Interview : Guadeloupe les internes dans la tempête Covid

Publié le 13 May 2022 à 18:32


Laureen Dahuron est en stage en Guadeloupe au CHU de Pointe à Pitre. En stage au laboratoire de microbiologie de mai à novembre, elle est aujourd’hui en hématologie avec des gardes aux urgences. Interne en 7e semestre en maladies infectieuses et tropicales, elle nous raconte la crise sanitaire et sociale.

Agressions, blocages des routes, menaces : les images de la crise sanitaire et sociale actuelle en Guadeloupe correspondent- elles à la réalité vécue sur le terrain ?
Laureen Dahuron.- Oui. Il y a encore des barrages devant l’hôpital [NDLR : au moment de l’interview le 15 janvier 2022]. Lundi encore j’étais dans une chambre d’un patient et j’entendais des bruits d’explosion à l’extérieur. C’était des pneus qui éclataient. La télévision, que regardait un patient, diffusait ces images de violences et de voitures calcinées. Cela correspondait à la fumée noire que l’on voyait de la fenêtre !

Les manifestants vous empêchent-ils toujours d’entrer à l’hôpital en sachant que vous êtes soignants ?
L.D.- Oui. La situation avant les fêtes de fin d’année a été particulièrement violente. Même les rues secondaires étaient bloquées. Sur certaines routes les soignants pouvaient passer à condition d’arborer un t-shirt blanc derrière le pare-brise. Les internes et les soignants qui habitent loin ne pouvaient plus venir. Certains internes restaient dormir à l’hôpital car les accès étaient bloqués de toute part et nous ne savions pas si nous pourrions revenir travailler. Parfois nos voitures restaient bloquées à l’intérieur de l’hôpital du fait de gravats déposés par les manifestants, ce qui nous empêchait de sortir y compris après une garde de 24 heures.. Quand on est face à un barrage, on ne dit pas que l’on est interne en médecine car la réaction des manifestants est pire. 

Avez-vous été victime ou témoin de violences ?
L.D.- Nous sommes parfois hués ou sifflés quand nous entrons à l’hôpital. Et si nous ne sommes pas directement visés, ce sont nos voitures qui en subissent les frais : pneus crevés, vitres cassées. La violence n’est pas que physique, elle est surtout psychologique. Nous venons avec inquiétude, sans compter toutes les autres difficultés que ces blocages entraînent pour notre quotidien et pour les patients.

Pouvez-vous nous donner des exemples concrets de ces autres difficultés que vous évoquez ?
L.D.- Ce sont des pénuries matérielles et un manque de moyens humains. Au niveau matériel, comme les routes étaient bloquées, nous n’avons pas pu avoir de chimiothérapie pendant plusieurs jours, du fait que le préparateur ne pouvait se rendre à l’hôpital. Nous avons aussi fait face à la grève de la lingerie et n’avons pas pu recevoir de draps propres pour les lits des patients. Sans linge de rechange, le bloc opératoire s’est arrêté plusieurs jours ! Le manque de personnel est dû aux blocages mais aussi aux arrêts maladie avec Omicron, aux grèves, sans compter ceux qui ont été suspendu car non vaccinés. Et cela concerne autant du personnel médical, paramédical que non médical. Avant et pendant les fêtes, nous nous sommes retrouvés sans cuisiniers au CHU ! Pendant plusieurs jours, les patients ont eu seulement de la soupe en brique et des compotes.

On manque aussi, de brancardiers, d’infirmiers, d’aides-soignantes. Si on manque de brancardiers, on brancarde, si on doit poser une sonde urinaire et qu’il manque un infirmier, on le fait aussi. On doit suppléer si on veut que l’hôpital continue de tourner malgré tout ! On gagne en autonomie !

Si les soignants ne peuvent pas venir travailler à cause de ces barrages et ces violences, qu’en est-il des patients ?
L.D.- Effectivement, les patients ont aussi des difficultés à accéder à l’hôpital ou ont peur de venir. C’est dramatique car certains patients en cours de chimiothérapie par exemple n’ont pas pu venir pour leur traitement ! D’autres, n’ont pas pu faire renouveler leur ordonnance et n’avaient plus de médicaments. On revoit certains de ces patients aux urgences avec une anémie à 3g/dL ! L’autre perte de chance est le refus de se faire vacciner, y compris pour des patients immunodéprimés, diabétiques et/ou en surpoids. La grande majorité des patients ne sont pas vaccinés. On passe des jours à essayer de les convaincre mais ils refusent toujours catégoriquement. Quand on apprend, par les collègues d’un autre service où ils ont été transférés qu’ils sont décédés, c’est un coup dur à chaque fois.

« Quand on est face à un barrage, on ne dit pas que l’on est interne »


Vue sur la ville de Pointe-à-Pitre
 

Quelle est l’ambiance au CHU ?
L.D.- Tout le monde est à bout : les internes et médecins mais aussi les infirmiers, les aides-soignants. Certains démissionnent, ils n’en peuvent plus. Il y a cette crise de la Covid qui dure, ce manque de moyens matériels et humains et ces violences qui se rajoutent. Heureusement, nous sommes très soudés. Pas seulement entre internes, mais tout le personnel soignant et paramédical. Nous avons aussi la chance d’avoir un directeur qui se bat pour l’hôpital1. Si le CHU de Pointe-à-Pitre tourne encore, cela repose sur le peu que nous sommes, le peu que nous avons, mais beaucoup de bonne volonté.

Cette crise sanitaire vous fait-elle changer d’opinion sur les Antilles ?
L.D.- Non ! J’adore les Antilles et mon internat ici ! Pour rien au monde je ne changerai de lieu pour effectuer mon internat.

« Tout le monde est à bout : les internes et médecins mais aussi les infirmiers, les aidessoignants. Certains démissionnent, ils n’en peuvent plus »

1. Le directeur du CHU de Pointe-à-Pitre, Gérard Cotellon, a été agressé physiquement le mardi 4 janvier par des militants anti-vax. Son adjoint, Cédric Zolezzi, a eu les vêtements arrachés lors de la même agression.

MOUNIR, PRÉSIDENT DU BIC, LE BUREAU DES INTERNES DES CARAÏBES
Depuis décembre 2021, Mounir Serag, interne en 5e semestre de biologie médicale, est le nouveau président du BIC. Après une implication en tant que vice-président à l’ISNI et en tant que vice-président du BIC, Mounir pilote une équipe « très impliquée et enthousiaste ». « Les stages aux Antilles offrent, de manière générale, plus d’autonomie qu’en France métropolitaine et une très bonne formation », souligne-t-il. D’ailleurs, l’attrait des Antilles est confirmé d’année en année, notamment la Guyane, très demandée lors des derniers choix locaux et par les internes en interCHU.  Face à la crise actuelle sanitaire et sociale aux Antilles-Guyane, le BIC soutient tous les internes en rappelant leur droit de retrait si les conditions garantissant leur sécurité ne sont pas réunies, et en rappelant le dispositif d’aide apporté par les psychologues de l’association Soins aux Professionnels de la Santé (SPS) à travers un numéro vert :
0 805 23 23 36 ou Asso.sps.fr

Pour en savoir plus sur un stage aux Caraïbes :
Bureau-internes-caraibes.org ou la page Facebook : Internes/Caraibes.

Article paru dans la revue “Le magazine de l’InterSyndicale Nationale des Internes” / ISNI N°28

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