Interviews du SNJMG : Transphobie dans le milieu médical

Publié le 1655732487000

Interview de membres de Chrysalide

Dans le cadre de notre mois dédié aux discriminations en santé, nous allons parler de la transphobie. Pour cela, nous avons interviewé Sophie Berthier, co-fondatrice et secrétaire-trésorière, et David Latour, co-fondateur et président de l’association Chrysalide à Lyon dont voici le site internet https://www.chrysalide-asso.fr

Quelles sont les attentes spécifiques des personnes trans dans leur prise en soins ?
En 2011, nous avions rédigé une brochure intitulée "Enquête santé Trans 2011". Elle est consultable sur notre site et commandable gratuitement en format papier. Force est de constater que la situation n’a guère évolué depuis les conclusions alarmantes que nous tirions déjà à l’époque.

Avant même de parler des attentes spécifiques des patients trans, il convient d'aborder les besoins élémentaires qui devraient être respectés pour toute personne ayant recours à la médecine. Ce sont d’abord ces besoinslà qui doivent être pris en compte dans les relations entre une personne trans et son/sa praticien.ne de santé. Le premier besoin est celui d'être accepté.e en tant que patient.e chez un.e praticien.ne. Le second est que son intégrité physique soit respectée. Le troisième est d'être considéré.e dans sa totalité en tant que patient, et non uniquement en tant que personne trans. Ces trois points ne forment pas de hiérarchie et devraient être d’une évidence absolue.

Pourtant, depuis 15 ans, nous récoltons des témoignages de personnes nous faisant part de refus de prise de rendez-vous au motif que le/la praticien.ne "ne reçoit pas ce genre de personnes" pour citer un usager. D’autres encore nous alertent sur le fait qu'un médecin leur a demandé de se dévêtir pour regarder des résultats opératoires sans que le motif de la consultation ne soit en lien avec un quelconque suivi post-opératoire, ni que le médecin ait précisé qu'il s’agit de curiosité de sa part et que l'intérêt du/de la patient.e n’est pas ce qui le motive. D’autres enfin nous rapportent que leur médecin traitant a précisé à un.e confrère spécialiste vers lequel/laquelle elles étaient orientées, qu'elles sont trans alors que le motif de consultation n'a strictement aucun rapport avec leur transition. Nous sommes donc très loin de pouvoir parler d'attentes spécifiques des patients trans à ce stade, mais plutôt de la façon bien trop spécifique dont beaucoup de médecins français conçoivent encore l'accueil des patient.e.s trans. Or, les patient.e.s trans ont le besoin et le droit d’être accueilli.e.s comme tou.te.s les patient.e.s. La transidentité doit absolument être prise en compte, mais seulement lorsque cela est pertinent.

Des résident.e.s en zones frontalières nous ont d'ailleurs fait part de leur stupéfaction face à la différence de traitement dont ils et elles bénéficient auprès de médecins étrangers consultés (suisses, allemands, belges, notamment), avec qui des examens génitaux non consentis sont absolument impensables, contrairement à ce dont ils et elles ont fait l’expérience avec des médecins français.

Nous savons que les suivis des patient-es trans sont parfois jalonnés de refus de soins notamment pour tout ce qui est prescription de traitements hormonaux. Pouvez-vous nous en dire plus sur les principales discriminations subies par les personnes trans ?
"Parfois" est un euphémisme. Dans plusieurs départements, il n'y a absolument aucun endocrinologue qui accepte ne serait-ce que de recevoir des personnes trans. Le refus de soins en terme sde suivi hormonal n'est donc pas une exception, mais est devenue la règle. Ce sont les médecins qui acceptent d'effectuer un suivi hormonal qui font figure d'exception. De ce fait, les médecins généralistes ont un rôle majeur à jouer pour sortir de cette impasse : beaucoup bottent encore en touche lorsqu'ils et elles sont sollicité.e.s, arguant que ce serait aux endocrinologues d'effectuer ce suivi. Pourtant, dans la mesure où la réalité de terrain est qu'un nombre insuffisant d'endocrinologues assument leurs responsabilités vis-à-vis des patients trans, il est vital que les médecins généralistes puissent prendre le relai. N'oublions pas que les œstrogènes prescrits aux femmes trans sont les mêmes (ex. œstrogel, œstrodose) que ceux pris par les femmes ménopausées et prescrits en majorité par des généralistes.

Au-delà des refus de rendez-vous purs et simples, cette pénurie de médecins acceptant de prescrire un traitement hormonal substitutif (ths) induit un rapport totalement déséquilibré entre le/la médecin et le/la patient.e. Par exemple, nombre de praticien.ne.s prescrivent systématiquement de l'acétate de cyprotérone (ex. Androcure) à des femmes trans, y compris lorsque celles-ci n'en veulent pas, notamment si elles souhaitent conserver une certaine libido. Or, quand les patient.e.s expriment leur désaccord avec des traitements prescrits, certains médecins n'hésitent pas à répondre, comme nous l’a rapporté une adhérente : "si vous n'êtes pas content avec ce que je prescris, vous n'avez qu'à aller voir ailleurs !" On est très loin d'une relation saine et d'un consentement éclairé.

Il existe également des praticien.ne.s tout à fait respectueux.ses et à l'écoute des besoins spécifiques de chaque patient.e, quel qu’il ou elle soit. Malheureusement, ils et elles restent trop peu nombreux par rapport au nombre de personnes trans ayant besoin d'un ths.

Au-delà des traitements hormonaux, quels sont les autres soins pour lesquels les personnes trans font face à des limitations dans l'accès à ces soins ?
Dans les faits, l’accès aux soins est restreint par des violences médicales qui diffèrent selon les motifs de consultation et le type d'examen. Il y a, par exemple, extrêmement peu de personnes transmasculines, y compris parmi celles ayant des rapports sexuels avec des hommes cisgenres, qui effectuent de suivi gynécologique.

De plus, le simple fait pour une personne trans de se faire ausculter pour une toux chez un généraliste peut s'avérer très embarrassant dès lors qu'il faut se dévêtir et dévoiler un corps qui fait trop souvent l’objet de regards et de commentaires de la part des médecins. Même un rendez-vous chez un dentiste peut être compliqué dès lors que la personne n'a pas encore pu bénéficier du changement de numéro de sécurité sociale (après un changement d’état civil), ce qui lui vaudra d'être automatiquement identifiée comme personne trans, voire désigné.e par sa civilité administrative – et donc mégenrée – au téléphone ou dans la salle d'attente.

Auriez-vous des conseils simples à prodiguer aux soignant-es qui voudraient améliorer leurs pratiques ?
Nous avons rédigé un guide intitulé "L'accueil médical des personnes trans", qui s'adresse spécifiquement au personnel médico-social. Il est consultable sur notre site et commandable gratuitement en format papier. Nous proposons également une ‘charte de bonnes pratiques’ sur notre site, que tout médecin peut consulter, signer et transmettre à ses collègues.

Par ailleurs, nous proposons régulièrement des formations pour donner aux professionnels les clés pour offrir un accueil de meilleure qualité aux patients trans. Plusieurs autres associations membres de la Fédération Trans et Intersexe proposent ce type de formation. RITA, qui est une association trans grenobloise, propose, par ailleurs et conjointement avec le Planning Familial 38, une formation spécifiquement destinée aux médecins généralistes désirant prescrire des traitements hormonaux.

Nous vous recommandons vivement de consulter le site https://transidenticlic.com/, rédigé par une médecin généraliste et destiné aux généralistes désireux.ses de suivre des patient.e.s trans.

Quelles sont les conséquences des violences subies par les personnes trans sur leur suivi ? A-t-on des données chiffrées sur ces points ?
Notre étude "Santé Trans 2011" avait permis de chiffrer à 16 % le nombre de personnes qui s’étaient vu refuser un rendez-vous médical sans rapport avec leur transition. Les préjugés du personnel soignant avaient fait renoncer 35 % des personnes à des soins. Trois personnes trans sur quatre (75 %) avaient déjà été mal à l’aise avec un médecin pour une raison en rapport avec leur transidentité. Pour plus de la moitié des personnes (57 %) cela provenait de l’attitude du médecin, et pour 21 % de son mépris.

Les conséquences sont graves puisque de nombreux patients trans renoncent à des soins et à des examens, ce qui limite grandement le dépistage précoce de certaines pathologies. De plus, cela encourage le recours à des voies alternatives, telle la commande d'hormones sur Internet en l'absence de tout suivi médical avec les risques que cela comporte. Loin d'être un choix inconsidéré, les personnes qui y ont recours le font à contrecœur, après avoir cherché en vain des médecins acceptant de les suivre. En tant qu'association, nous sensibilisons les personnes trans aux risques inhérents à de telles pratiques.

Quelles mesures proposeriez-vous pour améliorer la prise en soins des patient-es trans ?
Il faut sortir de cette hypocrisie consistant à nier que de trop nombreux médecins choisissent leur patientèle selon des critères éthiquement irrecevables. Soyons clair.e.s : Refuser de recevoir un.e patient.e trans au motif qu’on ne s’estime pas compétent.e et sans vouloir prendre la peine de se renseigner pour mettre à jour sa pratique est un argument inentendable car c'est faire le choix de la laisser en détresse et/ou de lui offrir pour unique alternative de se procurer des hormones sur Internet sans aucun suivi médical.

Il faut que les médecins généralistes prennent ce sujet à bras le corps, qu'ils et elles acceptent non seulement de renouveler des ordonnances établies par des endocrinologues, mais également qu'ils et elles s'informent sur les différentes prescriptions qu’ils et elles sont abilité.e.s à faire. Au-delà des traitements hormonaux, il est important de proposer des consultations respectueuses des personnes quelle que soit leur apparence physique, de respecter leur genre indépendamment des informations données par la carte Vitale et de montrer qu'en tant que médecin vous n'êtes pas dans une posture de jugement, mais d'accueil de ce que votre patient.e a à vous dire concernant sa santé.

Auriez-vous des ouvrages, podcasts, à conseiller aux soignant.es qui s’intéresseraient à ce sujet ?
- Sur le plan culturel
• « Les transidentités raccontées par les trans » (4 épisodes) – podcasts de France Culture.
• Bornstein, Kate. Hello, monde cruel – 101 alternatives au suicide pour les ados, les freaks et autres rebelles, Au Diable Vauvert, La Laune, 2018.
• Durand, Elodie. Transitions - Journal d’Anne Marbot, Delcourt, Paris, 2021.
- Sur le plan médical
Nous vous conseillons d’informer vos patient.e.s trans de l’existence de l’application « TransMémo ». Gratuite et disponible sur Android, cette application permet de suivre son ths grâce à son Smartphone.
En anglais, nous vous recommandons les ouvrages suivants :
Aspects psychologiques
- Sand C. Chang, Anneliese A. Singh et Lore M. dickey. A Clinician’s Guide to Gender-Affirming Care Working with Transgender and Gender Nonconforming Clients.
- Aron Janssen et Scott Leibowitz. Affirmative Mental Health Care for Transgender and Gender Diverse Youth.
- Sally Hines. TransForming Gender : Transgender Practices of Identity, Intimacy and Care.
Aspects somatiques
- Randi Ettner, Stan Monstrey et Eli Coleman (eds.). Principles of Transgender Medicine and Surgery.
- Rachel Ann Heath et Katie Wynne. A Guide to Transgender Health State-of-the-Art Information for Gender-Affirming People and Their Supporters.
- Courtney Finlayson. Pubertal Suppression in Transgender Youth.
- Leonid Poretsky et Wylie C. Hembree (eds.). Transgender Medicine : A Multidisciplinary Approach.

En Suisse francophone, cet excellent travail de recherche :
https://doc.rero.ch/record/328067/files/Travail_de_Bachelor_ Carnal.J_Riedweg.G.pdf

Article paru dans la revu “Le Bulletin des Jeunes Médecins Généralistes” / SNJMG N°33

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