Interview Du Pr Jean-Paul Beregi

Publié le 16 May 2022 à 14:06


Candidat à la présidence du CERF

Bonjour Professeur, pouvez-vous nous faire une rapide présentation du CERF pour nos plus jeunes collègues ?
Le Collège des Enseignants de Radiologie de France regroupe tous les professeurs et maîtres de conférence en radiologie. Nous sommes plus de 200 actifs en France. Avec les membres associés (une majorité de radiologues impliqués dans la recherche et/ ou l’enseignement) et correspondants (des radiologues étrangers), nous sommes plus de 350 membres actifs. Le collège est constitué d’un bureau de 16 membres élu tous les 3 ans par les pairs. Ce bureau, conduit par un président, vice-président, secrétaire général et trésorier, a pour mission l’enseignement et la recherche en radiologie et en imagerie médicale. Il se réunit toutes les 6 semaines et le Président de l’UNIR est invité systématiquement, bien sûr.

Avec les réformes actuelles du R1C, R2C et R3C, le collège a été et est toujours très sollicité pour représenter notre spécialité dans les différentes commissions établissant les programmes (connaissances et compétences), les examens et évaluations. A côté de ce rôle de représentation et de propositions, le Collège édite des supports de cours en papier ou en ligne pour les étudiants. Il réfléchit aux métiers de demain du radiologue, intègre les innovations comme l’informatique, les statistiques, accompagne la croissance de la radiologie interventionnelle. Un effort particulier est porté sur les relations avec les patients et les demandeurs d’examens car le rôle médical et soignant de notre spécialité doit continuer à se développer.

Les actions recherche sont d’aider les centres radiologiques à promouvoir des travaux multicentriques, à épauler dans l’obtention des autorisations éthiques de recherche avec un numéro IRB, à promouvoir et à aider aux financements des Master 1 et 2 et des thèses d’université et des mobilités universitaires. Chaque année nous sélectionnons les travaux des jeunes radiologues en formation pour leur permettre de participer à des congrès internationaux.

Le CERF a plus de 50 ans. Il est né de la volonté d’organiser la recherche et l’enseignement de la radiologie en France en s’entraidant entre universitaires. Les bureaux successifs ont permis d’adapter le fonctionnement de l’association aux demandes. Je dois rendre hommage à tous ceux qui ont contribué à faire du CERF ce qu’il est aujourd’hui, des fondateurs jusqu’ aux membres des derniers bureaux qui se sont dévoués corps et âmes dans des actions multiples au profit de la communauté. Les liens forts avec la SFR ont été renforcés et la représentation dans notre Collège National Professionnel (CNP / G4 de Radiologie) permet une vision nationale. Le CERF doit continuer à innover tant dans son fonctionnement que dans ses actions au profit des étudiants, des membres et de la communauté radiologique. Je rends hommage spécialement au président actuel, connu pour son dynamisme et sa fougue qui ont permis que notre spécialité soit bien représentée au sein des réformes actuelles ainsi qu’à tous les membres du bureau actuel qui malgré des journées très studieuses ont su apporter qualité et convivialité.

Pouvez-vous nous faire un point sur les problématiques principales sur lesquelles vous comptez vous pencher pendant votre mandat ?
Poser la question des problématiques implique déjà de reconnaître que certains sujets posent des questions embarrassantes. Selon moi il est préférable de regarder les opportunités face à des changements nécessaires. La vie est faite de renouveau et le propre de la radiologie est de savoir s’y adapter. Nous avons une spécialité des plus innovantes tant sur le plan diagnostic que thérapeutique. A cette fin, nous sommes devenus des spécialistes de l’adaptation perpétuelle dans la prise en soins des patients ou citoyens (radiologie préventive, prédictive, personnalisée). Parmi les nombreux sujets à traiter, je souhaite pouvoir avancer sur :

  • L’« image » de la radiologie (sans jeu de mot mal placé). La spécialité est souvent mal comprise et certains aimeraient nous limiter à un rôle de prestataire. Cette jalousie, présente depuis que les Rayons X ont été découverts, prend parfois des aspects extrêmes comme vouloir nous remplacer par des robots ou algorithmes. Cela pose donc la question de la vision de ce que la radiologie de demain doit être, de ses missions, de son rôle. La place du patient est au centre de notre spécialité car c’est avec lui que nous devons travailler et offrir ce dont il a besoin. Mon premier devoir sera de former les jeunes médecins à la radiologie du futur qui sera encore plus présente dans les pratiques, avec encore davantage d’indications pertinentes et qui sera de plus en plus précise et personnalisée. L’enseignement devra se consacrer à former les radiologues à prendre en compte un monde qui bouge avec une offre de proximité mais aussi digitale. Nous effectuons des consultations basées sur la radiologie ou des interventions guidées par l’image. Nous ne sommes pas des techniciens mais des médecins, des soignants au service des patients. La radiologie évoluera vers une radiologie de proximité mais aussi une radiologie centralisée de territoire régional (voire nationale) dont l’enjeu sera de fonctionner avec ce territoire pour lui apporter aide et optimisation des pratiques.
  • La formation et le nombre de radiologues. Si aujourd’hui nous sommes limités en France à 250 internes par an, nous constatons tous les jours la nécessité de faire appel à des médecins étrangers pour assurer la couverture des besoins. Augmenter le nombre de radiologues issus de l’ECN est une priorité et nous avons les compétences médicales, les terrains de stages et la volonté de le faire. Nous devons nous ouvrir à l’international avec des formations en lien avec les facultés et universités étrangères. A cette fin, je souhaite proposer une école en ligne pour tous ceux qui s’intéressent à notre spécialité, médecins étrangers ou personnes dont les métiers sont en coopération avec nous, afin de développer l’enseignement initial. Ce développement doit être en lien avec nos universités et les offres de formation continue de la profession comme le C-FIM porté par la SFR.
  • La qualité du travail accompli. Le travail sera demain un travail d’équipe sur un territoire donné que ce soit en proximité ou dans des centres dits d’excellence. Le cabinet de radiologie avec un radiologue isolé est devenu l’exception et la qualité attendue par les patients est devenue telle que le regroupement est la seule issue. La Permanence Des Soins est à organiser bien sûr, mais aussi la radiologie interventionnelle pour les groupes sur leur territoire. L’accréditation des équipes de radiologues est un programme de gestion des risques, soutenu par l’ODPC-RIM, qui permet aux radiologues de s’inscrire dans une démarche volontaire d’amélioration des pratiques et de gestion du risque. Cette démarche est nécessaire, démontrant le fort engagement de nos équipes non pas seulement dans la productivité mais bien dans l’efficience et la proximité. En priorité, cet engagement dans la qualité doit conduire nos actions, et la formation des étudiants sera renforcée afin d’assurer des actes conformes aux bons usages et pratiques.
  • La recherche et l’innovation nationale et internationale. Ensemble, nous devons poursuivre les études multicentriques, les méthodes d’échange et partage tout en veillant à la pertinence et au bon usage. Le CERF mettra tout en oeuvre pour aider les progrès dans la spécialité. Ces progrès passent par 3 axes principaux : (1) les modalités de radiologie et d’imagerie médicale, (2) l’informatique, le digital et ses ancillaires, (3) l’organisation des soins et l’approche de notre métier pour le patient et/ou le citoyen. Nous devons être présent sur ces 3 axes même si le traitement statistique de nos données par des solutions statistiques informatiques, que certains dénomment « intelligence artificielle », est aujourd’hui poussée par les médias comme étant notre seul avenir. Dans ce domaine, la constitution de base de données communes et/ou d’entrepôts de données permettront à la spécialité d’offrir des possibilités de recherche, de garantie de bonnes pratiques, de validation de fonctionnements pour améliorer le travail des radiologues, des manipulateurs et des soins d’une manière générale. Nous devons nous approprier ces technologies pour mieux les utiliser car nous en avons besoin. Qui sait analyser autant d’images par examen d’imagerie en coupe avec un rythme effréné de jour comme de nuit, en cabinet, en CH ou au CHU avec la même qualité quel que soit le patient, la spécialité, la question posée, la pathologie, ...
  • La recherche est à la fois académique mais aussi industrielle. Je m’efforcerai de renforcer les liens avec les unités de recherche, INSERM, CNRS, EA, FLI, … mais aussi avec les industriels et start-ups. Le CERF proposera un soutien méthodologique pour des études multicentriques, des évaluations de produits ou de pratiques, des enquêtes, … A côté du CERIM qui est notre comité éthique pour la recherche en imagerie médicale, je souhaite développer une offre de partenariat ou de sous-traitance de notre savoir-faire pour accélérer la recherche et l’innovation en radiologie et imagerie médicale.

    Pour les étudiants nous continuerons les efforts portés sur l’initiation à la recherche, l’écriture d’articles scientifiques et la méthodologie.

    Y a-t-il d'éventuels projets pour les 1er et 2ème cycles des études de médecines, les relations avec les autres spécialités médicales et chirurgicales, les manipulateurs d'électroradiologie ?
    Le monde de la Médecine forme des individualistes ! Nous sommes formés pour être le meilleur tout seul. PACES, ECN, tous les examens sont des examens que vous passez seul. Aucun travail de groupe ne vous ait demandé pendant vos études. Demander à quelqu’un, c’est un aveu de faiblesse. Travailler ensemble, vous l’avez peu appris et de suite la compétition entre personnes devient compétition entre spécialités et crée des rapports de force.

    Je me permets une parenthèse : Demander un examen de radiologie place le demandeur en situation d’aveu d’infériorité car il a besoin de vous pour progresser dans son diagnostic et dans sa prise en charge du patient. La demande d’examen de radiologie est parfois vécue comme une aventure déplaisante voire ingrate. De plus, les demandes sont souvent discutées, parfois même refusées. On entre alors dans une situation de tension avec « négociation », concertation de l’examen recherché. Le radiologue est surnommé Mr « NON ». Nous devons tout faire pour combattre cette « caricature » dépassée mais encore présente dans l’esprit de certains de nos correspondants. Si le demandeur n’est pas qu’un prescripteur, car vous avez une responsabilité dans la pertinence de l’examen, il n’est pas non plus un consommateur. Il doit être accueilli comme un médecin qui a besoin de conseil, de solution et de consultation basées sur les examens de radiologie et les actes de radiologie interventionnelle pour soigner un patient.

    Les rapports avec les autres spécialités sont complexes et l’histoire y prend une place importante. L’enseignement reste traditionnel et chaque spécialité reste dans son monde même avec les réformes actuelles. Malgré nos efforts et bien que le nouveau programme de l’ECN donne enfin plus de visibilité à la radiologie, notre spécialité reste trop peu enseignée en médecine du 1er et 2ème cycle. Les étudiants s’approprient difficilement notre fonction de radiologue. Leur rôle dans la rédaction des demandes d’examen de radiologie, dans la démarche de demander à avancer un rendez-vous, ne donne pas une vision dynamique et attractive de notre spécialité. Sur le principe du compagnonnage, j’invite tous les internes de radiologie à faire preuve de formation pour les étudiants des 1er, 2nd et 3ème cycle en médecine en les aidant à chaque fois sur les dossiers dont ils ont la charge. Les initiatives par Instagram ou autres réseaux sociaux d’aide en radiologie sont les bienvenues. Sans vulgariser les messages, cette communication permet un échange plus direct et plus aidant que les cours magistraux. Tous les étudiants en médecine ne deviendront pas radiologue mais une grande partie seront vos collègues de demain qui vous solliciterons pour avancer dans un diagnostic. C’est donc dès le début qu’un climat de confiance et d’entraide doit être entrepris pour que cette confiance perdure face à un dossier difficile ou en garde.

    Pour répondre aux demandes, nous devons comprendre la question posée, la traduire dans l’examen adéquat, dans la bonne technique avec nos manipulateurs, puis interpréter et informer le patient du résultat et des suites à donner. Le patient est notre raison d’être ; il est au centre de nos organisations. Pour répondre aux différentes attentes, nous devons travailler en équipe médicale et soignante. Il est impossible de tout savoir, seul en radiologie, en 2021. Avoir une équipe solidaire, médicale et soignante, bien formée, est la base d’une prise en soin réussie en radiologie.

    « De la cave où nous étions, nous avons beaucoup évolué et demandons une reconnaissance justifiée dans les parcours patients. »

    Les études médicales et celles des manipulateurs sont séparées. Sur le terrain, nous devons tout faire pour les intégrer dans nos organisations de manière concrète et efficace. Bien comprendre l’indication et la technique d’un examen, d’un acte, permet aux manipulateurs de bien les réaliser. Leur formation est cruciale. Des délégations en échographie, pour la pose de PICC line, en recherche ou en traitement d’images ont été mises en place, plus ou moins reconnues par les pouvoirs publics. Nous devons accentuer cette coopération entre professionnels de santé impliquant le binôme Radiologue - manipulateur. Nous avons besoin de renforcer nos  synergies avec les 35000 manipulateurs de France en leur permettant, pour ceux qui le souhaitent, d’évoluer vers des compétences soignantes plus précises et spécialisées en lien avec nous.

    D’une manière générale, nous avons besoin de physiciens médicaux, de PCR, de physiciens pour la recherche, de structures et personnes impliquées dans la recherche (Manip-ARC, chef de projet, …), de liens avec les épidémiologistes, la santé publique, l’éthique, les sciences sociales, les écoles de commerces, les industriels, les start-up… l’imagerie est et sera partout et nous devons apprendre à nous ouvrir aux autres métiers. Ces collaborations sont nécessaires pour progresser dans un monde complexe tout en gardant notre valeur ajoutée de soignant et de garant de la bonne utilisation des technologies.

    De la cave où nous étions, nous avons beaucoup évolué et demandons une reconnaissance justifiée dans les parcours patients. La loi patient 2002 nous aide en nous attribuant une responsabilité directe vis-à-vis du patient. Le patient est notre principal interlocuteur. Notre formation doit nous apprendre comment aborder le patient pour annoncer une mauvaise nouvelle ou une complication, un résultat d’examen normal alors que la personne est douloureuse, un incidentalome… Nous ne devons pas avoir peur des patients et nous devons leur parler à tous à chaque vacation. Même si en mammographie, en échographie, en radiologie interventionnelle, nous le faisons, la distance avec eux s’est accentuée ces dernières années en scanner et IRM. A nous de la retrouver !

    Au total, vous l’aurez compris, je suis un ferveur défenseur de l’équipe radiologique médicale et soignante, de l’excellence dans son métier en collaborant avec les autres spécialités, sans être dupe des tentatives de certaines pour venir sur nos prérequis, pour répondre aux besoins de la population. Les patients sont nos alliés.

    Un dernier petit mot pour nos internes ?
    En premier lieu, je vous félicite tous pour votre parcours. Vous avez réussi la PACES et l’ECN en très bonne position ; ce sont des concours parmi les plus difficiles de France et dans le monde. Vous devez en être fier. Et le futur Président du CERF que je suis est, lui aussi, très fier que vous ayez choisi cette spécialité. Le troisième cycle des études médicales se complexifie avec d’un côté la somme des connaissances qui augmente et de l’autre des réformes qui obligent à des contrôles continus. N’ayez aucune crainte, vous sortirez très bien formés en radiologie et imagerie médicale en comparaison avec d’autres pays. Cependant ces 5 années d’internat seront bien chargées car vous devrez compléter votre formation sur les indications et pertinences d’examens, les techniques d’acquisition, d’injection, de reconstruction, la sémiologie radiologique et les prises en soins. Les 4 piliers de votre métier (responsable de la pertinence, des techniques de radiologie, de l’interprétation et de la conduite à tenir avec information du patient) sont complexes notamment du fait de la multitude de situations rencontrées (dépistage, diagnostic, suivi), de toutes les pathologies médicales couvertes par la radiologie et imagerie et de l’essor de la radiologie interventionnelle.

    Il est très important de considérer que l’internat est un moment clé de votre formation par les échanges que vous aurez avec les chefs de cliniques, assistants, PH, MCU, PU et tous les responsables de vos terrains de stage. Il doit être le moment de développer votre curiosité pour vous intéresser à la recherche, l’innovation, la publication, les congrès en favorisant les échanges et partages de connaissance. Cet état d’esprit doit vous accompagner tout au long de votre carrière que je vous souhaite la plus heureuse possible. Cette envie d’apprendre, de progresser, de se remettre en question est votre gage de compétence qui sera votre socle pour être serein dans votre pratique professionnelle. Vous devez bien mesurer la chance d’être radiologue avec une activité variée, évolutive, aux multiples facettes techniques et humaines, en plein développement. C’est une spécialité enviée et vous devrez apprendre à vous faire respecter pour vos compétences et votre empathie dans les prises en soins des patients et l’aide apportée aux correspondants. Vous devez être fier d’être médecin radiologue, soignant à la recherche du diagnostic par la radiologie et imagerie médicale, soignant dans le traitement curatif ou palliatif avec la radiologie interventionnelle. Vous êtes 1250 en France, vous serez demain les 8000 radiologues de France. Vous devez rester unis dans un monde complexe. Vous êtes le moteur de notre spécialité, de notre communauté médicale et soignante.

    Je vous remercie pour votre confiance dans votre formation et avec mon bureau et tous les enseignants du CERF nous aurons besoin de vous pour construire le monde de demain qui sera celui que vous en ferez. Nous devons travailler avec tous pour les bons usages et être les GARANTS humains de l’utilisation des équipements, des rayons X, de l’IA, de toutes les technologies qui nous entourent et dont le radiologue sera le seul à maîtriser les risques et les dérives possibles de leur utilisation. La garantie radiologique est indispensable et nécessaire pour les patients et je rejette l’idée que des robots ou logiciels effectueront le soin à notre place. Ils nous aideront à prendre les décisions mais la responsabilité de la Vie d’autrui doit rester entre nos mains. Qui mieux que le radiologue peut jouer ce rôle (garant des usages car en connaissance des techniques, des avantages, limites et protection de la profession) ! Ce sera votre responsabilité de demain, votre métier qui reposera sur des équipes diversifiées, digitales, dynamiques et dispersées sur le territoire pour assurer auprès des patients et de la population une prise en soins radiologiques optimale. Je serai avec vous ces 3 prochaines années pour vous accompagner dans cette voie riche d’innovations et de progrès.

    "C’est une spécialité enviée et vous devrez apprendre à vous faire respecter pour vos compétences et votre empathie..."

    Article paru dans la revue “Union Nationale des Internes et Jeunes Radiologues” / UNIR N°41

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