Interview du Pr Sébastien THUREAU

Publié le 22 Jun 2023 à 17:51

 

Récemment nommé Professeur des Universités Praticien Hospitaliser au Centre Henri Becquerel à Rouen, pourriez-vous nous parler de votre parcours et de ses moments-clés ?
J’ai fait un externat à Angers. Je suis venu à Rouen pour choisir une ville qui me permettait de faire cancérologie et permettait à ma femme de faire médecine légale. J’ai fait 5 ans d’internat en radiothérapie que j’ai prolongé par une médaille d’or me permettant d’obtenir un M2. Ensuite, j’ai poursuivi par un clinicat partagé entre la médecine nucléaire et la radiothérapie pour mettre en adéquation l’expertise scientifique que j’étais en train de développer d’un point de vue de recherche et l’expertise clinique. À la fi n de mon clinicat, j’ai eu un poste de praticien en radiothérapie au Centre Henri Becquerel tout en gardant une activité clinique de médecine nucléaire avec une vacation d’interprétation TEP-TDM par semaine.
En parallèle de mon clinicat et sur le début de mon poste de praticien, j’ai réalisé une thèse de science sur la place de l’imagerie fonctionnelle dans le cancer du poumon et je suis devenu membre chercheur de l’équipe Quant IF. Les choses ont suivi naturellement avec un poste universitaire plutôt fléché. Bernard Dubray, l’universitaire dans la ville où j’étais, partait à la retraite à un âge concordant avec mon arrivée. Donc 18 mois après la thèse de science, j’ai va-lidé une HDR pour être nommé PUPH en 2022.

Vous exercez en parallèle une activité en médecine nucléaire, présente dans votre parcours de recherche également. Pourquoi un tel choix ? En quoi consiste cette activité ? Que vous apporte-t-elle au quotidien ?
C’est le hasard de la vie. Quand je suis arrivé à Rouen, je n’avais aucun a priori sur ma volonté de m’impliquer en recherche et de m’intéresser à la médecine nucléaire. Quand j’ai souhaité réaliser un M2 puis une thèse de science, je me suis adressé à l’équipe Quant IF dans laquelle il y avait le Pr Dubray et le Pr Vera, PUPH en médecine nucléaire dont l’un des thèmes de recherche principal est la place de l’imagerie fonctionnelle en radiothérapie. Quand je suis devenu chef de clinique il manquait un chef de clinique dans les départements de radiothérapie et de médecine nucléaire ; on m’a alors proposé un poste mixte entre les deux départements, ce que j’ai accepté. Je n’ai pas de double DES et je n’ai notamment pas fait les formations de Saclay comme tous les internes de médecine nucléaire. Mais je poursuis une activité d’interprétation clinique de TEP-TDM de façon hebdomadaire. Mon expertise en médecine nucléaire est beaucoup moins large que celle des médecins nucléaires (scintigraphie osseuse, cardiaque, cancer thyroïdien..) et reste limitée à la TEP.
Ça m’apporte une meilleure connaissance en médecine nucléaire car je suis obligé de continuer à m’y former et à m’adapter aux nouveaux traceurs. C’est également un lien fort entre nos deux départements pour développer la place de l’imagerie fonctionnelle pour la planification de la radiothérapie. Parfois, je me dis qu’il faudrait que j’arrête cette activité car ça me rajoute 10 % d’activité clinique par rapport à l’activité classique d’un praticien. Mais je pense que je perdrai une spécificité importante de mon activité clinique, et mon expertise en recherche clinique et translationnelle dans ce domaine.

Ce parcours est assez atypique, au sens positif du terme, cette singularité pourrait-elle être reproduite ?
Je ne sais pas car il n’est pas possible d’avoir en France un double DES. Mais il est vrai que c’est pour moi une opportunité importante. Il sera plus simple dans les années à venir de changer de DES mais à ma connaissance c’est un changement et non une double spécialité. Un médecin nucléaire de ma génération est par exemple actuellement en train de se former pour devenir radiologue.

Êtes-vous un cas unique ?
Je pense en tant qu’activité d’interprétation d’examens que je suis le seul effectivement.

Comment vous inspirez-vous de l’un de l’autre ?
Quand on voit nos patients en surveillance, on s’interroge parfois sur la raison qui fait que certains patients répondent aux traitements et d’autres pas. Je pense que l’imagerie pré-thérapeutique peut être une clé à cette réponse et je crois beaucoup en la personnalisation des traitements par l’imagerie.
Le meilleur exemple reste les traceurs de l’hypoxie. Je suis extrêmement frappé aujourd’hui que l’on continue à traiter pareillement un patient qui a une tumeur hypoxique et un patient qui a une tumeur normoxique. On modifie le traitement des patients avec des médicaments dont les bénéfices sont parfois ténus alors qu’aujourd’hui nous avons à disposition des examens d’imagerie qui nous permettraient de proposer des traitements personnalisés selon les risques de récidive. Malheureusement leurs développements restent très académiques et il n’existe pas la force des laboratoires pharmaceutiques pour développer ces traceurs et obtenir une AMM afin d’être largement utilisé.
J’espère qu’avoir cette double valence me permet d’avoir un caractère plus critique sur notre métier et sur la médecine nucléaire également avec un point de vue plus oncologique à apporter. Pour être un bon spécialiste de l’imagerie, il est important de comprendre les traitements réalisés. Une bonne expertise de l’imagerie est également devenue indispensable pour un oncoradiothérapeute afin de mieux définir les volumes cibles.

En tant que membre de nombreuses sociétés savantes et ancien président de la SFjRO, quels conseils pourriez-vous donner aux jeunes radiothérapeutes quant à leur formation et à l’enseignement aujourd’hui ?
Je crois que l’on peut tous être fi ers de l’organisation de l’enseignement et de notre société savante. Je suis heureux d’avoir été président de la SFjRO qui joue un rôle primordial dans la formation des internes. C’est une expérience assez extraordinaire, essentiellement humainement qui nous permet de tisser des liens importants avec d’autres jeunes de différentes villes, liens qui resteront par la suite. J’inciterais tous les jeunes à essayer tant que possible de s’impliquer dans la formation parce qu’au bout du compte le moment où tu apprends le plus c’est le moment où tu enseignes car c’est le moment où tu remets en cause tes convictions et tu réfléchis aux justifications de tes choix thérapeutiques.
Impliquez-vous dans la formation et dans la SFjRO. C’est une opportunité assez extraordinaire de réfléchir à quel impact on peut avoir en tant que praticien et enseignant. Il est important de pouvoir diffuser les bonnes pratiques à tous et notamment aux plus jeunes.
J’inciterai aussi les plus vieux c’est-à-dire les chefs de clinique à s’impliquer dans les groupes de recherche comme le groupe UNITRAD qui est un groupe de recherche clinique et translationnelle en radiothérapie et est coordonné par le Dr Sofia Rivera mais également dans les intergroupes d’organe comme le GETUG, le GORTEC ou l’IFCT... En étant présents dans ces groupes, cela peut être une opportunité de s’associer à des aînés et de s’inspirer d’eux pour pouvoir porter soi-même des projets de recherche par la suite.

En quelques mots, pourriez-vous nous présenter le GEMO « Groupe Européen d’Étude des Métastases Osseuses » créé en 2005 dont vous êtes secrétaire ?
Le GEMO a longtemps été porté par Jean-Jacques Body qui est Professeur de rhumatologie en Belgique et a beaucoup travaillé sur la place des biphosphonates en oncologie. Aujourd’hui, le Dr MH Vieillard, oncorhumatologue à Lille préside ce groupe et réalise un énorme travail. Il s’agit d’une relative petite société savante transdisciplinaire. Ceci est à la fois sa force et sa complexité. Le GEMO s’intéresse tant aux résultats de la recherche fondamentale qu’à ceux de la recherche translationnelle ou clinique et s’adresse aux rhumatologues, oncologues médicaux, onco-radiothérapeutes, radiologues, médecins nucléaires et chirurgiens mais également aux biologistes et aux chercheurs. Il y a un nombre très important de spécialités associées, cela permet des discussions extrêmement riches au bout du compte. En clinique, la prise en charge des métastases osseuses peut être liée aux traitements disponibles localement (chirurgie, radiologie interventionnelle, stéréotaxie rachidienne...) avec de nombreuses techniques parfois inconnues de nos confrères, le GEMO permet de diffuser les expertises et les techniques existantes. La SFjRO sera justement partenaire de la prochaine journée du GEMO qui aura lieu le 24 novembre à Lille, l’inscription sera gratuite pour les internes.

Quels sont vos domaines de recherche actuels ?
Mes deux thèmes principaux actuels sont l’imagerie en recherche translationnelle et des essais de stratégie thérapeutique en recherche clinique notamment dans le contexte oligométastatique. En recherche translationnelle, je m’intéresse à la place de l’imagerie TEP et IRM dans la prise en charge des cancers du poumon et ORL. L’objectif est de personnaliser les traitements grâce aux données de l’imagerie afin de prédire les patients et/ou les volumes à risque de récidives. Dans ce contexte, je me suis beaucoup intéressé à l’imagerie de l’hypoxie en TEP/TDM.
En recherche clinique, je coordonne pour le groupe UNITRAD le PHRC STEREO OS, qui cherche à définir la place de la radiothérapie stéréotaxique osseuse chez les patients oligométastatiques.
Je vais coordonner avec le Pr Guisier, oncopneumologue à Rouen, pour le GFPC, un essai de phase II sur l’oligoprogression chez les patients suivis pour un cancer bronchique sous immunothérapie ou sous chimio-immunothérapie. J’ai 2 lettres d’intention au PHRC acceptées. Un concerne la radiothérapie dans les cancers ORL oropharyngés localement avancés afin de limiter les volumes cibles ganglionnaires. Il s’agit de porter la partie française d’un essai international. Le second est un essai de stratégie dans le cancer du poumon localement avancé. Dans ces deux derniers cas, il s’agit de projets à venir sous réserve de financement.

Comment décririez-vous la place actuelle de la radiothérapie en conditions stéréotaxiques des métastases osseuses ? Qu’en est-il du suivi des patients à moyen et long terme ?
Je crois qu’aujourd’hui, plus selon ma vision de clinicien que de chercheur, la radiothérapie en conditions stéréotaxiques doit rester cantonnée aux indications initiales de réirradiation, de patients oligométastatiques ou de lésions radiorésistantes. Elle est en train de se développer de plus en plus car elle permet un meilleur contrôle local ainsi qu’un meilleur contrôle de la douleur. Pour autant, elle est assez chronophage à mettre en place notamment en cas de radiothérapie rachidienne avec la nécessité d’une IRM si possible dédiée. Dans ce contexte, il semble difficile de réaliser de la stéréotaxie osseuse à tous les patients même si les derniers essais laissent penser qu’elle est supérieure à la radiothérapie conventionnelle sur l’efficacité antalgique (Saghal, Lancet Oncol, 2021). Dans tous les cas, il est nécessaire de faire très attention au repositionnement du patient, notamment les angulations du rachis qui ne sont pas toujours simples à reproduire entre les différentes imageries (IRM de mise en place, scanner de mise en place, CBCT per traitement).
Sur le caractère oligométastatique, il faut continuer à inclure les patients dans les essais. On n’a pas encore toutes les réponses sur qui doit vraiment bénéficier de la stéréotaxie. Pour l’évaluation, le RECIST n’est pas adapté, j’associe facilement TEP et IRM dans le suivi des patients.

Au quotidien, il n’est pas forcément simple d’associer l’IRM au TEP, le suivi est plutôt basé sur la TEP, qu’en pensez-vous ?
Il n’y a pas de réponse unanime, on ne surveille pas pareillement les patients selon le type de primitif. Dans STEREO OS, l’IRM est obligatoire dans le suivi des patients comme cela était également le cas dans d’autres études s’intéressant à la stéréotaxie osseuse. En clinique, il est parfois difficile de multiplier les examens et la TEP au FDG qui permet d’évaluer dans un même temps l’évolutivité viscérale et osseuse a toute sa place. Cependant, le FDG n’est pas le meilleur traceur afin d’analyser la réponse osseuse et il peut être intéressant d’associer une TEMP TDM au Technetium. En cas de doute, il faut rester vigilant et demander une IRM qui est un examen très sensible.

Quel avenir prédisez-vous à la stéréotaxie dans le cadre de la prise en charge des métastases osseuses ?
La radiothérapie stéréotaxique doit actuellement être réservée aux indications reconnues comme les réirradiations ou la maladie oligométastatique. Il est vrai que le taux de contrôle local en radiothérapie conventionnelle est faible, mais est-ce toujours notre objectif ? Il ne faut pas oublier que l’efficacité antalgique est satisfaisante en cas de radiothérapie conventionnelle. De plus, il est probablement difficile de généraliser la radiothérapie stéréotaxique à toutes les indications de radiothérapie osseuse pour des questions tant d’accès à l’IRM, que de temps de contourage ou de temps de machine.
Dans le cadre d’une radiothérapie conventionnelle, il faudrait redéfinir les volumes cibles dont les consensus proviennent du temps de la radiothérapie bidimensionnelle qui avait une capacité de définition du volume cible et une précision de repositionnement très limitée. Il est possible de réaliser une radiothérapie antalgique avec des techniques conformationnelles ou en modulation d’intensité permettant de limiter la dose aux organes à risque. Dans le contexte actuel, le taux de réirradiation est de plus en plus important et cette épargne des organes à risque mais également des volumes cibles devient indispensable. En parallèle, l’importance du contrôle local sera de plus en plus primordial chez des patients longs survivants et la radiothérapie stéréotaxique est alors le traitement de référence. Dans tous les cas, il est important de proposer un traitement adapté et de mettre en place des techniques afin d’optimiser ceux-ci (modulation d’intensité, CBCT de repositionnement...).

Vous avez une carrière riche ainsi qu’une vie personnelle bien fournie, comment trouvez-vous votre équilibre avec toutes les obligations que cela représente sur les deux plans ?
L’humilité est de dire que l’on ne trouve pas toujours cet équilibre. Quand on est jeune universitaire, la place de la vie professionnelle est importante au détriment de la vie personnelle. Cela peut impacter notre vie au quotidien en travaillant régulièrement très tard ou très tôt dans la journée. J’avoue apprécier ce temps de travail à des heures décalées car il se fait au calme et sans interruption de tâche.
Je ne considère pas que ce temps de travail important soit un sacrifice car j’ai la chance d’être intéressé par mon travail. Cette charge de travail ne me pèse pas au quotidien et cela ne me pose pas de problème de partir en congés avec de nombreux objectifs de travail, je dois juste m’organiser pour partir avec mon ordinateur, mon téléphone, avoir une connexion internet et du café...
Il est important de prendre conscience que si l’on accepte cette charge de travail, on ne peut pas l’imposer aux autres. C’est d’autant plus vrai avec un statut universitaire afin de ne pas mettre une pression trop importante tant psychologique qu’en charge de travail envers les internes qui sont sous notre responsabilité. J’essaie d’y faire attention mais je ne suis pas sûr que les internes aient le même point de vue.

Propos recueillis par


Dr Alizée CAMPS MALÉA
Docteur Junior, Tours

Contact : [email protected]


Dr Vincent BOURBONNE
Chef de clinique

Service de Radiothérapie, CHU Brest
Pas de liens d’intérêt

Article paru dans la revue « Le magazine de la Société Française des Jeunes Radiothérapeutes Oncologues » / SFJRO N°04

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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