Bonjour Olivier Veran
En novembre 2015, la ministre des Affaires sociales et de la santé vous a confié une mission en vous demandant de « travailler à l’avènement de modes de financement davantage médicalisés, plus sensibles aux spécificités des différents types de soins dispensés à l’hôpital. La piste d’une dotation modulée à l’activité devra être examinée avec une attention particulière. Ce nouveau modèle devra s’appliquer en priorité à certaines activités hospitalières qui ne se prêtent pas au modèle de la tarification à l’activité, en particulier les parcours de prise en charge des pathologies chroniques, les soins palliatifs et les soins non programmés. ».
Votre rapport d’étape sur la T2A vient de paraître (1)
Qu’avez-vous découvert durant cette première partie de votre mission ?
1) Les règles de gouvernance, comme les modes de financement des établissements de santé sont ressenties par nombres de professionnels de santé comme pouvant avoir un impact jusque sur l’exercice médical, c’est-à dire mettre en tension les principes éthiques. Certains expriment leur crainte que l’efficience de l’organisation des soins finisse dans certains cas par primer sur la justesse des soins donnés aux malades. Cela peut prendre des formes plus ou moins explicites : ajout d’un acte, précipitation d’une sortie…
2) Nombre de médecins hospitaliers ont absorbé les outils managériaux et les indicateurs d’activité dans leur propre pratique, sans doute au-delà de ce que les économistes de la santé avaient pu anticiper. Pourquoi donc un médecin irait-il changer ses pratiques pour afficher une durée moyenne de séjour plus courte puisqu’il n’a lui-même rien à y gagner ? Cela reste pour moi une découverte surprenante, même si j’avais effectivement pu mesurer les changements opérés à l’hôpital en à peine 10 ans. Beaucoup de réunions de pôles se concentrent avant tout sur des courbes d’activité, de turnover, de DMS, de taux de fuites, de « parts de marché » diront certains
3) Les règles de recueil d’activité sont devenues parfois trop complexes, jusqu'à en devenir incompréhensibles. Je donne notamment dans mon rapport les règles en vigueur en SSR, où l’on demande aux ergothérapeutes de coder et tracer chaque acte, à l’origine d’une mobilisation de 4 à 5 % du temps soignant… sans véritablement s’appuyer administrativement sur les données recueillies, et surtout sans impact sur les soins donnés aux malades !
4) Enfin, les situations sont très contrastées d’un territoire à l’autre : dans certains hôpitaux, les médecins ont su utiliser et transformer les règles et dynamiser leur exercice, en revanche, dans d’autres, les médecins subissent terriblement la situation actuelle.
Quels sont vos constats les plus marquants ?
1) Certaines règles tarifaires sont élaborées non pas pour répondre aux besoins de financement de la majorité des établissements, mais pour s’assurer que les petites structures jugées moins efficientes ne bénéficieront pas d’un effet d’aubaine. Comme si, plutôt que de prendre une décision politique de fermeture qui apparaîtrait comme impopulaire, on provoquait un affaissement financier progressif jusqu’à l’asphyxie et l’inévitable fermeture. La vraie question est : Un service hospitalier doit-il être financé en fonction de son activité ou au regard des besoins nécessaires à maintenir pérenne une structure qui répond aux besoins de la population ?
Le financement doit s’adapter à la variété des missions remplies par les établissements de santé (ETS). La T2A est adaptée au financement des activités standardisées avec des actes bien identifiés, mais pas aux hôpitaux de proximité par exemple, qui prennent en charge des patients sur une longue durée et avec peu d’actes. Pour autant ces ETS ont leur place dans l’offre sanitaire, ils prennent en charge les personnes âgées, ils sont source d’attractivité pour les libéraux, et ils participent à la vie du territoire.
Nombre de médecins hospitaliers ont absorbé les outils managériaux et les indicateurs d’activité dans leur propre pratique, sans doute au-delà de ce que les économistes de la santé avaient pu anticiper...
Bien sûr il faut des règles de financement pour les ETS et elles peuvent convenir à 90 % d’entre eux, mais pour les autres, faibles producteurs de T2A, il faut avoir le courage de dire si on les ferme ou si on les maintient et auquel cas, il faut leur donner les moyens de fonctionner dans la durée : pour ceux-là, la mission propose une dotation modulée à l’activité. C’est d’ailleurs le sens des réformes opérées par le gouvernement depuis 2012 : quand un service, une unité, un établissement est au cœur de son territoire un offreur de soins indispensable, on stabilise et on pérennise son financement. Ce sera aussi un effet positif des groupements hospitaliers de territoire.
2) L’utilisation de l’argent des plans (MIGAC, centres de référence, centres labellisés), est source de tensions entre médecins et administration car les financements ne sont pas toujours alloués à l’activité concernée et ce du fait de la fongibilité des enveloppes. Le problème est le même pour les surfinancements via le tarif d’un acte. S’ils contribuent effectivement au développement d’activités comme c’est le cas pour les soins palliatifs, ils ne sont pas toujours affectés à l’activité concernée.
Les financements doivent être utilisés pour ce à quoi ils sont prévus.
La mission pense que la neutralité tarifaire (la rémunération d’une activité au plus près du coût engendré par sa réalisation) est l’un des éléments de réponse. Pour aider au développement de nouvelles activités ou mettre en œuvre un plan, on peut envisager des crédits « starters » qui couvriraient les dépenses en équipement et personnel qui ne peuvent pas être couvertes par les recettes tant que l’activité n’a pas commencé.
Comment définiriez-vous les conditions de déroulement de ce travail ?
Personnellement, je prends du plaisir à travailler avec ce comité.
D’emblée, j’ai décidé et informé les membres de la commission que j’assumerai la responsabilité du contenu du rapport et que tous ceux qui le souhaitaient pourraient demander à adjoindre des documents complémentaires de leur choix. Cela a permis à chacun de s’exprimer très librement.
Nous avons rencontré beaucoup d’acteurs de terrain, nous nous sommes déplacés dans les régions et à chaque fois, les salles étaient pleines. Les acteurs de santé se sont impliqués et les échanges furent très riches
J’ai beaucoup apprécié également les très bons rapports de travail avec l’administration centrale (ministère et DGOS), constructifs et dans l’écoute réciproque.
Et nous avons pu constater que les convergences étaient grandes tant sur le diagnostic que sur les propositions.
Quelles en sont les prochaines étapes ?
Le rapport d’étape renferme des mesures qui peuvent être appliquées sans recours à la législation : ces mesures doivent être mises en débat dans les territoires ; il nous faut donc du temps et des espaces d’échange. D’autres mesures nécessitent de changer la loi, et le prochain budget de la sécurité sociale devrait être l’occasion de le faire, c’est en tous cas ce que la Ministre Marisol Touraine a annoncé en mai.
Enfin, d’autres enjeux nécessitent de prolonger les discussions et débats : cela sera la deuxième étape du travail de la commission qui se déroulera jusqu’à la fin 2016. Le rapport définitif sera rendu fin 2016 début 2017
Olivier Veran, on vous a connu comme député (et le rapport sur l’interim médical « hôpital recherche médecins coûte que coûte »), comme rapporteur de la loi de modernisation du système de santé, mais vous êtes aussi conseiller régional et surtout... PH !
Quel lien entre votre travail hospitalier et votre engagement politique ?
Tout s’est fait au travers de l’engagement hospitalier. Je suis un médecin avant tout, mais depuis toujours engagé dans le milieu syndical et associatif (NDLR : président de l'association des assistants des hôpitaux de Grenoble, porte-parole de l'InterSyndicat National des Internes des Hôpitaux,). Très vite, j’ai éprouvé le besoin d’acquérir les clés de fonctionnement du système de santé. J’ai donc suivi un master en Economie et politique de la Santé à Sciences Po. En 2010-2011, j’ai participé aux travaux du rapport présidé par D. Toupillier « Exercice médical à l’hôpital ». Je suis « tombé » en politique à la suite d’une rencontre (faite au décours de mon exercice professionnel) et ai été élu suppléant de G. Fioraso en 2012. Je suis devenu député tout le temps où elle a occupé un poste au gouvernement. J’étais alors en détachement de mon poste de PH. Et je suis très fier d’avoir été de ceux qui ont contribué à rétablir le service public hospitalier qui avait disparu après HPST.
Quelle est votre vision de la place des médecins dans le fonctionnement de l’hôpital ?
Je pense qu’il est nécessaire d’introduire des modes de fonctionnements basés sur la contractualisation. Entre l’équipe médicale et le directeur de l’hôpital d’abord avec des objectifs connus des deux parties et un dialogue régulier et délibérément constructif.
De même, à mon sens, le chef de l’équipe médicale ne doit pas être désigné par le chef de pôle. A Grenoble, l’équipe de médecins vote tous les 2 ans pour désigner le représentant de l’équipe qui n’est pas un chef mais un médiateur. La nuance est importante et ça fonctionne. Mais ne le répétez pas car ce n’est pas le sens du décret publié récemment, et qui voudrait qu’un responsable soit nommé sur proposition du chef de pôle
Et si vous aviez un message à passer à vos confrères PH ?
Comme vous tous, mon premier motif de satisfaction en tant que PH est d’appartenir au Service Public. C’est un métier passionnant que nous devons continuer de défendre et moderniser. Il n’est pas normal, pas acceptable que tant de postes soient vacants, que le recours à l’intérim soit si élevé, que tant de confrères soient en situation de souffrance professionnelle. Mobilisons-nous pour un exercice attractif dans un cadre hospitalier modernisé mais humain.
Dr Olivier Veran
PH en Neurologie, CHU Grenoble
Député adjoint de l’Isère
Rapporteur de la loi de Modernisation du système de Santé
Article paru dans la revue « Intersyndicat National Des Praticiens D’exercice Hospitalier Et Hospitalo-Universitaire.» / INPH n°8