Interview du Pr Cyrus Chargari

Publié le 09 May 2022 à 21:06


Chef de service de Curiethérapie de l’Institut Gustave Roussy
Contact : [email protected]

Pouvez-vous nous résumer votre parcours professionnel, qui vous a conduit à devenir chef du service de curiethérapie de l’Institut Gustave Roussy ?
Mon parcours de curiethérapeute n’est pas très classique... J’ai débuté mes études de médecine en 1998, comme Elève Officier Médecin du Service de Santé des Armées. Après avoir passé l’Examen Classant National (2005), j’ai commencé mon internat en oncologie radiothérapie à l’Hôpital d’Instruction des Armées du Val-de- Grâce. Puis, j’ai eu alors l’occasion de découvrir la curiethérapie comme interne dans le service du Dr Christine Haie-Meder, à Gustave Roussy. Ce semestre a éveillé en moi un intérêt qui depuis ne m’a pas quitté. J’ai soutenu ma thèse en 2009 (sur la curiethérapie 3D des cancers du col utérin). En 2015, après 6 ans en poste au Val-de- Grâce, j’ai poursuivi mon activité clinique au sein du département de radiothérapie de Gustave Roussy dirigé par le Pr Eric Deutsch. J’ai été nommé sur concours Professeur Agrégé de médecine en 2016, puis j’ai eu le privilège de succéder au Dr Haie-Meder comme chef du service de curiethérapie en 2017.

Pourquoi avez-vous choisi de vous sur-spécialiser en curiethérapie ?
Je ne crois pas que la curiethérapie doive être considérée comme une « sur-spécialisation », car cela sous-entendrait qu’elle ne devrait être réalisée que dans des centres hautement spécialisés.

Cet a priori, assez largement répandu, a pu contri- buer à limiter la diffusion de la curiethérapie en dehors des grands centres académiques. Ce qui est dommage compte tenu de la plus-value que représente la technique dans la prise en charge des patients. En effet, il existe plusieurs modalités de curiethérapie, avec différents degrés de complexité. Une curiethérapie du fond vaginal est assez simple à mettre en oeuvre et rend pourtant de grands services aux patients. A l’opposé, une curiethérapie interstitielle gynécologique complexe, ORL ou pédiatrique nécessite à l’évidence une expertise spécifique et un environnement.
médico-chirurgical adapté. Je pense que la curiethérapie fait partie des outils modernes de l’oncologie radiothérapie, au même titre que la radiothérapie stéréotaxique. Elle reste au demeurant la meilleure technique d’irradiation moderne. Mais il est tout à fait vrai qu’elle nécessite une période d’accompagnement progressif, d’autant que ses applications sont multiples (gynécologie, urologie, ORL, pédiatrie, sarcomes, tumeurs digestives…). Il est indispensable de conserver une ouverture sur les autres modalités de radiothérapie et d’avoir une bonne connaissance de l’oncologie en général, puisque la curiethérapie s’intègre généralement dans un contexte de prise en charge multimodale. Elle ne doit donc pas être vue comme compétitive des autres techniques de radiothérapie, mais plutôt comme complémentaire. Elle donne chaque jour l’occasion de se remettre en question et de progresser (un peu comme en chirurgie), et l’exercice de la curiethérapie nous confronte à des situations variées et des décisions thérapeutiques parfois difficiles. Elle nous offre également de grandes satisfactions au quotidien de par ce qu’elle apporte aux patientes et aux patients.

Quel avenir prédisez-vous pour la curiethérapie en France ? et dans le monde ?
Nous avons vu dans le monde une diminution de l’utilisation de la curiethérapie, qui s’est malheureusement traduite par une perte de chances pour les patientes traitées pour un cancer du col utérin. Il faut donc clairement lutter contre cette tendance. En France, de nombreux efforts sont faits depuis des années, en particulier par le Groupe de Curiethérapie de la Société Française de Radiothérapie Oncologique (SFRO), pour promouvoir la formation en curiethérapie. Je suis optimiste quand je vois le succès qu’ont les enseignements du Diplôme Universitaire que nous avons créé il y a 3 ans, ainsi que la motivation des internes à passer dans les différents services de curiethérapie pour se former aux techniques dîtes complexes (ex : curiethérapie ORL). Le fait qu’un numéro de SFJRO Mag soit consacré à la curiethérapie ne pouvait donc que me faire grand plaisir. Cependant, je suis davantage inquiet quand je vois la difficulté à valoriser la technique à son juste niveau, c’est-à-dire celui d’un bénéfice rendu majeur pour les patients. Seule une valorisation plus juste permettra de poursuivre les innovations en curiethérapie (guidage par l’imagerie, intégration de la biologie) et à maintenir une offre de soins pour toutes et tous. C’est également le positionnement clair de la SFRO. Dans les cancers du col utérin, comme dans de très nombreuses autres indications (lèvres, faces internes de joue, tumeurs nasales, verges, vagin…) la curiethérapie demeure incontournable.

Nous avons vu dans le monde une diminution de l’utilisation de la curiethérapie, qui s’est malheureusement traduite par une perte de chances pour les patientes traitées pour un cancer du col utérin.
Il faut donc clairement lutter contre cette tendance.

Quels sont vos domaines de recherches actuels ?
Ma recherche clinique est principalement consacrée aux tumeurs gynécologiques. Je coordonne actuellement plusieurs études prospectives sur les cancers du col utérin localement évolués (ex : AtezoLACC : étude de phase II randomisée multicentrique d’immunothérapie, Nanocol : étude de phase I testant les injections de nanoparticules à visée théranostique) ou les cancers de l’endomètre (PORTEC 4). Cette recherche s’intègre dans des groupes collaboratifs nationaux et internationaux et a mené à la rédaction de plusieurs recommandations internationales en partenariat avec l’ESTRO, l’ESGO, l’ASTRO. Nous travaillons avec nos collègues et amis européens sur les cancers du col utérin et les tumeurs primitives du vagin, en particulier pour essayer de mieux comprendre les objectifs dosimétriques et prévenir la morbidité des traitements (ex : étude EMBRACE II, EMBRAVE). Avec l’équipe du Pr Eric Deutsch, nous étudions l’intérêt d’approches radiomiques, à la recherche d’outils prédictifs/pronostiques applicables aux cancers gynécologiques et à la curiethérapie. Dans le service, j’ai également le plaisir de pouvoir encadrer au quotidien de nombreux jeunes internes, dans leur travaux de thèse ou mémoires de DES, et de les accompagner dans le processus de publication de leurs premiers travaux dans des revues internationales sur les différents sujets de la curiethérapie. Ces études ont pour but de mieux identifier les paramètres de l’effet différentiel en radiothérapie gynécologique et curiethérapie (relations dose/ volumes pour le contrôle local ou la probabilité de complication). En parallèle, je co-dirige actuellement le Département EBR (Effets Biologiques des Rayonnements) de l’Institut de Recherche Biomédicales des Armées (IRBA), où sont étudiés les mécanismes physiopathologiques de réponse aux ionisants des tissus sains. J’ai le plaisir d’y encadrer des étudiants et thésards sur des projets de recherche sur les mécanismes radiobiologiques de la toxicité de l’irradiation et les possibilités de pharmacomodulation.

Quels sont vos conseils pour des futurs internes qui voudraient se former en curiethérapie?
Je ne peux que les encourager et les inviter à se mettre en contact avec moi ou avec tout autre collègue du Groupe de Curiethérapie de la SFRO. Un travail est en cours pour constituer un annuaire des centres de curiethérapie, qui permettra d’identifier clairement les contacts. Pour moi, la curiethérapie fait partie de la culture générale de l’oncologue radiothérapeute. Plusieurs enseignements existent, sous des formats académiques et/ou pratiques (DU de curiethérapie, DIU de haute technicité, ateliers de curiethérapie de Paris, Nice, Nancy, cours de la SFjRO, cours du GEC-ESTRO…). Ces enseignements leur apporteront beaucoup, dans la connaissance des indications et des outils à disposition. Ils auront l’occasion d’y rencontrer des enseignants qui auront à coeur de leur présenter la spécialité. L’enseignement théorique me semble indissociable d’une formation au lit du malade, en salle de consultation, et bien sûr au bloc opératoire et en salle de dosimétrie. C’est notre rôle que de faire grandir l’intérêt des internes pour la curiethérapie, en leur donnant la possibilité de participer sous contrôle à tous les actes de curiethérapie, y compris les implantations dîtes complexes. Je crois que l’approche de la formation en curiethérapie repose, comme pour la chirurgie, sur le compagnonnage. Et je conclurai par ces mots : « Le véritable enseignement n’est point de te parler mais de te conduire. » (Antoine de Saint Exupéry).

Propos recueillis par Marjolaine UNG Interne, Paris
Bio
J’ai fait mon internat à Paris puis ai pris un poste d’assistant en
radiothérapie en novembre 2020 à l’Institut Gustave Roussy.
Contact : [email protected]
Article paru dans la revue “Société Française des Jeunes Radiothérapeutes Oncologues” / SFJRO n°01

L'accès à cet article est GRATUIT, mais il est restreint aux membres RESEAU PRO SANTE

Publié le 1652123177000