Interview : Marion AZOULAY psychiatrie légale

Publié le 25 May 2022 à 12:41


Faisant suite à notre numéro spécial consacré aux missions de la psychiatrie d’aujourd’hui et de demain, nous sommes allés poursuivre notre chemin dans le monde de la psychiatrie légale. Nous partons donc à la rencontre de Marion Azoulay, assistante spécialiste psychiatre à l’Unité pour Malades Difficiles (UMD) Henri Colin depuis un peu plus de deux ans. Elle a fait son externat et son internat à Paris, et elle a surtout fait partie du bureau de l’AFFEP pendant deux ans, comme trésorière puis comme vice-présidente. Enfin, elle a cofondé la revue du Psy Déchaîné avec le bureau de l’AFFEP en novembre 2010. Ce n’est donc pas sans émotions que nous sommes heureux de la relire dans ces pages. Un grand merci à elle  !

  • Quels sont les différents modes d’exercice de la psychiatrie médicolégale aujourd’hui ?
    Quand on pense à la psychiatrie médico-légale, on pense à tout ce qui est expertise. Il existe bien d’autres modes d’exercice, il y a les UMD où l’on prend soin des patients médico-légaux. On s’y occupe des patients qui ont commis des passages à l’acte criminels et des personnes placées sous mains de justice. On peut exercer en SMPR, en UHSA ou dans les établissements pénitentiaires où il existe des vacations de psychiatres lorsqu’il n’y a pas de SMPR, ou comme médecin coordinateur dans le cadre des obligations de soins. Dans les services de psychiatrie adulte, on peut être amené à suivre des patients irresponsables pénaux.
  • Comment devrait-on exercer la psychiatrie médico-légale demain selon toi ?
    Il existe des écueils à éviter compte tenu de la conjoncture actuelle. Il faut rester centré sur la clinique des patients et refuser d’endosser le rôle de défense sociale que nous impose la société qui aimerait que l’on fasse un diagnostic de dangerosité sur le long terme. Il faut éviter la criminalisation de la dangerosité. Dans les faits divers, depuis l’affaire Romain Dupuy, il y a une sur-médiatisation des passages à l’acte des patients psychiatriques. Un amalgame a été fait à partir de ce moment-là. Et l’image des fous dangereux a commencé à être véhiculée. En 2008, je venais de commencer mon internat et j’étais en stage à l’hôpital Erasme d’Antony. J’ai assisté au discours que Nicolas Sarkosy avait tenu dans la ville, discours plus que glaçant. Dans l’hôpital et puis après il y avait une sorte de sidération, parmi les soignants également. Le collectif des 39 s’est créé juste après en réaction à ce discours. Les choses se sont accélérées en 2008 avec l’affaire de Grenoble, par la suite il y a eu deux ou trois fuites de patients qui avaient fait la une des journaux. Cette stigmatisation des patients m’a interpellée et a marqué le début de mon internat.
  • Pourquoi et comment as-tu choisis de t’intéresser à cette spécialité ? Quelles formations conseilles-tu aux internes s’intéressant à la psychiatrie légale ?
    Je me suis intéressée à cette spécialité par hasard. Quand j’étais en 2e semestre, les deux CCA du service dans lequel j’étais m’avais parlé d’un DU de criminologie appliqué à l’expertise mentale de Paris-V. Je me suis dit que j’allais m’y inscrire avec une idée floue car je voulais avoir une pratique expertale. Je me disais que ça allait servir ma pratique quotidienne. En 1e semestre, j’étais au contact de patients en HO judiciaire, je savais que ces bases allaient me rendre service. Quand j’ai commencé ce DU, j’étais à nouveau dans un service de psychiatrie adulte. Pour mon mémoire, j’avais choisi un patient qui revenait d’un séjour en UMD après une tentative de parricide qui avait abouti à un fratricide. Dans le cadre de ce travail de mémoire, j’ai commencé à me documenter et à m’y intéresser de façon un peu plus générale. J’ai voulu ensuite faire un stage en UMD d’Henri Colin de Villejuif en me disant que cela augmenterait ma pratique pharmacologique et m’aiderait à traiter les patients pharmaco résistants. J’ai vraiment apprécié ce stage car il y avait vraiment une grande richesse sémiologique et clinique. J’ai apprécié d’avoir le temps de prendre en charge les patients même si 6 mois étaient finalement peu comparé à l’évolution clinique des patients. La création de l’alliance thérapeutique peut se faire plus facilement.
  • Quelles évolutions s’imposent à ton sens en psychiatrie légale ?
    En termes de formation, je pense qu’il faudrait que le DESC de psychiatrie légale se mette enfin en place. Le programme, les intervenants sont prêts. Il faudrait sensibiliser l’ensemble des internes à la psychiatrie légale. De manière plus générale, il faudrait repenser à l’expertise psychiatrique. Qu’on ne demande pas aux psychiatres de se prononcer sur tout et n’importe quoi. Il faudrait valoriser la formation des internes à l’expertise. On ne peut pas s’intéresser à quelque chose dont on ne connaît pas l’existence. On voit des experts qui prennent énormément de temps pour voir un patient. Qui n’hésitent pas à revoir les patients pour rédiger leurs expertises. Ca n’est pas le cas de tout le monde compte tenu de la rémunération. Cela nous arrive de questionner les équipes soignantes pour la rédaction de l’expertise. Une équipe en charge au quotidien est un bon indicateur. Je suis censée avoir la formation théorique avec mon DU mais je ne me sens pas d’attaque pour les expertises. Il faudrait s’affilier à un expert chevronné dès le début pour en arriver à la rédaction seule des expertises. Il faudrait développer la recherche en psychiatrie médico-légale, épidémiologique et clinique, peut-être que si l’on publiait plus, les internes auraient plus d’intérêt.
  • Quelle est ta vision de la formation des internes en psychiatrie, comment l’améliorer ?
    a des choses qui n’ont pas trop évolué, la formation reste très disparate d’une région à l’autre. Ça reste très hétérogène, tout ne doit pas être formalisé, c’est bien qu’il y ait des spécificités à droite à gauche. Je trouve ça bien qu’il y ait des internes motivés, qui organisent des formations, le Cinépsy se développe à Paris, le thème du CNIPsy de cette année me plaît beaucoup. Je pense que pour améliorer la formation théorique, il faudrait que l’enseignement ne se concentre pas sur l’aspect universitaire, l’enseignement devrait permettre aux internes d’être sensibilités à tous les pans de la psychiatrie. Je pense à la psychiatrie légale mais aussi à la psychiatrie médico-sociale ou à la psychiatrie libérale. Dans les séminaires facultatifs, on avait des séminaires spécialisés mais il fallait aller les chercher et avoir envie de les faire. Il faudrait un socle commun à tout le monde pour présenter tous les aspects de la psychiatrie. On devrait donner la parole à des psychiatres qui ne soient pas forcément universitaires pour venir présenter leur mode d’exercice (unité mère-bébé, la psychiatrie de liaison…). Au début de l’internat, il et possible de présenter toute la palette possible de type d’exercice de la psychiatrie. A mon sens, les internes ne doivent pas aller chercher l’info par eux-mêmes, ils doivent d’abord savoir que ça existe. Je pense que ce qui est important dans notre formation, c’est l’enseignement de l’histoire de la psychiatrie. On a encore des gens qui peuvent nous parler de la psychiatrie qu’ils ont connue. Ce ne sera pas toujours le cas.
  • Propos recueillis par
    Caroline WIETZEL

    Article paru dans la revue “Association Française Fédérative des Etudiants en Psychiatrie ” / AFFEP n°15

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