Interview : « J’essaie autant que possible que chacun ait son projet avec autant de latitude que nécessaire »

Publié le 11 Apr 2023 à 19:52

 

Evan Gouy est généticien médical, chef de clinique universitaire aux Hospices Civils de Lyon et coordinateur adjoint du Parcours Santé-Sciences de Lyon1. Très tôt, il s’est intéressé à la pédagogie et la gestion d’équipe jusqu’à suivre un master en sciences de l’éducation parallèlement à ses études de médecine. Il revient sur ses premières expériences de chef d’équipe et sur la nécessité de formation en management pour les internes.

ISNI.- Quelle fut la formation reçue en management au cours de vos études de médecine ?
Evan Gouy.- Je ne crois pas avoir reçu des enseignements en management de manière explicite. Il est possible que des enseignants en stage ou à la faculté l’aient fait de manière informelle mais je n’en ai pas de souvenir majeur. Par contre, j’ai appris beaucoup en observant les personnes qui m’entouraient à la fois en stage ou à la faculté. En pédagogie et sociologie on parle de « modèle de rôle implicite » : apprendre en étant témoin de comportements inspirants qu’on s’approprie ensuite. J’ai aussi appris de comportements que je ne veux surtout pas avoir… Aujourd’hui, j’essaie de demander à mes étudiants de me citer quelque chose qu’ils auraient fait différemment, en consultation par exemple.

Quelle fut votre première expérience en tant que chef d’équipe ?
E.G.- C’était en fi n de 2e année de médecine, j’étais coordinateur du Tutorat PACES Lyon Est pendant 1 an. J’avais une équipe de 120 personnes au total. Nous étions une dizaine de responsables en 3e année et tous les autres étudiants étaient en 2e année. C’est une expérience très particulière de « diriger » des personnes du même âge. À l’époque, j’étais perfectionniste, j’ai dû alors apprendre à faire confiance et à déléguer. Je garde toujours le souvenir aigre du départ d’une de mes co-responsables dès l’été : elle s’occupait du recrutement de l’équipe des 2e années. J’ai changé des choses contre son gré ce qui ne lui a pas plu. Depuis j’ai appris à accepter d’être moins dans le contrôle et que quelque chose puisse être très bien même si je l’aurais fait différemment. Hormis le Tutorat, j’ai appris beaucoup ensuite en étant assesseur étudiant au Doyen de ma faculté (appelé aussi Vice Doyen étudiant dans certaines facs). Avec les autres élus étudiants, nous avions décidé que ce rôle n’était pas celui de chef mais de voix pour l’équipe.

Avez-vous été inspiré par un « chef d’équipe » pendant vos études ?
E.G.- Pendant mon mandat d’assesseur étudiant, je me suis beaucoup inspiré de notre doyen, le Pr Jérôme Etienne qui m’avait expliqué sa façon de voir ainsi : il était un HU comme les autres, simplement choisi parmi ses pairs pour les représenter, « Primus inter pares » (premier parmi ses pairs) pour citer la locution latine. Il avait confiance dans les décisions prises au sein des commissions facultaires auxquelles ils n’avaient pas pu participer et les appliquait. De l’extérieur, ça mettait en valeur le travail de chacun. Si vous regardez sur internet les comparaisons « Leader vs boss » il était clairement dans la case « leader » !

Comment avez-vous appris à gérer une équipe ?
E.G.- J’essaie autant que possible que chacun ait son projet avec autant de latitude que nécessaire en gardant à l’esprit l’environnement dans lequel s’inscrit le projet : c’est à mon sens le rôle du « chef d’équipe » que de faire les liens adaptés. Pour être plus à l’aise, j’ai suivi en 2018 le MOOC Gestion de Projet de l’Ecole Centrale Lille (Dr Rémi Bachelet). Même si je n’applique pas tous les concepts au quotidien, cela m’a permis de consolider ce que je savais de façon empirique et de mieux structurer ma façon de faire : j’ai été particulièrement intéressé par l’animation de réunion et par les spécialisations sur la gestion de crise, le management d’équipe ou de la créativité. Par exemple, faire un brainstorming, ça s’apprend !

S’il fallait ajouter une formation en management pendant l’internat, que faudrait-il apprendre ?
E.G.- Difficile de choisir : Il y a beaucoup à apprendre. Pour citer 3 exemples : Le premier ce serait la gestion de réunions (préparation, animation, rédaction de comptes rendus utiles, validation et diffusion, liste de tâches avec répartition et suivi). Cela me semble essentiel tant elles s’additionnent dans la semaine d’un professionnel de santé. Un point important est la gestion par délégation : il est courant qu’un professionnel gère une réunion (par exemple une RCP) pour un « N+1 ». Il faut être capable de prendre sa place et de définir la latitude qui est donnée pour développer son fonctionnement par exemple. Le 2e point important c’est la coordination d’équipe : en tant qu’interne on se retrouve assez rapidement avec une autorité fonctionnelle (et non hiérarchique) pour d’autres professions en particulier paramédicales. Il est donc nécessaire de comprendre le rôle de chacun pour « profiter » adéquatement des compétences de tous. Le 3e point et le corollaire est la supervision clinique des étudiants. C’est ce qu’une personne peut déployer pour viser à développer les compétences d’une autre en contexte de soins. Cette posture est loin d’être innée et difficile à appliquer car la priorité reste le soin. Pour tout cela, je suis contre la formation coercitive et plutôt pour la mise à disposition de formations de qualité, accessibles facilement en autonomie. Ce qui n’empêche pas des formations spécifiques par la suite comme des DU.

Ce manque de formation en management pendant les études de médecine peut-il nuire à un épanouissement professionnel selon vous ?
E.G.- Oui clairement parce qu’on se rend compte du temps gagné et du stress évité quand on applique des méthodes éprouvées. Je pense que pour être bien managé, il faut être bon manager. Après malheureusement plus on en sait sur le sujet, plus on a envie de changer ses propres pratiques et ce n’est pas toujours possible : même avec toute la bonne volonté du monde, on reste soignant avant tout et cela prend du temps de changer. Il faut avancer doucement, petit pas par petit pas. J’ai bon espoir que les pratiques changent de façon fluide au bénéfice de tout le monde, j’ai déjà vu des évolutions énormes depuis mes premiers stages par exemple.

1. Evan Gouy est lui-même co-auteur du MOOC intitulé « BIG - Introduction à la BioInformatique et à la médecine Génomique

Article paru dans la revue « Le magazine de l’InterSyndicale Nationale des Internes »  / ISNI N° 30

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