fume) à usage unique, sans limitation en quantité (oui j'ai déjà vu ça, les limitations en quantité, genre "pas plus de dix seringues par jour et par personne" ><). Des informations claires et informées sur les produits, leurs risques, leurs atouts, sans dramatisation des risques, sur les modes de conso, etc.

Des lieux d'accueil inconditionnels, au mieux où il est possible de consommer. La possibilité de tester les produits pour en déterminer les produits de coupe et le pourcentage de produit actif.

Que pensez-vous des salles de consommation à moindre risque ?
Je suis évidemment pour. Dans les petites villes, je suis aussi pour que la possibilité de consommer (à l'intérieur des CSAPA-CAARUD) soit offerte aux usagers/ères.

Quelles mesures vous paraissent importantes à mettre en place pour une meilleure prise en soins des usagèr-es de drogue ?
Lutter contre l'ensemble des discriminations (y compris légales) et des préjugés dont sont victimes les usagers/ères, favoriser la réduction des risques et des liens de soins de confiance, sans jugements et avec un respect absolu de la pudeur, de la dignité et du consentement.

Avez-vous des exemples de santé communautaire mis en place par et pour les usager-es de drogue ?
Oui, et iels font un travail formidable : ASUD, Techno+, Keep Smiling...

L'adelphité vous paraîtrait-elle une piste pour sortir des habituels suivis par des soignant-es ?
Il me semble que les soignant-e-s peuvent aussi être des adelphes, en fait. Avoir un diplôme de médecin et consommer des drogues ne sont pas antinomiques.
Plus généralement, je pense qu'il ne s'agit pas tant de sortir des suivis par des soignant-e-s, mais de favoriser les échanges entre soignant-e-s et usagers/ères, favoriser le travail ensemble, se nourrir les un-e-s les autres de nos expériences.

Auriez-vous des ouvrages, podcasts, à conseiller aux soignant.es qui s'intéresseraient à ce sujet ?
Oui ! En livres, je conseille : Pour en finir avec les toxicomanies, Psychanalyse et pourvoyance légalisée des drogues, du Docteur Jean-Pierre Jacques, qui me semble incontournable.
Pour aller plus loin et si la sociologie vous intéresse : La Catastrophe invisible, Histoire sociale de l'héroïne (sous la direction de Michel Kokoreff, Anne Coppel, Michel Peraldi).

En podcasts, je conseille vivement Parcours Stups
https://www.youtube.com/channel/UC_ntixMtd2sYISoNeBemjAg.

Et bien sûr, vous pouvez lire ASUD-Journal.

Article paru dans la revu “Le Bulletin des Jeunes Médecins Généralistes” / SNJMG N°33

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Publié le 1655731239000