Interviews de deux médecins pédiatres

Publié le 28 Nov 2024 à 12:48
Article paru dans la revue « ISNI / ISNI » / ISNI N°33

Interview du Dr Abdourahim CHAMOUINE

Responsable du service pédiatrique au CH de Mayotte et responsable coordonnateur du Centre de Références des Maladies Rares Pédiatriques du CH, il nous raconte son quotidien très riche, loin de l'image reçue.

Qu'est-ce qui vous plaît dans l'exercice de la pédiatrie à Mayotte ?

Dr Abdourahim CHAMOUINE- Notre activité est gratifiance. Il faut savoir que nous sommes, avec 38 lits d'hospitalisation, le seul service pédiatrique d'une île de 321 000 habitants (estimations INSEE 2024) dont 50 % ont moins de 18 ans. Et il n'y pas de pédiatre libéral. Tous les enfants viennent ici pour se faire soigner. Je me souviens d'un médecin assistant partagé entre Montpellier et Mayotte. Elle a choisi de rester car elle avait choisi médecine pour exercer son métier comme elle le fait ici. C'est vrai que notre activité est gratifiante, car nous avons cette impression de rendre service. Elle l'est aussi grâce à la polyvalence de notre exercice.

 

En quoi votre exercice médical est-il polyvalent ?

Dr A. C.- Dans une même journée, on peut voir un enfant avec une insuffisance cardiaque, un autre avec une infection à staphylocoque, un polytraumatisme, une drépanocytose… Dans certains cas, nous n'avons pas les spécialistes ou le plateau technique nécessaires et nous devons stabiliser l'enfant avant qu'il ne soit évacué à la Réunion ou à Paris.

Nous avons aussi une prévalence bien plus élevée par rapport à la Métropole de certaines maladies métaboliques comme les enfants de la Lune. Nous traitons également des infections qui n'existent plus que dans les livres…

Quelles sont ces maladies qui n'existent plus que dans les livres ? 

Dr C. A- Je pense notamment au rhumatisme articulaire avec atteinte cardiaque, à la staphylococcie pulmonaire du nourrisson, à l'incidence plus élevée des méningites à éosinophiles, et autres maladies infectieuses comme la fièvre typhoïde, la leptospirose… À chaque saison des pluies, il y a une recrudescence de ces maladies qui se combinent aux épidémies virales habituelles de l'enfant (bronchiolite à VRS et gastroentérites à rotavirus).

Comment se passe une journée type en tant que responsable du service pédiatrique ?

Dr C. A- Mon activité est très riche du fait de la diversité des pathologies que j'ai citées. En métropole, les enfants seraient orientés dans des services spécialisés d'organes. Ici, ils sont tous en pédiatrie ! Mon activité est aussi transversale car je suis aussi Coordonnateur du Centre de Référence des Maladies Rares du Globule Rouge. Par ailleurs, la direction de l'hôpital m'a confié la tâche de monter une Unité de Recherche Clinique au sein de l'hôpital. Enfin, en tant que chef de service, j'encadre les internes.

Comment décririez-vous votre rôle auprès des internes ?

Dr C. A- Je pars du principe que les internes ne sont pas là pour remplacer les seniors. L'encadrement est primordial. D'un autre côté, il y a beaucoup de travail, je ne vais pas le cacher, mais on apprend aussi beaucoup. Devant la rudesse du travail, je privilégie l'harmonie de l'équipe à la hiérarchie formelle. Le mot équipe est à prendre au sens large : médecins, infirmiers, aides-soignants, etc.

Quel est le profil « idéal » de l'interne qui souhaite travailler dans votre service ?

Dr C. A- Il est préférable d'avoir un peu d'expérience avant de venir en pédiatrie au CH de Mayotte car c'est un service « lourd ». On a du travail, certes mais on apprend beaucoup et on traite des maladies auxquelles on ne sera pas confronté en restant en Métropole. Plus on avance dans le cursus et mieux on en profite.

En métropole, les enfants seraient orientés dans des services spécialisés d'organes. Ici, ils sont tous en pédiatrie !

La situation sanitaire a-t-elle évolué à Mayotte ?

Dr C. A- Oui. Mon premier passage sur l'île était en 2002, alors jeune interne. Nous avons fait un bond de 50 ans en seulement 20 ans ! Tant dans l'éducation à la santé, dans la modernisation de l'hôpital, de l'offre de soins. Mayotte prend un virage épidémiologique indéniable et ce n'est pas reconnu ! La population mahoraise souffre davantage de maladies chroniques non transmissibles et de moins en moins de maladies liées à l'insalubrité. Certes, ces maladies sont toujours présentes, apportées par la population nouvellement installée mais elles régressent.

 

 

L'image que l'on a du centre hospitalier de Mayotte correspond-t-elle à la réalité ?

Dr C. A- Pas du tout ! On ne retient que l'encombrement des urgences qui n'est pas original, que l'on serait « mal soigné ». Cet encombrement des urgences s'explique en partie par la quasi-absence de médecine libérale en ville. Si les familles ont un problème de santé, elles viennent à l'hôpital. La qualité des soins, notre expertise médicale sont peu reconnues, ce que je regrette.

 

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