Interview : Edouard COUTY

Publié le 31 May 2022 à 13:25


Conseiller maître honoraire à la Cour des Comptes Ancien DHOS

INPH Le Mag : Bonjour Edouard COUTY, vous êtes le Médiateur National pour l’amélioration de la qualité de vie au travail des professionnels de santé
Vous avez été nommé en janvier 2017 par Marisol Touraine, avec la mission de préfigurer l’organisation des médiations au niveau régional et national. Vous avez été, reconduit en août 2017 par la ministre Agnès Buzin avec la mission de créer un service de médiation nationale au service des 1,2 millions de personnels des hôpitaux dans le but de résoudre les conflits professionnels.

Edouard Couty, un service de médiation nationale : qu’est-ce ? Pour qui ? Avec quoi ? À quel horizon ?
En réalité, ce que m’a demandé madame Tourraine c’est de proposer un service de médiation pour les professionnels qui travaillent à l’hôpital public. Madame Buzyn qui a confirmé la mission m’a demandé de préfigurer et de mettre en place ce service. Cette fonction de médiation couvre un champ très large puisqu’il englobe l’hôpital public et l’ensemble des personnes qui y travaillent : médecins (quel que soit leur statut, y compris les PUPH) et non médecins (soignants, administratifs ou techniques), titulaires ou contractuels, professionnels ou étudiants (en médecine, en soins infirmiers, aides-soignants...) et le secteur médico-social. Cela représente plus d’un million de personnes.

Cette fonction doit être concertée puis créée et mise en application par un décret en conseil d’État. Outre la création de cette fonction, ce texte définira les règles d’organisation de la fonction de médiation. Le décret définira les modalités de saisine (qui peut saisir les médiateurs régionaux ou interrégionaux ? Dans quelles conditions ?). J’ai proposé (en me basant sur des modèles existant dans d’autres secteurs) que cette fonction s’exerce à plusieurs niveaux : niveau national, avec un médiateur national et niveau régional ou interrégional (il y aura au total 9 à 10 médiateurs).

Au niveau régional, seront mis en place les médiateurs régionaux et, auprès de chacun d’entre eux, une commission de médiation. La commission de médiation régionale assistera et accompagnera le médiateur régional dans son travail de médiation. Elle sera composée de professionnels hospitaliers (médecins hospitaliers, soignants, personnels techniques et administratifs, médecins du travail ou psychologues du travail), quelle que soit la catégorie professionnelle, la commission de médiation comportera des pairs.

Au niveau local, au sein de chaque hôpital ou groupement d’établissement est recommandé de créer des Commissions de Vie Hospitalière (CVH, cf. le chapitre « chroniques d’hôpital » de ce MAG) ou commissions de résolution ou prévention des conflits. Ces commissions, animées par des médecins volontaires réalisent de la conciliation en interne, pas de la médiation.

Ce niveau local préconisé par la ministre juste après la loi de janvier 2016 est de toute première importance et ce pour deux raisons. En premier lieu, la plupart des problèmes, difficultés ou conflits sont des conflits entre médecins et l’intervention de pairs permet une analyse éclairée des situations. En deuxième lieu, leur caractère local, in situ, permet une Conseiller maître honoraire à la Cour des Comptes Ancien DHOS INTERVIEW Edouard COUTY CONSTRUCTION ›››› Interview 36 Le MAG de l’INPH / AVRIL 2018 prise en charge précoce et dans mon expérience, plus une situation est gérée précocement, plus elle a de chances d’être résolue.

Les Commissions paritaires régionales sont des structures déjà en place depuis la loi de janvier 2016 elles constituent également des échelons locaux pour la conciliation (cf. Le MAG INPH 4).

INPH : Oui, mais dans la vraie vie, on peut s’interroger sur la véritable fonctionnalité des CPR…
Oui, certes. Il serait très intéressant de disposer d’un état des lieux faisant apparaître le nombre de CPR en fonctionnement et de dresser un bilan de leur action, particulièrement dans le domaine de la conciliation et de la résolution de conflits ou de litiges entre médecins dans les établissements hospitaliers.
(NDLR : Bilan INPH 2016 : Le MAG 9).

C’est seulement en cas d’échec des CVH et/ou des CPR que le médiateur régional pourra être saisi.
Cette organisation est prévue pour être fonctionnelle à l’horizon fin 2018, début 2019.

Pouvez-vous nous définir la fonction de médiation ?
Le médiateur n’est pas un juge, il n’a pas le pouvoir de sanction et ne peut déterminer qui a tort ou qui a raison.
La médiation est un processus différent qui consiste à écouter, observer le contexte et essayer de convaincre les parties de faire un pas l’une vers l’autre pour rechercher le compromis. C’est cela la médiation. Nous le traduirons par un contrat de médiation. Il y a un prérequis à la médiation : c’est que les parties soient d’accord pour s’engager dans ce processus. Si l’une des deux refuse, la médiation est tout simplement impossible. Ensuite, il convient de trouver des dispositions acceptables par tous et de les contractualiser (signature du contrat).

Pour moi, la difficulté vient du fait que la culture hospitalière actuelle n’est pas dans la médiation, dans la recherche de solutions contractuelles à des litiges ou conflits entre personnes mais plutôt dans l’affrontement, voire le règlement de comptes. Or, faire un pas en avant vers l’autre nécessite, outre le respect, de dépasser ce positionnement.

INPH : Certes mais plus qu’un règlement de compte, n’est-ce pas plutôt une réparation que demandent les médecins hospitaliers en souffrance dans un conflit ?
La seule réparation que puisse proposer le médiateur c’est celle qui touche à la souffrance au travail. Si la médiation permet de trouver des modalités d’organisation dans lesquelles chacun peut (re)commencer à travailler sans conflit ni crise interne à l’équipe, cela veut dire que de facto il existe de meilleures conditions de travail. Et tout le monde est gagnant, à commencer par le patient car les « bagarres » entre médecins (la très grande majorité des cas) qui durent trop longtemps sont évidemment préjudiciables à la qualité des soins et donc aux patients et à la qualité de vie au travail de toute l’équipe.
Mais conclure un contrat de médiation n’est malheureusement pas toujours possible car souvent les situations sont enkystées et la seule solution est la mobilité.

INPH : Une « exfiltration » qui touche essentiellement les « subordonnés ? »
Par forcément, car l’harceleur n’est pas toujours le supérieur hiérarchique et la limite entre harceleur et harcelé est ténue du fait d’intrications de réactions de défense bilatérales, ce qui ne facilite pas la tâche...

Quelle formation et quelle position pour les acteurs intervenant à ces divers niveaux ?
Pour les CVH
, je recommande de faire des séminaires de formation mêlant médecins et administratifs et animées par un formateur.

Ces séminaires doivent permettre également d’apprendre la conciliation, d’acquérir une bonne imprégnation de cette posture nouvelle dans le monde hospitalier, nouvelle car elle n’apparaît pas dans le cursus des études médicales. Donc il faut apprendre, et détecter le plus tôt possible les situations de conflit et enfin trouver et impliquer des pairs aidants.

l faut faire le distingo entre médiation et conciliation.

Le médiateur a des principes et des obligations dans sa fonction : indépendance, neutralité, confidentialité, impartialité. Nous allons construire une charte de médiation à l’intention des hôpitaux et énonçant ces principes et obligations.
Les niveaux locaux internes à l’hôpital (CVH) ou régionaux (CPR) ne peuvent garantir que ces principes soient respectés (comment garantir la neutralité, l’indépendance, l’impartialité quand qu’il s’agit de pairs avec lesquels on travaille éventuellement tous les jours ?). En interne et avec des pairs, seule la conciliation est possible, mais pas la médiation. Néanmoins, la conciliation peut poser les bases de la médiation.

Le médiateur régional, pour respecter ces principes notamment d’indépendance et de neutralité, ne doit pas avoir de lien hiérarchique ni avec l’ ARS ni avec l’hôpital... De fait, il sera nommé par le ministre de la Santé sur proposition du médiateur national. Et pour garantir l’impartialité (et donc écouter tout le monde), et la confidentialité (secret professionnel), les médiateurs régionaux auront une formation certifiante. Le programme et les objectifs pédagogiques sont finalisés. Le ministère mettra en place cette formation et les personnes pressenties pour être médiateurs régionaux seront formés et titulaires, dans un premier temps, d’un certificat de médiateur puis d’un DU.

Le réseau de médiateurs régionaux sera animé par le médiateur national.
Chaque année le médiateur national fera un rapport au ministre ; nous espérons le premier rapport de ce type pour fin 2019 début 2020. Ce rapport :
1) Fera le bilan de nos interventions en tentant de faire une typologie des secteurs ou des catégories qui ont été traitées ;
2) Fera des propositions à partir des cas d’espèce traités dans l’optique d’identifier ce qu’il faut faire évoluer et dans quel secteur ;
3) Mettra à disposition, à partir du bilan du réseau de médiateurs, une expérience partagée qui permettra de proposer des conseils aux établissements et notamment aux DRH pour améliorer le diagnostic précoce des situations conflictuelles, leur traitement et surtout leur prévention.

Les conflits et les RPS : selon vous, et à la lumière de votre expérience, pourquoi en parle-t-on d’avantage ?
S’agit-il d’un changement de la perception des situations et par cela même du seuil de tolérance ? D’un changement des conditions de travail ? D’un changement de management par changement du contexte (et notamment de la place de l’enjeu financier) ? Vous indiquez, dans un de vos entretiens, que les effectifs ont augmenté moins rapidement que l’activité (3,4 % versus 15 %).

Il s’agit d’un peu tout cela en fait. Un changement est effectivement en cours à l’hôpital car auparavant, c’était l’omerta totale : on se taisait parce qu’on était attaché à son travail, ou qu’on voulait faire carrière. Aujourd’hui les jeunes en général et les jeunes femmes en particulier n’acceptent plus le silence et la parole se libère. Je ne sais pas s’il y a plus de souffrance actuellement mais 1) on en parle et 2) on n’accepte plus.

INPH : Et 3) nous avons perdu la considération liée à notre fonction de médecin et cela diminue la tolérance à certaines situations qui auparavant étaient acceptées ?
Les conditions de travail ont changé. D’une part, les attentes des patients sont nouvelles et cela perturbe l’exercice médical. D’autre part, les attentes des soignants ont également changé : leur niveau de formation est élevé, tout comme leur niveau de qualification. En conséquence, leurs attentes vis-à-vis du management sont différentes ; ils peuvent être plus ou moins satisfaits ou déçus par le mode de management des services, des pôles ou de l’établissement.

Ajoutons à cela, en nous plaçant du point de vue de l’institution, la pression financière et budgetaire sur les professionnels : cette pression aussi peut amener de la souffrance.

Si on analyse l’ensemble des paramètres : 1) refus d’omerta, 2) inacceptation des situations jusqu’alors acceptées, 3) attentes nouvelles qui créent un contexte diffèrent interrogeant les pratiques professionnelles et les organisations de travail 4) pressions financières, cela aboutit sur le terrain à des pressions multiples qui peuvent engendrer au minimum des incompréhensions au pire de la souffrance au travail.

INPH : Finalement, cette émergence de la nécessaire sauvegarde individuelle, de la nécessité de survie, n’aboutit-elle pas ou ne s’associent-elle pas à la perte de la notion d’appartenir à un ensemble ? Or les médecins choisissent l’hôpital pour travailler en équipe, il y a là une perte de sens majeure. Nous nous sommes réveillés dans un monde hospitalier qui n’est plus celui pour lequel nous avons choisi de travailler à l’hôpital.
Oui il y a une perte de sens : il faut le reconnaitre et s’interroger sur les causes de ce phénomène ; le 2ème élément qui entre en ligne de compte, c’est que traditionnellement le sens d’appartenance au service, à l’hôpital a été perturbés par la gouvernance et les réorganisations dans les hôpitaux. Chacun doit prendre ses responsabilités : le chef de service, le chef de pôle ont leur responsabilité dans la prévention et la gestion des conflits. Il est essentiel de s’interroger soi-même et de se questionner sur son management, à tous les niveaux. Car en matière de management, il y a un partage des responsabilités.

Quelle est votre expérience après un an d’exercice à ces fonctions ? et notamment que vous vous donne-t-elle à penser du management médical ?
Pour moi, le management marche sur deux jambes : 1) il faut maîtriser les outils de management (ressources humaines, outils financiers etc.) 2) il faut bien mesurer l’importance de la qualité des relations humaines comme l’écoute, l’empathie, …

Il s’agit là d’un aspect fondamental : une équipe c’est un ensemble de personnes qui ne sont pas faites forcément pour s’entendre, mais le chef d’équipe peut réussir à conduire l’équipe s’il possède des valeurs comme le respect et la responsabilité sur lesquelles baser les relations qu’il va établir et développer au sein de l’équipe. Ces valeurs on les a ou on ne les a pas. Or, elles sont nécessaires à tous les niveaux. Si des situations conflictuelles éclatent et si la gouvernance « laisse pourrir », cela peut engendrer des dysfonctionnements plus nombreux dans l’établissement. C’est pour cela qu’il ne faut pas laisser les situations se pérenniser.

Pour les managers, il est souvent difficile de dissocier la fonction de la personne et souvent les critiques liées à la fonction sont reçues comme des agressions personnelles. La compréhension mutuelle est importante. Si on n’est pas capable de se poser la question du pourquoi du comportement de l’autre et que de surcroît on personnalise les rapports fonctionnels en y introduisant un excès d’affect, cela peut avoir des conséquences très délétères... Quand les échanges en arrivent à être outranciers, il est difficile de maintenir la distance, c’est épuisant, puisqu’on le prend pour soi. Ne nous méprenons pas : la souffrance des directeurs d’hôpital est la même que celle des médecins.

On a essayé toutes sortes de modes de management, mais ma conviction, à la lumière de mon expérience, est qu’il faut privilégier un par la gouvernance et les réorganisations dans les hôpitaux. Chacun doit prendre ses responsabilités : le chef de service, le chef de pôle ont leur responsabilité dans la prévention et la gestion des conflits. Il est essentiel de s’interroger soi-même et de se questionner sur son management, à tous les niveaux. Car en matière de management, il y a un partage des responsabilités. CONSTRUCTION ›››› Interview www.inph.org 39 mode de management plus participatif fondé sur des valeurs, les valeurs du service public hospitalier. Il faut mettre en place un mode de fonctionnement qui tende à responsabiliser tous les membres de l’équipe par le partage du projet et des tâches. Il ne faut pas oublier que l’on a affaire à des personnes extrêmes qualifiées et qui a priori sont capables de comprendre quelles responsabilités professionnelles elles ont.

Mais on peut se demander s’il n’existe pas parfois un refus de savoir quelle est la place et donc la responsabilité de chacun ? Par essence, la construction professionnelle est individualiste (en arguant du colloque singulier avec le patient). Mais la pratique médicale d’aujourd’hui est pluridisciplinaire, interdisciplinaire, et même interprofessionnelle, de même le management d’équipe exige la vision d’un collectif.

Nous touchons là au problème de la formation initiale et du DPC des professionnels de santé en particulier des médecins : il devrait y avoir une formation au travail en groupe, à la gestion et à la prévention des conflits. Pour toute personne choisissant la carrière hospitalière, il devrait exister cette formation au fonctionnement de l’institution, ainsi qu’une formation en sciences humaines qui n’existe pas dans les maquettes de la formation initiale.

On dit partout que tout ce qui prime c’est l’approche humaine et parallèlement, les médecins sont formés en priorisant des sciences dures avec une insuffisance de formation en sciences humaines et sociales. Cependant, dans le cadre de mes fonctions, je ne vois pas les trains qui arrivent à l’heure qui sont certainement le plus grand nombre. Mais enfin, il serait logique d’avoir une formation à la relation à l’autre, une petite teinture de sociologie des organisations, des notions d’anthropologie des professions de santé, de philosophie ou de psychologie qui font appel à un certain nombre de valeurs, et qui apporteraient un minimum de connaissance de l’organisation de l’institution.

Ce numéro de l’INPH MAG est consacré à la démocratie. Dans une démocratie, on compte trois pouvoirs : le législatif, l’exécutif ou le juridique : où vous situez-vous ?
Le médiateur essaie de régler les problèmes concrets qui sont des conflits entre personnes ou avec l’institution. Nous ne sommes aucun des 3 pouvoirs et surtout pas le juridique.
Mais nous pouvons être une force de proposition vis-à-vis du gouvernement et donc de l’exécutif, pour dire quelles sont les évolutions qui nous paraissent souhaitables.
Mon ambition c’est de faire bouger la pratique actuelle qui émane de la culture profonde de l’hôpital basée sur l’affrontement pour aller vers d’autres pratiques s’appuyant sur une culture de management participatif.

INPH Mag : Mais vous admettrez qu’avec la place actuelle des médecins dans la gouvernance de l’hôpital, la défiance vis-à-vis des directeurs d’hôpitaux n’est pas prête de s’éteindre ?
Mais les médecins sont impliqués dans la gouvernance par la CME et les chefs de pôle !

INPH Mag : ils ne sont pas impliqués, on fait semblent de les impliquer, ou du moins ils le vivent comme cela, ils servent d’alibi.
Oui c’est possible, mais il faut qu’ils prennent leurs responsabilités ; je considère que rester dans le schéma du combat médecins contre les directeurs d‘hôpitaux, c’est une erreur monstrueuse, c’est une démarche suicidaire, si on continue ainsi, on amène l’hôpital dans le mur, on nuit au service public hospitalier, a ses missions au service de l’ensemble des citoyens. Chacun doit prendre ses responsabilités.

Une phrase de conclusion ?
Je plaide pour une éthique du management fondée sur les valeurs du service public hospitalier et j’essaie de contribuer, à mon niveau, à la promotion de ces valeurs et d’un mode de management participatif. Je pense que la médiation participe de ce mouvement.

Article paru dans la revue « Intersyndicat National Des Praticiens D’exercice Hospitalier Et Hospitalo-Universitaire.» / INPH n°12

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