Bernard Jomier, médecin généraliste, est sénateur de Paris. Il répond aux questions de l'ISNI sur la coercition d'installation, l'attractivité et le rôle des organisations syndicales.
Killian L'Helgouarc'h.- On entend très régulièrement, par les politiques, que la régulation à l'installation serait la solution à l'accès aux soins. Pourquoi une partie des politiques s'attache à faire passer des mesures de régulation ?
Dr Bernard Jomier.- Il faut rappeler qu'il n'y a pas de position de l'ensemble des politiques. L'Assemblée nationale, comme le Sénat, n'ont jamais approuvé les nombreux amendements qui ont été déposés qui visaient à instaurer soit un conventionnement sélectif, soit une obligation d'installation. Il faut aussi comprendre que les élus, au fond, relaient les préoccupations des Français et essaient de trouver des solutions. Les élus doivent proposer des solutions qui tiennent compte des besoins de la population et de l'appétence des professionnels de santé. Si vous voulez interdire l'installation d'un jeune professionnel de santé quelque part, il passera en mode salariat ou il changera de profession et on aura tout perdu...
K. L.- Comment peut-on améliorer le dialogue entre les élus locaux et les professionnels de santé et avancer ensemble pour l'attractivité médicale ?
Dr B. J.- Il faut dialoguer, il faut consulter les organisations syndicales et leurs représentants. C'est comme ça que l'on avance sur la construction des réponses. Là, je m'adresse aux gouvernements qui se succèdent : respectez les corps intermédiaires que sont les organisations syndicales, celles professionnelles. Elles ont un très grand rôle à jouer parce qu'elles perçoivent justement ce que sont les conditions, les méthodes, les processus à mettre en place pour répondre aux situations que les professionnels vivent ! Tant que l'on restera dans la verticalité descendante où l'État pense pouvoir résoudre les questions tout seul, et bien, cela ne marchera pas.
K. L.- On a beaucoup parlé des internes qui doivent rendre à l'État ce que l'État leur a donné. Mais est-ce aux seuls futurs professionnels de santé de porter l'accès aux soins ?
Dr B. J.- Non. On ne peut pas faire porter aux jeunes générations à eux seuls la résolution des problèmes qui ne sont pas de leurs responsabilités, qui ne sont pas de leur fait. Il faut, une bonne fois, tordre le cou à cette idée. D'autant plus que les internes sont les seuls étudiants en France à rapporter plus que ce qu'ils coûtent à l'État ! Il faut sortir de cette vision culpabilisatrice. Chacun doit prendre sa part de responsabilité.
K. L.- L'aspiration aujourd'hui des internes et jeunes professionnels de santé est à une meilleure qualité de vie au travail. Pensez-vous que cela rejoint une mutation globale de la société ?
Dr B. J.- Oui. Quand les infirmières quittent l'hôpital, que disentelles ? Que la qualité de vie au travail s'est trop dégradée et qu'elles préèrent arrêter. Certaines partent en libéral, d'autres changent de voie professionnelle. On a aussi des médecins qui arrêtent bien avant l'âge de la retraite, d'autres qui font des burn-out…
K. L.- Quelles sont les solutions pour retrouver de l'attractivité en médecine ?
Dr B. J.- J'ai rencontré beaucoup de jeunes médecins et d'internes au cours de l'année passée. J'ai constaté qu'ils étaient très sensibles à cette question de répartition territoriale de l'offre de soins et l'accès à notre population aux soins. Mais il faut aussi respecter que l'on ne peut pas se retrouver isolé dans un village, sans solution d'hébergement, sans transport. Il y a toujours eu deux conditions à l'attractivité : la rémunération et la qualité de vie au travail. Si vous ne réglez pas les deux, vous n'avancez pas !
K. L.- Quelles solutions proposez-vous pour avancer sur ces deux questions ?
Dr B. J.- Jusqu'à présent, tout est centralisé. Mais l'État n'y arrive pas et la situation se dégrade. On doit absolument changer de paradigme. Cela ne peut être qu'avec les collectivités territoriales, les maires des communes, en coordination avec les conseils départementaux pour la gestion concrète des besoins d'hébergement et de transports de ces jeunes professionnels de santé en décidant de limiter le temps de transport à moins de 30 minutes par exemple entre le lieu d'hébergement et le lieu d'exercice.
Nous pouvons imager un triple pilotage entre ces collectivités, les facultés pour la partie pédagogique et les ARS qui connaissent les besoins de leurs départements.
Propos recueillis par Vanessa Pageot