Interview - Pierre, interne en MPR et paraplégique

Publié le 05 Mar 2024 à 14:31
Article paru dans la revue « AJMER / AJMERAMA » / AJMERAMA N°5


L’interview qui va suivre me tenait à cœur, parce que Pierre est interne en médecine physique et de réadaptation mais a aussi un parcours disons atypique. Il a eu un grave accident de vélo lorsqu’il était en 1e année de médecine avec lésion médullaire le rendant paraplégique. Malgré tout, il a poursuivi ses études après 4 mois de rééducation et a entrepris de devenir médecin MPR. C’est donc naturellement que j’ai souhaité qu’il nous partage un petit peu son parcours, son histoire et son vécu. Un grand merci à lui d’avoir accepté de répondre à mes quelques questions.

Chloé : « Bonjour Pierre, comment vas-tu ? »

Pierre  : «  Et bien ça va super merci ! À l’heure où je réponds à ces questions nous sommes entre les fêtes de Noël et du jour de l’an alors je vais on ne peut mieux !  »

Chloé  : « Pierre, peux-tu te présenter en quelques mots ? »

Pierre : « Je m’appelle Pierre Lerebourg, j’ai 29 ans, étudiant en médecine, actuellement en troisième année d’internat de médecine physique et de réadaptation (MPR) à Caen. »

Chloé  : «  Pourquoi avoir choisi la MPR comme spécialité à l’internat ? »

Pierre  : «  Et bien, comme tous les étudiants en médecine, j’ai pu, lors de mon externat, être en immersion dans toutes sortes de stages, dans toutes sortes de spécialités. Certaines me correspondant plus que d’autres, mais c’est vraiment la MPR qui m’a le plus attiré. Pourquoi ? De par sa richesse autant sur le plan des spécialités médicales rencontrées (rééducation neurologique fonctionnelle, cognitive, orthopédique à tous les niveaux et notamment l’appareillage pour les personnes amputées…), que sur le profil des patients (de l’enfant à la personne âgée) ainsi que la diversité des pratiques qui s’y rattachent (spasticité avec injections de toxines botuliques, neuro-urologie jusqu’aux bilans urodynamiques, podologie, appareillage, etc.) ET SURTOUT le travail en équipe et la pluridisciplinarité notamment en centre de rééducation (avec kiné, ergo, Enseignant en Activité Physique Adaptée, orthophoniste, neuropsychologue, diététicienne, assistante sociale, service de soin etc.). C’est vraiment stimulant et épanouissant ! »

Chloé  : «  Est-ce que tu penses que ton accident et les quelques mois passés en centre de rééducation ont influencé ce choix ? »

Pierre  : «  Difficile à dire… Je pense qu’inconsciemment oui, cela a eu un impact. Déjà tout simplement parce que je pense que j’étais un des seuls à connaître cette spécialité en arrivant en première année (de médecine) car c’est une spécialité peu connue finalement. Mais aussi, par le fait d’avoir côtoyé des professionnels de cette spécialité qui m’ont beaucoup inspiré. »

Chloé  : «  Tu es plutôt orienté MPR neurologique ou en tout cas souhaite à l’avenir t’y orienter, est-ce que tu dirais que ton handicap change l’approche/apporte un lien différent avec les patients que tu prends en charge ? »

Pierre  : «  Je ne sais pas si cela a un impact dans un sens, comme dans l’autre (Moi vers le patient ou le patient vers Moi).

Mais il est vrai qu’à plusieurs reprises des patients m’ont dit qu’il se sentaient mieux compris, et qu’ils arrivaient plus facilement à s’exprimer avec moi qu’avec d’autres professionnels… C’est vrai qu’il faut éviter au maximum de réaliser un transfert (sans mauvais jeu de mots) vers un patient avec les mêmes problématiques fonctionnelles que moi, mais il est vrai que des fois ça peut aider à les comprendre, et donc à les aider.

Je me souviens également que plusieurs patients se sont servis de mon  «  exemple  » si je peux dire pour se motiver et réaliser que, finalement, le handicap n’était pas forcément une fin en soi, mais peut-être simplement un obstacle pour rebondir plus haut. »

Chloé  : «  Est-ce que tu as rencontré ou rencontre des obstacles dans ta pratique de médecin au quotidien liés à ton handicap (Que ce soit lié aux infrastructures ou à ta pratique professionnelle) ? Si oui, fréquemment ? »

Pierre : « Honnêtement ça va. J’ai souvent redouté ce genre de choses mais finalement, peut-être de par ma spécialité, je m’en suis souvent plutôt bien sorti (hormis peut-être les chambres minuscules du CHU, avec le patient hémiplégique et spastique ++ à mobiliser côté fenêtre haha).

Mais oui, effectivement, il arrive de temps en temps que l’accessibilité puisse poser souci, mais bien souvent je trouve de l’aide sans difficulté. Je pense qu’il ne faut pas avoir honte de demander de l’aide à un collègue et ce, même en l’absence de handicap finalement !

Mais globalement, allez disons 95 % du temps je fais ce que j’ai à faire tout seul. »

Chloé  : «  Et à l’inverse quelles sont les forces que tu dirais que ton handicap t’apporte ? »

Pierre : « Honnêtement, je ne pense pas que mon handicap m’apporte quelque force que ce soit dans mon métier. Je dirais juste qu’il ne m’empêche pas de le réaliser.

Peut-être que les épreuves que j’ai traversées m’ont endurci et donc me servent aujourd’hui, mais c’est tout ce que je peux en dire. »

Chloé  : «  Tu pratiques le handfauteuil, depuis combien de temps ? Est-ce qu’il y a des différences sur les règles d’un match comparativement avec le handball ?  »

Pierre  : «  Effectivement, je pratique le handball en fauteuil roulant (handfauteuil) et ce depuis maintenant sept ans, dans la section Handfauteuil du Caen handball, d'ailleurs je fais partie depuis peu de l'équipe de France de Handfauteuil ! Globalement, les règles sont calquées sur celles du Hand «  valide  », les règles de limitation de terrain et zones étant les mêmes, les 3 poussées de roues avec ballon sur les jambes équivalent aux 3 pas avec ballon porté en main, reprises de dribles, etc. Il existe également un réducteur de but sur la verticale, le gardien étant lui-même en fauteuil roulant. »

Chloé : « Waouh une sélection en équipe de France, est-ce que tu peux nous en dire plus ? »

Pierre : « Alors tout s’est fait très rapidement, j’ai su au mois de juin 2023 que la Fédération Française de Handball allait lancer la création de sa section Handfauteuil (regroupée avec le Handsourd au sein du « ParaHand »), qui n’existait pas auparavant. Et en juillet j’ai été contacté par Fabien Convers (qui a été nommé sélectionneur de l’équipe de France de Handfauteuil) pour m’informer que j’étais convoqué pour le tout premier rassemblement de cette sélection. Ce rassemblement a donc eu lieu du 24 au 27 août 2023 à la Maison du Handball à Créteil (qui est un peu le QG du handball français au même titre que Clairefontaine pour le football par exemple). C’était une expérience incroyable, j’ai pu rencontrer les 19 autres convoqués, faire la connaissance du staff (sélectionneurs, médecin du sport, kinés, mécano fauteuil, chefs de délégation, intendants etc.) et prendre mes marques dans ma nouvelle maison. S’en est suivi un deuxième rassemblement à la Maison du Handball du 23 au 26 novembre 2023, sur le thème du Hand à 4 (3 joueurs sur un terrain + 1 gardien) en opposition au Hand à 6 (5 joueurs sur un terrain + 1 gardien). Travail sur le hand à 4 car cette année c’est la pratique qui a émergé avec notamment un championnat du monde de Handfauteuil (à 4) qui aura lieu en Egypte fin octobre ! Entre temps il y a eu un 3e rassemblement délocalisé dans la ville de Nevers du 11 au 14 janvier 2024 pour y affronter en match amical (1ère opposition internationale) l’équipe Nationale d’Espagne. Bilan très positif avec 3 victoires pour 2 défaites sur les 5 matches amicaux de 20 minutes face à une belle équipe faisant partie des plus grosses nations mondiales.

Et prochainement je suis sélectionné pour le 4e rassemblement qui aura lieu du 22 au 25 mars à Dunkerque pour une nouvelle opposition internationale face à la Belgique. Les échéances suivantes seront le championnat d’Europe de Handfauteuil à 6 fin juin en France à Ecully (près de Lyon) et donc le championnat du monde de Handfauteuil à 4 en Egypte fin octobre. De superbes perspectives auxquelles je rêve de participer… La concurrence est très forte dans l’équipe donc le travail et l’abnégation sont de rigueurs. C’est aussi la raison pour laquelle j’ai pris une disponibilité pour le prochain semestre (du 1er mai au 1er novembre) afin de mettre toutes les chances de mon coté ! »

Chloé  : «  Si tu devais donner un conseil au Pierre que tu étais il y a 10 ans, qu’est-ce que tu lui dirais ? »

Pierre  : «  Et bien, je pense que je lui dirais d’éviter de faire 2-3 bêtises ! Haha mais globalement je lui dirais de ne rien changer car les expériences passées font les personnes que nous sommes et aujourd’hui je suis très heureux et fi er du parcours accompli et de la personne que je suis devenue.

En tout cas je lui dirais d’avoir confiance, de foncer et que tout est possible ! »

Chloé  : «  Et si tu avais un conseil à donner à un étudiant en situation de handicap qui souhaite devenir médecin, qu’est-ce que tu lui dirais ? »

Pierre  : «  Et bien de la même façon, je lui dirais de ne pas douter, que les seuls obstacles sont dans la tête, et qu’il existe de multiples spécialités médicales dans lesquelles il pourrait s’épanouir (mais surtout en MPR !)  »

Interview réalisée par le
Dr Chloé PACTEAU

 

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Publié le 1709645512000